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L’URSSAF à la chasse aux indemnités transactionnelles ou le sport de l’URSSAF
Paule Welter - Marie-Pascale Piot
Dans une affaire récente [1], la Cour de cassation vient réaffirmer que les sommes accordées, même à titre transactionnel, en cas de rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée ne sont pas au nombre de celles limitativement énumérées par l'article 80 duodecies du code général des impôts auquel renvoie l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, si bien qu'elles ne peuvent pas être exclues de l'assiette des cotisations de sécurité sociale.
Même s'il là s'agit d'une confirmation de jurisprudence [2], le raisonnement de la Cour pour assujettir les indemnités transactionnelles aux cotisations sociales n'en est pas moins intéressant.
Rupture anticipée d'un CDD suivie d'une transaction
Le raisonnement de la Cour de cassation est le suivant :
L'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale prévoit que :
- par principe, « toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail » sont des rémunérations au regard du calcul des cotisations de sécurité sociale ;
- par exception « est exclue de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa, dans la limite d'un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond mentionné à l'article L. 241-3 [le plafond de la sécurité sociale], la part des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail … qui n'est pas imposable en application de l'article 80 duodecies du même code. … ».
C'est donc l'analyse de l'article 80 duodecies du code général des impôts (CGI) qui permet de déterminer si les sommes versées en cas de rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée sont assujetties ou non aux cotisations sociales. Cet article du CGI prévoit, par principe que « toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable ».
Mais, par exception, « ne constituent [en totalité ou partiellement] pas une rémunération imposable » :les indemnités prononcées par le juge judiciaire, les indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, les indemnités de licenciement versées en dehors du cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, les indemnités de mise à la retraite et les indemnités versées à l'occasion de la rupture conventionnelle d'un contrat de travail d'un salarié lorsqu'il n'est pas en droit de bénéficier d'une pension de retraite.
Les indemnités transactionnelles versées suite à rupture anticipée d'un CDD n'étant pas visées par l'article 80 duodecies du CGI, elles ne sont pas exonérées d'impôt sur le revenu et doivent en conséquence être assujetties à cotisations sociales [3]. La décision de la Cour de cassation semble donc logique.
Atténuation sur la base d'une circulaire publiée
Dans certains cas, l'employeur devrait toutefois pouvoir revendiquer l'application de la circulaire interministérielle du 14 avril 2011 [4], pour limiter le quantum du redressement.
En effet, cette circulaire précise, pour déterminer la fraction du montant des indemnités de rupture assujettie aux cotisations de sécurité sociale et à la CSG/CRDS :
« (…) ne sont pas prises en compte, les indemnités qui, par nature, constituent un élément de rémunération et sont donc intégralement soumises à cotisations et contributions de sécurité sociale (exemples : indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés, indemnité de non-concurrence, indemnité prévue par l'article L. 1243-4 du code du travail en cas de rupture anticipée par l'employeur d'un contrat de travail à durée déterminée pour sa partie correspondant aux salaires qu'aurait perçus le salarié jusqu'au terme du contrat, indemnité prévue par l'article L. 1243-8 du code de travail versée aux salariés à l'issue d'un contrat à durée déterminée, primes annuelles versées aux salariés, le plus souvent au prorata du temps de présence dans l'entreprise l'année de la cessation d'activité). »
Le redressement prononcé à l'encontre d'une indemnité transactionnelle versée dans ces circonstances (par hypothèse, supérieure au montant correspondant aux salaires jusqu'au terme du contrat), devrait donc pouvoir être limité à ce dernier montant.
Qu'en est-il des sommes versées en application d'une transaction signée pour mettre fin à une action en requalification d'un CDD en CDI ?
Les décisions de 2010 et de 2017 visent le cas de ruptures anticipées d'un contrat à durée déterminée, donc des contrats « en cours d'exécution », comme le relève spécifiquement l'arrêt de 2017.
On peut se demander si ces arrêts règlent le sort d'une indemnité transactionnelle qui serait versée suite à la saisine par le salarié du Conseil de Prud'hommes d'une action en requalification d'un CDD en CDI.
En effet, dans ce cas, le CDD n'est par définition plus « en cours d'exécution ». La situation devrait en conséquence pouvoir être assimilée à celle d'un licenciement « classique ».
Néanmoins l'indemnité transactionnelle versée ne correspondrait pas non plus, au sens strict du terme, à une des sommes visées par l'article 80 duodecies du CGI et notamment pas à des « indemnités de licenciement versées en dehors du cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi » (puisqu'il n'y a pas eu de licenciement).
En tout état de cause l'indemnité de requalification au sens strict [5] ne pourrait être éligible aux exonérations. Il pourrait en être autrement pour la fraction de l'indemnité conventionnelle correspondant à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au vu de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel. L'histoire reste à construire.
Il serait de bonne justice que les juges et la Sécurité sociale (dans ces circulaires) adoptent une position cohérente et il serait sans doute également utile d'adapter l'article 80 duodecies au regard des nouveaux modes de ruptures du contrat de travail.
La loi d'habilitation [6] fixant un cadre aux ordonnances Macron visant à reformer le droit du travail prévoyait de « modifier le régime fiscal et social des sommes versées au salarié à l'occasion de la rupture de contrat de travail. » Or les ordonnances n'ont rien modifié en la matière. De la même manière, il ne semble pas, en l'état, que le Gouvernement entende modifier ces régimes dans les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2018.
En revanche, le projet de loi de finance pour 2018 intègre les conséquences de la création du dispositif de rupture conventionnelle collective. Le projet de texte, en l'état, prévoit d'exonérer d'impôt sur le revenu les indemnités de rupture conventionnelle collective perçues par les salariés comme sont actuellement exonérées les indemnités versées dans le cadre d'un PSE (modification de l'article 80 duodecies du CGI).
Le sujet est, en tout état de cause, à suivre d'ici l'adoption de ces lois avant le 31 décembre 2017.
1 Civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-17959 F-PB, Sté Rugby club toulonnais c/ Urssaf Provence-Alpes-Côte d'Azur
2 Civ. 2, 7 octobre 2010, n° 09-12.404 (n° 1774 FS-PB), Urssaf du Rhône c/ Sté Asvel basket (Adecco Asvel basket Lyon Villeurbanne)
3 CE, 5 mai 2010, n° 309803, Arribart
4 Circulaire DSS/SD5B/2011/145 du 14 avril 2011, BOSS 5-11 précisant les modalités d'assujettissement aux cotisations de sécurité sociale, à la CSG et à la CRDS des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail ou de la cessation forcée des fonctions de mandataires sociaux, dirigeants et personnes visées à l'article 80 ter du CGI suite aux modifications apportées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
6 Loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social publiée au Journal Officiel du 16 septembre 2017