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Juridique

Le renforcement du dispositif juridique de déclaration des bénéficiaires effectifs ou la transparence à tout prix

06/03/2020

Murielle Brunner

A l'ère du « toujours plus de transparence », le dispositif juridique de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme fait figure de proue, tant au regard des moyens déployés pour sa mise en œuvre que des obligations et des sanctions qui s'y attachent.

C'est ainsi que, dans la continuité de la transposition au niveau national des directives européennes en la matière, dont la dernière en date est la cinquième Directive 2018/843[1] modifiant la Directive 2015/849[2], une ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020[3] et deux décrets respectivement n° 2020-118[4] et n°2020-119[5] du 12 février 2020, sont venus enrichir le dispositif juridique français existant.

Dans ce cadre, nous relaterons ici les principaux ajouts et modifications, entrés en vigueur le 14 février 2020, concernant aussi bien l'obligation d'identification des bénéficiaires effectifs que la déclaration de ceux-ci au Registre du commerce et des sociétés (RCS).

De nouvelles obligations et sanctions à la charge des sociétés et entités déclarantes et des entités non déclarantes…

L'ordonnance a en effet créé un article L. 561-45-1 du Code monétaire et financier (CMF) mettant à la charge des sociétés et entités qu'il définit[6] une obligation d'obtention et de conservation des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs. A l'instar de ce qui est prévu pour la déclaration des bénéficiaires effectifs, il convient de relever que sont exonérées de cette obligation les sociétés cotées. Il est à noter également que la liste des entités tenues par cette obligation est très large et concerne également des entités qui ne sont pas soumises à l'obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs au RCS comme par exemple, les organismes à but non lucratif. Il s'agit ainsi de renforcer l'obligation d'identification des bénéficiaires pour des entités qui n'étaient jusqu'ici pas tenues de déclarer leurs bénéficiaires effectifs car non immatriculées au RCS.

En outre, la loi précise que ces sociétés et entités sont tenues de fournir les informations relatives aux bénéficiaires effectifs aux personnes listées à l'article L. 561-2 du CMF, à savoir les professionnels assujettis aux obligations de vigilance à l'égard des clients et de leurs bénéficiaires effectifs.

En pratique, le recueil de ces informations ne devrait pas poser de difficulté particulière dans des petits groupes composés de sociétés ou d'entités soumises au droit français. Il en sera probablement tout autrement pour les sociétés et entités qui ont dans leur chaîne de détention des sociétés cotées et/ou de droit étranger issues de pays n'appartenant pas à l'Union Européenne et pour lesquelles l'information sur le ou les bénéficiaires effectifs ultimes pourra s'avérer difficile à obtenir.

D'autant plus que le fait pour ces sociétés et entités de ne pas fournir aux personnes mentionnées à l'article L. 561-2 du CMF ou de transmettre des informations inexactes ou incomplètes est puni des peines prévues à l'article L. 574-5 du CMF[7].

… mais également de nouvelles obligations et sanctions à la charge des bénéficiaires effectifs

Il est rappelé qu'il ne pesait jusqu'alors aucune obligation, ni aucune sanction sur les bénéficiaires effectifs eux-mêmes en cas de défaut de communication des informations les concernant ou en cas de communication d'informations inexactes ou incomplètes.

De nouvelles dispositions sont venues rétablir l'équilibre quant aux obligations et responsabilités entre les sociétés et entités concernées d'une part, et les bénéficiaires effectifs d'autre part.

C'est ainsi que le nouvel article L. 561-45-2 du CMF, pendant de l'article L. 561-45-1 précédemment cité, instaure une obligation, cette fois-ci à la charge des bénéficiaires effectifs, de fournir aux sociétés et entités qui le demandent[8] toutes les informations nécessaires au respect de leur propre obligation d'obtention et de conservation d'informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs.

Il est précisé à l'article R. 561-59 du CMF que les informations doivent être transmises par le bénéficiaire effectif à la société ou à l'entité dans un délai de 30 jours ouvrables à compter de la demande.

Cette nouvelle obligation est encadrée par deux jeux de sanctions pesant sur les bénéficiaires effectifs.

En premier lieu, lorsque le délai précité n'est pas respecté ou quand les informations fournies par le bénéficiaire effectif sont incomplètes ou erronées, la société ou l'entité concernée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins de voir ordonner, au besoin sous astreinte, la transmission de ces informations[9].

En second lieu, le fait pour le bénéficiaire effectif de ne pas transmettre à la société ou à l'entité les informations requises dans le délai précité ou de transmettre des informations inexactes ou incomplètes est puni des peines prévues à l'article L. 574-5 du CMF[10].

Les modifications relatives à la déclaration des bénéficiaires effectifs

L'article R. 561-56 2° b du CMF a été complété pour mentionner expressément que les informations relatives au bénéficiaire effectif déclarées lors d'une demande d'immatriculation ou d'inscription modificative au Registre du commerce et des sociétés, doivent contenir non seulement la nature et les modalités du contrôle exercé par le bénéficiaire effectif sur la société ou l'entité juridique déclarante, déterminées conformément aux articles R. 561-1, R. 561-2 ou R. 561-3 définissant les bénéficiaires effectifs, mais également l'étendue de ce contrôle.

Ce dernier ajout n'est pas anodin puisqu'il vient consacrer plus largement un apport provenant de la jurisprudence[11] quant au fait que la déclaration des bénéficiaires effectifs doit comporter la précision du pourcentage de détention en capital et/ou droits de vote au-delà du seuil de 25%.

Par ailleurs, concernant le dépôt de la déclaration des bénéficiaires effectifs lors de la demande d'immatriculation d'une société, le sursis n'est plus permis puisque le délai supplémentaire de 15 jours à compter de la délivrance du récépissé de dépôt du dossier pour effectuer le dépôt de la déclaration, a été supprimé de l'article R. 561-55 du CMF.

Ce point a son importance en pratique puisqu'avant la suppression de cette disposition, les demandes d'immatriculation de sociétés étaient traitées par les greffiers alors même que la déclaration des bénéficiaires effectifs n'avait pas encore été déposée, usant ainsi de la faculté du délai supplémentaire de 15 jours.

La société ou l'entité déclarante faisait alors l'objet d'une notification de la part du greffier en cas de non dépôt de ladite déclaration dans ce délai de 15 jours.

Désormais, il faudra être en mesure de produire cette déclaration dès le dépôt du dossier d'immatriculation auprès des greffiers, et donc avoir suffisamment anticipé le recueil des informations requises pour établir la déclaration au moment de la constitution de la société concernée.

L'accessibilité au public de certaines informations concernant les bénéficiaires effectifs

Il est rappelé qu'avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 12 février 2020, les informations concernant les bénéficiaires effectifs n'étaient accessibles qu'à une liste d'autorités et de personnes limitées telles qu'énumérées par l'article L. 561-46 du CMF.

Ce même article, modifié par ladite ordonnance, permet désormais au public d'accéder à certaines informations relatives aux bénéficiaires effectifs, à savoir le nom, le nom d'usage, le pseudonyme, les prénoms, le mois, l'année et le lieu de naissance, le pays de résidence, la nationalité, ainsi que la nature et l'étendue des intérêts effectifs qu'ils détiennent dans la société ou l'entité déclarante.

A cet égard, on peut légitimement s'interroger sur le fait de donner accès au public à des données relatives à l'état civil de certains bénéficiaires effectifs tels que les mineurs.

Sur ce point, la Directive 2018/843 précitée offrait la possibilité aux Etats membres, notamment lorsque le bénéficiaire effectif est un mineur ou est frappé d'incapacité, de prévoir des dérogations concernant l'accès à tout ou partie des informations sur les bénéficiaires effectifs au cas par cas. Néanmoins la France n'a pas usé de cette faculté ce qui peut paraître regrettable.

Sur les aspects pratiques de l'accessibilité au public, les nouveaux textes fournissent peu d'informations en dehors de l'article L. 561-46 modifié du CMF qui précise que l'accès sera gratuit.

La mise en place d'un mécanisme de signalement des divergences

Après la mise en place d'obligations à la charge des bénéficiaires effectifs et des sociétés et entités déclarantes, de sanctions en cas de déclarations inexactes ou incomplètes et d'un contrôle des déclarations effectué par les greffiers, il n'est pas étonnant qu'un mécanisme de signalement des divergences vienne compléter le dispositif afin de renforcer la véracité des informations déclarées.

C'est désormais chose faite avec le nouvel article L. 561-47-1 du CMF.

Les personnes mentionnées à l'article L. 561-2 du CMF et, dans la mesure où cela s'inscrit dans l'exercice normal de leurs contrôles, les autorités mentionnées au I de l'article L. 561-36 du CMF, signalent au greffier du tribunal de commerce toute divergence qu'elles constatent entre les informations inscrites dans le registre des bénéficiaires effectifs et les informations dont elles disposent elles-mêmes, y compris l'absence d'enregistrement de ces informations. Le greffier invite dans ce cas la société ou l'entité déclarante à régulariser son dossier. Faute pour la société ou l'entité de déférer à cette invitation dans le délai d'un mois à compter de cette dernière, le greffier saisit le président du tribunal. On peut logiquement penser que, lorsque la personne ne défère pas à l'injonction délivrée par le président, le greffier pourra en aviser le procureur de la République et lui adresser une expédition de la décision[12].

En cas de divergence sur une information déclarée, une mention d'office est portée au registre par le greffier, et cette même mention pourra être supprimée dès que la société ou l'entité immatriculée a procédé à la rectification de l'information concernée[13].

Même si la nécessité d'un recoupement des informations déclarées tombait déjà sous le sens avant la mise en place de ce mécanisme, les groupes de sociétés prendront soin de déposer des déclarations dans lesquelles seront mentionnées des informations concordantes pour chacune de leurs sociétés et entités. Ils devront, ainsi, en pratique, s'assurer de l'absence de divergences en centralisant les informations sur les bénéficiaires effectifs.

Il résulte de ces mesures que les sociétés et entités soumises à l'obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs se montreront prudentes, en se ménageant par écrit une preuve de l'étendue des diligences entreprises pour identifier leurs bénéficiaires effectifs et recueillir les informations nécessaires les concernant.

Il va de soi que dans les groupes de sociétés, les demandes d'informations précises et régulières des filiales concernant les bénéficiaires effectifs permettront d'effectuer les mises à jour dans les délais imposés par le CMF et renforceront leur bonne foi.

Jusqu'où ira-t-on ? A peine expiré le délai de transposition de la dernière directive, la Commission réfléchirait déjà à l'adoption d'un règlement européen[14].


[1] Directive (UE) 2018/843 du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2018

[2] Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015

[3] Ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (JO 13/02/2020), prise sur le fondement de l'article 203 de la loi dite « PACTE » n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (JO 23/05/2019)

[4] Décret n° 2020-118 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (JO 13/02/2020)

[5] Décret n° 2020-119 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (JO 13/02/2020)

[6] Les sociétés et entités déclarantes telles que définies par l'article L. 561-45-1 du CMF sont les suivantes :

« 1° Lorsqu'elles sont établies sur le territoire français conformément à l'article L. 123-11 du code de commerce, les sociétés et entités mentionnées aux 2°, 3° et 5° du I de l'article L. 123-1 du même code autres que les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé en France ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou qui sont soumises à des obligations de publicité conformes au droit de l'Union ou qui sont soumises à des normes internationales équivalentes garantissant la transparence adéquate pour les informations relatives à la propriété du capital ;

2° Les placements collectifs ;

3° Les associations, fondations, fonds de dotation, fonds de pérennité, groupements d'intérêt collectif établis sur le territoire français ainsi que les fiduciaires au sens de l'article 2011 du code civil et les administrateurs de tout autre dispositif juridique comparable relevant d'un droit étranger. »

[7] Article L. 574-5 du CMF : « Est puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 7 500 euros le fait de ne pas fournir aux personnes mentionnées à l'article L. 561-2, dans le cadre des mesures de vigilance prévues à la section 3 du chapitre Ier du titre VI, ou de ne pas déclarer au registre du commerce et des sociétés les informations relatives aux bénéficiaires effectifs requises en application du premier alinéa de l'article L. 561-46, ou de déclarer des informations inexactes ou incomplètes.

Les personnes physiques déclarées coupables de l'infraction prévue au premier alinéa encourent également les peines d'interdiction de gérer prévue à l'article 131-27 du code pénal et de privation partielle des droits civils et civiques prévue au 2° de l'article 131-26 du même code.

Les personnes morales déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal, de l'infraction prévue au premier alinéa encourent, outre l'amende suivant les modalités prévues par l'article 131-38 du code pénal, les peines prévues aux 1°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l'article 131-39 du même code. »

[8] Telles que définies à l'article L. 561-45-1 du CMF (cf. note 6)

[9] Article L. 561-45-2 du CMF

[10] Article L. 574-6 du CMF (cf. note 7)

[11] CA Lyon 12 septembre 2019, n°19/02040 ; T. com. Bobigny 18 mai 2018, n°2018S07031

[12] Article L.561-48 du CMF

[13] Article R.561-64 du CMF

[14] Annick Masounave, « La Commission réfléchit à un règlement antiblanchiment », 7 février 2020, L'AGEFI Quotidien

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