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La réforme du droit du travail par ordonnances: r(éelles)évolutions ?
Marie-Pascale Piot - Yannick Bodin
Conformément à ses engagements de campagne, le projet de loi habilitant le Gouvernement Macron à réformer le droit du travail par ordonnances, adopté le 2 août 2017 et validé par le Conseil constitutionnel, dresse les grandes lignes des modifications qui seront apportées au droit du travail.
Pour l'essentiel, la réforme du Code du travail repose sur trois piliers : élargir le champ de la négociation collective et étendre la primauté de l'accord d'entreprise à un nombre de thèmes plus important, simplifier et renforcer le dialogue social, enfin sécuriser les relations de travail notamment les effets de leur rupture.
Le Gouvernement poursuit ainsi les réformes engagées sous la précédente mandature avec les lois Macron et Rebsamen en 2015, puis la loi Travail de 2016.
La nouvelle loi n'a pas encore été publiée mais cinq projets d'ordonnances ont déjà été rendu publics le 31 août 2017.
Elargir le champ de la négociation collective et, dans le même temps, étendre les sujets sur lesquels l'accord d'entreprise doit primer sur l'accord de branche.
La loi du 8 août 2016 dite « Loi Travail » avait instauré la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche sur les domaines relatifs à la durée du travail et aux congés. Le projet de loi fixe comme objectif l'extension de ce champ d'application.
Le projet d'ordonnance rendu public vise à redéfinir l'articulation entre les accords de branche et les accords d'entreprise en fonction des domaines concernés :
- les domaines dans lesquels l'accord de branche peut définir les garanties applicables aux salariés (on y retrouve les domaines classiques - salaires, classifications, etc. - mais aussi certains domaines limités de la durée du travail, certains aspects des contrats de travail à durée déterminée, l'égalité professionnelle, le contrat de chantier,…) ; sauf accord d'entreprise assurant des garanties équivalentes, l'accord de branche prévaut dans ces onze domaines ;
- les quatre domaines dans lesquels l'accord de branche pourrait interdire toute adaptation par accord d'entreprise (prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels ; insertion professionnelle et maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés ; effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés ; primes pour travaux dangereux et insalubres) ; les branches doivent confirmer ces « clauses de verrouillage » (interdisant toute dérogation) préexistantes avant le 1er janvier 2019 ;
- Sur tout le reste, l'accord d'entreprise primerait sur l'accord de branche.
Outre ces dispositions, le projet de loi et les projets d'ordonnances visent également à favoriser la négociation collective :
- en permettant de déterminer par accord collectif la périodicité et le contenu des consultations et négociations obligatoires ainsi que le contenu de la base de données économiques et sociales ;
- en modifiant les modalités d'appréciation du caractère majoritaire des accords ; l'ordonnance prévoyant en outre la généralisation de l'accord majoritaire au 1er mai 2018 (et non plus en janvier 2019 comme prévu par la loi du 8 août 2016) ;
- en accélérant la procédure de restructuration des branches professionnelles prévue par la loi du 8 août 2016 ;
- en modifiant les règles d'extension et d'élargissement des accords collectifs.
Les ordonnances développent aussi les dispositions visant à faciliter la négociation et la conclusion d'accords collectifs en l'absence de délégués syndicaux (le champ de la négociation n'étant plus limité à certains domaines comme les textes précédents le prévoyaient) et le recours au référendum, notamment pour valider un accord « minoritaire » (signé par des organisations syndicales représentants 30% des suffrages exprimés aux dernières élections).
Des dispositions relatives à l'adaptation des accords de branche aux petites entreprises, à l'application d'accords modifiant le contrat de travail ainsi qu'à la contestation des accords collectifs sont également, développées dans les projets d'ordonnances rendus publiques fin août.
A noter, dans ce cadre, le regroupement des différents accords sur l'emploi (accords de maintien dans l'emploi, de mobilité interne, de préservation et de développement de l'emploi, accords de modulation du temps de travail notamment) en un accord unique pouvant aménager la durée du travail, la rémunération et déterminer les conditions de mobilité professionnelle. Son contenu est précisé par le projet d'ordonnance qui prévoit également que le refus d'appliquer un tel accord peut conduire à un licenciement « sui generis » selon la procédure de licenciement individuel pour motif économique, mais qui aura une cause réelle et sérieuse.
- Simplifier et renforcer le dialogue social
Le projet de loi prévoit la fusion des institutions représentatives du personnel en une seule instance. Cette possibilité était déjà ouverte par la loi relative au dialogue social et à l'emploi du 17 août 2015 dite Rebsamen, selon des modalités qui différaient en fonction de l'effectif de l'entreprise. Néanmoins, là où le regroupement des institutions était l'exception, le projet d'ordonnance fait de la fusion des institutions représentatives du personnel, le principe.
L'ordonnance rendue publique fixe notamment les conditions d'effectif (à partir de 11 salariés), les conditions de mise en place, la composition, les attributions (reprenant celles des délégués du personnel si l'effectif est inférieur à 50 salariés, et celles du comité d'entreprise et du CHSCT au-delà) et le fonctionnement (délais d'information-consultation, moyens, nombre de mandats électifs successifs des membres et modalités de recours à une expertise cofinancée) de cette nouvelle instance regroupée : le Comité Social et Economique - CSE.
Parallèlement, un accord d'entreprise peut prévoir la mise en place de « représentants de proximité » dont les attributions seront définies dans l'accord déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts.
Le projet de loi envisageait, ce qui est confirmé dans les projets d'ordonnances, la possibilité de négocier des accords collectifs avec cette instance regroupée. En effet, un Conseil d'Entreprise pourrait être mis en place par accord d'entreprise ou de branche, intégrant les compétences de négociation : ce transfert du pouvoir de négocier des syndicats vers les élus modifie fondamentalement l'approche du dialogue social en entreprise et les intérêts en jeu.
La date d'entrée en vigueur du CSE va en fait dépendre de la date d'expiration des mandats en cours. Des dispositions transitoires sont ainsi prévues jusqu'en décembre 2019 : au 1er janvier 2020, le CSE sera généralisé dans toutes les entreprises de plus de 11 salariés en France.
- Renforcer la prévisibilité et sécuriser les relations de travail ou les effets de leur rupture
Ce pilier vise à sécuriser tant les employeurs que les salariés dans le cadre de la relation de travail et spécifiquement de sa rupture.
Le projet de loi et le projet d'ordonnance fixent un plancher et un plafond (un mois de salaire maximum la première année et de 3 à 20 mois pour une ancienneté supérieure à 30 ans) aux dommages-intérêts alloués au salarié dont le licenciement serait reconnu sans cause réelle et sérieuse. Un barème spécifique (uniquement plancher d'indemnisation selon ancienneté) est prévu pour les entreprises de moins de 11 salariés (de 0,5 mois minimum la première année à 2,5 mois pour 10 ans d'ancienneté). Ces dispositions seront applicables aux licenciements notifiés postérieurement à la publication de l'ordonnance.
Rappelons que la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dite « Loi Macron » avait fixé un barème ayant seulement valeur indicative. La réforme vise à rendre obligatoire ce barème, revu à la baisse, sauf pour les cas de licenciement entaché de nullité (harcèlement, discrimination, violation de liberté fondamentale,…).
Le projet d'ordonnance prévoit également d'adapter les règles de procédure et l'exigence de motivation des licenciements et fixer les conséquences du non-respect de ces règles ou d'une motivation insuffisante du licenciement. Un modèle de lettre de licenciement précisant les droits et obligations de chacun serait diffusé.
Par ailleurs, les projets de texte harmonisent les délais de recours contentieux à un an quel que soit le motif du licenciement.
Ce pilier comporte également de nombreuses dispositions concernant les licenciements pour motif économique, qui intéresseront particulièrement les grands groupes internationaux, telles que :
- la modification du périmètre d'appréciation de la cause économique qui serait limité au territoire national dans le cas où l'entreprise concernée appartient à un groupe ayant des entreprises à l'étranger, « sauf fraude » ;
- des précisions sur les conditions dans lesquelles l'employeur satisfait à son obligation de reclassement (également limité au territoire national) ainsi que sur l'application des critères d'ordre des licenciements.
Enfin, les plans de départ volontaire sont légalisés, favorisés et sécurisés, notamment s'agissant de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel et l'accompagnement du salarié.
- Mesures diverses
Au-delà de ces trois piliers, diverses dispositions relatives au télétravail, au recours au CDD et au CDI de chantier, au travail de nuit, au prêt de main d'œuvre à but non lucratif et à la pénibilité au travail sont prévues dans les projets d'ordonnances.
Selon l'agenda fixé, les ordonnances devraient être adoptées en Conseil des ministres le 22 septembre 2017, en vue d'une entrée en vigueur fin septembre des dispositions d'application immédiate. Celles qui nécessitent un décret entreront en vigueur après parution du décret.
Interrogée avant la journée de mobilisation organisée le 12 septembre par les syndicats, la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a indiqué que ces projets étaient quasiment définitifs, seuls quelques ajustements étant envisageables.
Nous reviendrons plus en détail sur ces ordonnances dans nos prochaines publications.