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Entre offre et promesse de contrat, la différence est tenue
Marie-Pascale Piot
Il existe une période transitoire particulière dans la relation de travail : le moment où le candidat devient un salarié et l'entreprise convoitée, un employeur. Avant ce basculement, la procédure de recrutement, qui peut rester purement orale, est régie par le principe de liberté des négociations[1]. Lorsque le contrat est conclu, la relation devient contractuelle.
Pendant cette période, ce que l'on appelait jusqu'alors communément la « promesse d'embauche », connait aujourd'hui une transformation par l'effet de la réforme du Code civil[2] de 2016. La chambre sociale de la Cour de cassation, tenant compte de ces nouveautés législatives, vient d'opérer un revirement de jurisprudence par deux décisions du 21 septembre 2017[3].
Abandonnant la notion de promesse d'embauche, elle distingue désormais, d'une part, la simple offre d'emploi et, d'autre part, la promesse de contrat de travail. L'offre d'emploi est une simple proposition d'engagement, là où la promesse de contrat est un contrat pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire… la différence est subtile.
Le cas d'espèce n'aide d'ailleurs pas forcement à la compréhension de cette différence.
Ainsi, dans les deux affaires à l'origine de cette modification, des joueurs internationaux professionnels de rugby reçoivent « une offre de contrat de travail pour la saison 2012/2013, à laquelle était jointe une convention prévoyant l'engagement pour la saison sportive 2012/2013, avec une option pour la saison suivante », avec indication du montant de la rémunération mensuelle, de la mise à disposition d'un logement et d'un véhicule, ainsi que de la date de début d'activité. Le club se rétracte rapidement de ces offres, mais les joueurs retournent les documents signés au club.
Le club confirmant, semble-t-il, son refus de les engager, ils saisissent le conseil de prud'hommes considérant, en s'appuyant sur une jurisprudence constante[4], que l'écrit précisant l'emploi et la date d'entrée en fonction constitue une promesse d'embauche valant contrat de travail et que, dès lors la rupture du contrat est abusive.
La cour d'appel saisie va condamner l'employeur en se fondant sur cette jurisprudence.
C'est sur ce point que la Cour de cassation va modifier sa position. Elle considère que « l'évolution du droit des obligations, et notamment l'ordonnance 2016-13 du 10 février 2016, la conduit à apprécier différemment la portée des offres et promesses de contrat de travail »[5].
En effet, les articles 1114 à 1116 du code civil, issus de l'ordonnance, définissent la notion d'offre ; l'article 1124 du même code, celle de la promesse.
La Cour précise, dans des attendus de principe que l'offre est « l'acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation » et qu'elle peut être rétractée librement avant réception par le destinataire ou avant expiration du délai d'acceptation, si un tel délai est stipulé, ou d'un délai raisonnable. Une telle rétractation pourrait toutefois conduire au paiement de dommages et intérêts versés au candidat malheureux si celui-ci démontre un préjudice. La promesse unilatérale de contrat de travail est quant à elle un contrat auquel le bénéficiaire peut opter, l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction étant déterminés : seule manque le consentement du bénéficiaire ; dès lors la rupture de la relation est une rupture de contrat.
En l'espèce, ce que la Cour de cassation reproche en l'espèce au juge du fond, pour casser sa décision, est de ne pas avoir recherché si les documents prévoyaient un droit d'option pour le joueur, ce qui aurait caractérisé une promesse de contrat engageant le club. L'affaire est donc renvoyée à nouveau devant les juges du fond.
Si la cour d'appel de renvoi considère que le club avait l'intention d'engager les joueurs et que, dès lors, les éléments constitutifs de la promesse unilatérale de contrat de travail sont réunis, elle devra tirer les conséquences de la rupture du contrat. A l'inverse, si la cour de renvoi juge qu'il ne s'agit que d'une offre, elle devra analyser la nature raisonnable ou non du délai de rétractation afin de déterminer la responsabilité du club.
Qu'il s'agisse d'offre ou de promesse, les éléments essentiels du contrat de travail (l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction) sont portés à la connaissance du candidat à l'emploi. La différence réside donc bien dans la volonté de l'employeur : dans un cas il envisage de recruter, dans l'autre, il s'engage à recruter.
L'employeur aura donc plusieurs choix : mentionner clairement sa position dans la proposition -« cette proposition ne vaut pas contrat » - et prendre le risque de voir renoncer de bons candidats ou ne rien mentionner et prendre le risque de ne pas pouvoir se rétracter.
En fonction des circonstances, la rédaction de telles propositions devra donc dorénavant être particulièrement soignée.
1 Aux termes de l'article 1112 du code civil « l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ».
2 Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016
3 Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-20103 et n° 16-20104 (FS-PBRI)
4 Voir, notamment, Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 08-42951 : la promesse d'embauche précisant l'emploi proposé et la date d'entrée en fonction vaut contrat de travail.
5 Il est à noter que la Cour de cassation donne une forme de rétroactivité à l'ordonnance dans la mesure où le litige est antérieur à la réforme.