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Juridique
Pénalités logistiques dans le monde de la distribution : un encadrement très renforcé pour tous les produits
Marie-Pierre Bonnet Desplan
La loi dite Egalim 2[1] s'attaque également[2] et ce de manière assez drastique aux pénalités de retard[3]. Le sujet avait déjà fait l'objet d'une recommandation de la CEPC en 2019, puis en 2020 d'une première règlementation sanctionnée au titre des pratiques restrictives de concurrence. Le cadre juridique est aujourd'hui extrêmement renforcé.
Le champ d'application de cette nouvelle réglementation des pénalités de retard ne se limite pas aux produits alimentaires. Le nouveau cadre s'applique à tous les produits. Il semble toutefois ne concerner que les relations entre fournisseurs et distributeurs. En effet, à la différence d'autres articles de la loi qui évoquent les « acheteurs », celui-ci vise spécifiquement les pénalités appliquées par les « distributeurs ».
Le caractère indemnitaire des pénalités est affirmé. Les pénalités « doivent être proportionnées au préjudice subi au regard de l'inexécution d'engagements contractuels ». Le texte va plus loin en disposant que « seules les situations ayant entrainé des ruptures de stocks peuvent justifier l'application de pénalités logistiques ». Et ce n'est que par exception que l'application des pénalités de retard est admise dans d'autres situations : « Par dérogation, le distributeur peut infliger des pénalités logistiques dans d'autres cas dès lors qu'il démontre et documente par écrit l'existence d'un préjudice. »
Est-ce à dire que les situations de rupture de stocks seraient présumées causes de préjudice, l'existence du préjudice devant être démontré dans les autres cas ?
En outre si les pénalités « doivent être proportionnées au préjudice subi », comment anticiper ce préjudice lors de la fixation du taux des pénalités dans le contrat ?
Et si ce taux a été insuffisamment fixé lors de la conclusion du contrat, le préjudice réel s'avérant beaucoup plus lourd, le distributeur sera-t-il en droit de réclamer le versement de dommages intérêts complémentaires aux pénalités afin d'obtenir l'entière indemnisation du préjudice ?
En d'autres termes, les pénalités ont-elles un caractère libératoire et sont-elles ou non soumises aux dispositions du Code civil relatives à la clause pénale (art 1231-5 du code civil) ?
La proportionnalité au prix d'achat. « Les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur ne peuvent dépasser un montant correspondant à un pourcentage du prix d'achat des produits concernés. » Ceci ne devrait pas exclure les pénalités fixées en valeur absolue dès lors qu'un maximum des pénalités encourues est déterminé à proportion des achats concernés par le retard.
Une tolérance dans l'application des pénalités. La tolérance apparait à plusieurs stades. Dans le fait générateur de la pénalité tout d'abord. Le contrat « prévoit une marge d'erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues par le contrat ». C'est la consécration de la pratique du taux de service.
Il est ensuite prévu que le fournisseur doit pouvoir informer le distributeur des retards à envisager : « Un délai suffisant doit être respecté pour informer l'autre partie en cas d'aléa. ». Mais quel est l'effet de ce délai de prévenance ? Est-il exonératoire des pénalités ? Cela n'est pas dit.
Enfin la tolérance est attendue lors de la mise en œuvre de la clause, c'est-à-dire de l'application de la pénalité, une fois le retard constaté. « Dès lors qu'il est envisagé d'infliger des pénalités logistiques, il est tenu compte des circonstances indépendantes de la volonté des parties. » Le législateur distingue cette hypothèse d'un retard dû à des circonstances indépendantes de la volonté d'une partie de l'hypothèse dans laquelle le retard résulte d'une situation de force majeure : « En cas de force majeure, aucune pénalité logistique ne peut être infligée. » Une situation de force majeure emporterait exonération totale de pénalités, alors qu'un retard dû à des circonstances indépendantes de la volonté du fournisseur, sans que ces circonstances aient été imprévisibles ou soient irrésistibles, n'entrainerait que sa modération. Le champ des discussions entre débiteur et créancier des pénalités sur la modération des pénalités est désormais largement ouvert.
Des pénalités à la charge du fournisseur comme du distributeur. A l'évocation des pénalités logistiques, on pense généralement aux retards de livraison des produits par le fournisseur. La loi rappelle pourtant qu' «En cas d'inexécution d'un engagement contractuel du distributeur, le fournisseur peut lui infliger des pénalités ». Le texte introduit à ce sujet un article spécifique au sein du code de commerce (art. L.441-18 du code de commerce), sans que l'on s'empêche de relever que les dispositions de modération (mesures de tolérance) prévues à propos des pénalités logistiques à la charge du fournisseur n'y sont pas reprises.
Une sanction par les pratiques restrictives de concurrence : « Le fait d'imposer des pénalités logistiques ne respectant pas l'article L 441-17 » vient enrichir la liste des pratiques restrictives de concurrence prévues par l'article L 442-1 I du code de commerce, à la suite de l'avantage sans contrepartie et du déséquilibre significatif, sanctionnées par la nullité de la clause, la responsabilité civile de l'auteur et l'amende civile de 5 millions d'euros. On remarquera que les pénalités infligées au distributeur ne sont pas concernées.
[1] Loi n°2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, JORF du 19 octobre 2021
[2] Voir notre précédent article : EGALIM 2 : La protection du prix des matières premières agricoles dans les négociations commerciales (ey-avocats.com)
[3] Nouveaux art. L.441-17 à L.441-19 du code de commerce