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Juridique
Le retour du prix de référence dans les promotions sur les prix
Marie-Pierre Bonnet-Desplan
Le prix de référence dans les promotions par réduction de prix aux consommateurs est de retour.
De quoi s'agit-il ? La réduction du prix est la forme de promotion la plus répandue, sans doute car la plus simple et la plus efficace pour attirer le chaland. Mais si réduction il y a, lorsqu'est par exemple annoncée une remise de 20 %, c'est bien par rapport à un prix de base, un prix de référence. Parfois l'annonceur identifie le prix de référence en le barrant et en proposant un prix réduit ; c'est la technique du « prix barré ». La promotion sera d'autant plus attractive pour le consommateur que la différence apparaissant entre le prix réduit et le prix de référence sera importante.
Si le prix de référence ne correspond pas à une réalité, le consommateur sera trompé sur la teneur de l'avantage qui lui est présenté en vue d'inciter son achat. Les consommateurs peuvent s'en plaindre ; les concurrents également puisqu'ils voient des ventes leur échapper. L'action éventuellement pénale sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses[1] permettra de sanctionner la pratique ; l'action civile en concurrence déloyale permettra de réparer le préjudice subi par les concurrents.
Reste à déterminer si le prix de référence utilisé par l'annonceur pour calculer et annoncer le taux de la remise constitue une référence valide, c'est-à-dire le vrai prix du produit ou du service. Rien de plus compliqué, par exemple lorsque le produit ou le service est offert par de multiples acteurs sur le marché ou lorsqu'il s'agit d'une offre de lancement.
Compte tenu de la difficulté d'appréciation, pendant de nombreuses années, et en France jusqu'en 2015[2], le prix de référence fut strictement défini. Il s'entendait du prix le plus bas pratiqué par le commerçant au cours des trente jours précédant le début de la promotion. Il existait certes quelques exceptions pour des situations particulières. La jurisprudence elle-même n'a pas manqué au fil des années d'adapter la règle afin de tenir compte de situations spécifiques. Des règles similaires existaient dans d'autres pays de l'Union Européenne, comme en Espagne. Cette définition stricte et objective avait le double mérite de faciliter les contrôles de l'administration et de sécuriser les entreprises qui savaient à quoi s'en tenir.
En 2005[3], la Directive relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs invita les Etats à faire table rase de toutes leurs règles en matière de publicité et de promotion des ventes. Le prix de référence n'y échappa pas. Le marché unique impliquait une réglementation unifiée. A défaut comment les entreprises pourraient-elles aisément commercer dans les différents Etats de l'Union ? Chaque pays, y compris la France, disposait d'une réglementation de la publicité et de la promotion des ventes complexe et précise. Pour unifier le cadre, il a été choisi d'identifier un élément commun. Cet élément commun fut trouvé : la loyauté envers le consommateur. Ainsi une publicité ou opération de promotion est valide si elle est loyale à l'égard du consommateur ; elle est invalide si est déloyale. Un principe donc et rien d'autre. Les Etats furent alors contraints – et parfois avec une certaine réticence- d'abandonner leur corps de règles et de supprimer de leur droit toutes les dispositions précises règlementant les différents types de promotion. La définition du prix de référence disparut alors.
Parallèlement s'est développé le e-commerce. Or le e-commerce use plus que largement de la promotion par le prix : à côté d'annonces sérieuses, fleurit en matière d'annonces de prix « tout et n'importe quoi ». Les premières victimes sont les consommateurs eux-mêmes. Victimes également, et peut-être plus encore, sont les distributeurs qui ne basent pas leur politique de vente sur le prix ou pas seulement. Les marques également, qui voient dans des pratiques parfois trop agressives (ou transgressives…) la cause d'un affaiblissement de leur image et d'une perturbation de leurs réseaux de vente.
Face à certains abus, les tribunaux ont réagi[4]. Ainsi, les annonceurs doivent justifier du prix de référence qu'ils appliquent. Les références dont ils se prévalent sont le plus souvent le prix conseillé par le fournisseur ou le prix communément constaté sur le marché, prix finalement assez difficile à identifier lorsque les offres et les canaux sont nombreux.
Compte tenu des dérives constatées, la Commission européenne a donc proposé de revenir à une définition stricte du prix de référence et relativement aisée à contrôler. Il s'agit du prix antérieur appliqué par le professionnel pendant une durée déterminée avant l'application de la réduction de prix. Bien sûr cette règle devra être adaptée à diverses situations.
Ainsi, la Directive du 27 novembre 2019[5] invite-t-elle les Etats membres à transposer dans leurs droits respectifs, au plus tard le 28 novembre 2021, les principes suivants :
« 1. Toute annonce d'une réduction de prix indique le prix antérieur appliqué par le professionnel pendant une durée déterminée avant l'application de la réduction de prix.
2. Le prix antérieur désigne le prix le plus bas appliqué par le professionnel au cours d'une période qui n'est pas inférieure à trente jours avant l'application de la réduction de prix.
3. Les États membres peuvent prévoir des règles différentes pour les biens susceptibles de se détériorer ou d'expirer rapidement.
4. Lorsque le produit est commercialisé depuis moins de trente jours, les États membres peuvent également prévoir une période plus courte que celle prévue au paragraphe 2. 5. Les États membres peuvent prévoir que, lorsque la réduction de prix est progressivement augmentée, le prix antérieur désigne le prix sans réduction avant la première application de la réduction de prix. ».
Certains se réjouiront de ce retour, notamment les marques et les distributeurs qui ont une pratique limitée de la promotion par le prix. D'autres se plaindront de cette liberté perdue et considèreront, parfois avec justesse, que la règle n'est pas adaptée à toutes les situations.
[1] C. consom., Art. L.121-2 à L.121-5, Art. L. 132-1 et svts
[2] Abrogation de l'arrêté du 31 décembre 2008 relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur par l'arrêté du 11 mars 2015 relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur
[3] Directive n°2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs en date du 11 mai 2005
[4] Ex. Cass. Crim., 11 juill. 2017, no 16-84.902 ; Cass. Com. 20 fév. 2019, n°17-13.215
[5] DIRECTIVE (UE) 2019/2161 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 27 novembre 2019 modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et les directives 98/6/CE, 2005/29/CE et 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne une meilleure application et une modernisation des règles de l'Union en matière de protection des consommateurs, publiée au JOUE le 18 décembre 2019