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Juridique

Un tiers peut-il se prévaloir des clauses statutaires limitant les pouvoirs des dirigeants ?

04/01/2019

Christine Rocha

Les clauses statutaires limitant les pouvoirs des dirigeants sont courantes. Au regard de l'objectif de protection des tiers, en cas de manquement des dirigeants, ces clauses ne peuvent être opposées par la société aux tiers conformément aux dispositions du code de commerce et du code civil#1. Pour autant, reste posée la question de l'opposabilité par les tiers de telles limitations. La Cour de cassation rend, depuis plusieurs années, des décisions qui, tout en étant favorables aux demandes des tiers, semblent cantonnées à des domaines particuliers. Un arrêt du 14 juin 2018#2, publié au bulletin, étend finalement le champ des possibilités : est-ce à dire que les tiers peuvent désormais invoquer tout type de limitations de pouvoirs ?

Au cas d'espèce, la cogérante d'un groupement foncier agricole (« GFA ») a délivré un congé en vue de mettre fin à un bail. Le preneur a formé une action en justice afin de demander l'annulation du congé. Il se prévalait des dispositions statutaires prévoyant une autorisation de l'assemblée générale extraordinaire pour les baux ou locations à conclure ou à résilier. La Cour d'appel a accueilli cette demande en jugeant que le preneur, qui était devenu depuis la conclusion du bail, un associé (titulaire de parts en nue-propriété) du GFA était, dès lors, fondé «dans ses rapports avec le GFA, à se prévaloir du dépassement de ses pouvoirs par [la gérante] ». La cogérante et le GFA ont formé un pourvoi en cassation en faisant notamment valoir que le preneur était, en réalité, un tiers au GFA à la date de la délivrance du congé et ne pouvait donc ni se voir imposer, ni invoquer les clauses statutaires limitant les pouvoirs des dirigeants.

La Haute Cour rejette le pourvoi et, par un motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, affirme que « les tiers à un groupement foncier agricole peuvent se prévaloir des statuts du groupement pour invoquer le dépassement de pouvoir commis par le gérant de celui-ci ».

Si la solution concerne un GFA et donc une société civile#3, elle semble pouvoir recevoir une application générale.

Une construction jurisprudentielle parachevée ?

Par le passé, la Cour de cassation avait déjà admis la possibilité pour un tiers de se prévaloir d'une clause statutaire limitant les pouvoirs du représentant légal et ce, afin d'exciper du défaut de pouvoir de ce dernier d'ester en justice#4. Ces arrêts étaient rendus en matière de droit processuel, notamment au visa de l'article 117 du code de procédure civile : en effet, le défaut de qualité à agir du représentant légal, en cas de limitation de pouvoirs, constitue une irrégularité de fond.

Cette jurisprudence est désormais bien établie puisqu'elle a, une nouvelle fois, été confirmée dans un arrêt du 14 février 2018#5 : « un tiers peut se prévaloir des statuts d'une personne morale pour justifier du défaut de pouvoir d'une personne à figurer dans un litige comme le représentant de celle-ci ». En conséquence, la Cour d'appel a statué, à bon droit, en annulant l'assignation litigieuse après avoir énoncé qu'aucune disposition légale n'interdit aux tiers d'invoquer des limitations de pouvoirs des dirigeants sociaux. Il convient de relever qu'au cas d'espèce, la restriction de pouvoirs n'était pas intégrée dans les statuts : elle résultait d'une délibération de l'assemblée générale des associés. Mais, la solution reste la même !

Au-delà du droit processuel, par un arrêt du 15 février 2012, la chambre sociale avait ouvert une autre brèche en considérant qu'un salarié licencié pouvait se prévaloir de la clause statutaire d'une SAS prévoyant que les licenciements devaient être préalablement autorisés par les associés. Son inobservation rendait, en conséquence, le licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque cette clause « instituait une procédure de fond dont pouvait se prévaloir le salarié »#6.

Cependant, restait posée la question de la portée de ces arrêts : ces solutions ne devaient-elles pas se limiter au droit processuel avec une application stricte de l'article 117 du code de procédure civile et au droit du travail afin de protéger les salariés visés par une procédure de licenciement ? Où étaient-elles annonciatrices d'un principe général ? Finalement, l'arrêt du 14 juin dernier paraît consacrer l'invocabilité par les tiers des dépassements de pouvoirs des dirigeants, et ce quel que soit le domaine concerné.

Au cas d'espèce, la Cour de cassation prend d'ailleurs soin de préciser que le preneur, qui était devenu associé du GFA, devait être considéré comme un tiers à la date de la délivrance du congé litigieux dans la mesure où la donation des parts sociales ne lui avait été faite qu'après cette date. Ainsi, c'est par une substitution de motifs qu'elle affirme qu'un tiers « preneur à bail, pouvait se prévaloir des statuts du groupement bailleur pour justifier du dépassement de pouvoir commis par sa cogérante ».

Une protection des tiers sans limites ? Comment s'en prémunir ?

Cet arrêt, qui, rappelons-le, est publié au bulletin, parachève une construction jurisprudentielle en faveur de la protection des tiers : si ceux-ci ne peuvent se voir opposer par la société, qui souhaiterait échapper à ses obligations contractuelles, les dépassements de pouvoirs des dirigeants, ils peuvent, en revanche, invoquer les restrictions de pouvoirs des dirigeants.

Si, jusqu'ici, il s'agissait de neutraliser un acte unilatéral émis par la société (actes de procédure judiciaire, décision de licenciement, délivrance d'un congé), de nouvelles incertitudes naissent désormais. Un tiers pourrait-il, demain, tenter d'échapper à ses obligations contractuelles en excipant d'un dépassement de pouvoirs du dirigeant signataire? Certains auteurs#7 franchissent le pas. Cependant, un contrat ne doit-il pas être exécuté de bonne foi ? Et, comme d'autres#8 l'évoquent, ne faudrait-il pas que le tiers démontre un préjudice lié à la violation de la clause restrictive de pouvoirs ?

En tout état de cause, cette « toute-puissance » du tiers devrait, semble-t-il, pouvoir être écartée conventionnellement. En effet, la chambre commerciale#9 a précédemment reconnu (dans un arrêt, néanmoins, inédit) la validité d'une clause statutaire limitant l'invocabilité par les tiers d'une clause restreignant les pouvoirs des dirigeants. Elle a censuré la Cour d'appel qui avait donné raison au tiers alors que la clause limitative de pouvoirs interdisait aux tiers de s'en prévaloir.

Si ce point n'était pas en débat dans l'arrêt de la 3ème chambre civile du 14 juin 2018, on ne peut que conseiller, en pratique, au-delà de la simple mention d'une limitation de pouvoirs « à titre de règlement intérieur », de prévoir une clause expresse excluant toute possibilité d'invocation de telles restrictions par les tiers.

Si les discussions sur les restrictions des pouvoirs des dirigeants ne semblent pas prêtes de s'achever, espérons que la Cour de cassation vienne recadrer les débats ! En attendant, les sociétés concernées devraient être particulièrement attentives à la portée de telles clauses et, par mesure de prudence, exclure expressément la faculté pour les tiers de s'en prévaloir.

Cet article est paru dans Option Droit & Affaires, 12 décembre 2018, n°426

[1] Notamment Art. L. 225-56, I, al.3 C. com.; Art. 1849, al.3 C. civ.

[2] Cass. civ. 3, 14 juin 2018, n°16-28.672

[3] Art. L.322-1 C. rur.

[4] Cass. 2ème civ. 23 octobre 1985, n°83-12.007 et Cass. soc. 11 juin 1997, n°94-43.822

[5] Cass. com. 14 février 2018, n°16-21.077

[6] A rapprocher d'un précédent arrêt de la chambre sociale à propos d'un pacte d'actionnaires (Cass. Soc. 18 mars 2009 n°07-45.212)

[7] R. Mortier, « La généralisation de l'opposabilité par les tiers des restrictions de pouvoirs des dirigeants », Droit des sociétés n°10, Octobre 2018

[8] BRDA 14/18 n°2, paru le 15 juillet 2018

[9] Cass. Com. 13 novembre 2013, n°12-25.675​

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