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Juridique
Information relative à la loi du 3 décembre 2020 dite « DDADUE »
Marie-Pierre Bonnet Desplan, Morgane Gandaubert, Louis Bataille
Après la loi ASAP, voici la loi dite « DDADUE »[1] ! Datée du 3 décembre 2020, il s'agit d'une loi de transposition globale du droit de l'Union européenne, globale en ce sens qu'elle porte sur des sujets tout aussi différents que la réglementation douanière et financière (notamment lutte contre le blanchiment), la communication audiovisuelle, la conformité des produits mais également le droit de la consommation, le droit commercial et le droit de la concurrence.
Vous trouverez ci-dessous un focus sur les apports de la nouvelle loi concernant la matière économique au sens large.
1. Les relations avec les consommateurs
Geo-blocking et e-commerce[2] : Pas de barrière au sein de l'UE comme au sein du territoire national
En clair, un consommateur résidant dans un Etat membre de l'Union européenne (« UE ») doit pouvoir acheter auprès du site de son choix, même si ce site est dédié à la clientèle d'un autre Etat membre.
Ce principe figure dans un Règlement Européen du 28 février 2018[3], à charge pour chaque Etat membre de prévoir sa mise en œuvre et les sanctions applicables. C'est là l'objet de la loi DDADUE.
Il est notamment interdit (1) de limiter ou bloquer l'accès d'un client à l'interface en ligne pour des motifs liés à sa nationalité, son lieu de résidence ou d'établissement, (2) de rediriger un consommateur sans son consentement vers l'interface en ligne dédiée à raison de sa nationalité ou de sa langue, (3) d'imposer des conditions générales de vente et notamment de prix discriminatoires en fonction de la nationalité, du lieu de résidence ou d'établissement ce qui n'interdit pas toutefois la différentiation tarifaire entre les sites eux-mêmes, (4) de discriminer en fonction des moyens de paiement acceptés et notamment leur « nationalité ».
Il est à noter que ces interdictions s'appliquent aussi à l'égard d'un consommateur résidant en France souhaitant acheter sur un site français. En effet, le législateur est allé plus loin que le règlement en interdisant également les pratiques de geo-blocking se déroulant exclusivement sur le territoire français, l'intention étant ici de protéger les consommateurs ultramarins qui pourraient être victimes de ces pratiques de la part de professionnels installés en métropole[4].
Toutefois, ces pratiques ne sont interdites que si elles ne peuvent faire l'objet d'aucune justification. Ainsi, le blocage, la limitation de l'accès ou la redirection peuvent être nécessaires en vue de satisfaire une exigence légale applicable aux activités du professionnel.
Les manquements sont sanctionnés en France par une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75.000 euros pour les personnes morales. Toute clause dans un contrat obligeant un professionnel à agir en violation des règles de géo-blocking serait nulle (article 6 §2 du règlement). Il est à noter que le législateur italien a fixé une sanction administrative pécuniaire d'un montant pouvant varier entre 5.000 et 5 millions d'euros, le législateur néerlandais une sanction administrative d'un montant pouvant aller jusqu'à 900.000 euros, et le législateur allemand une sanction d'un montant maximum de 300.000 euros. En conséquence, certains Etats membres ont adopté des sanctions bien plus dissuasives que le législateur français.
Le contrôle de ces règles est assuré en France par la DGCCRF qui, s'agissant d'une amende administrative, prononce aussi la sanction.
Ces nouvelles obligations étant entrées en vigueur le 5 décembre 2020, chaque professionnel doté d'un site de e-commerce doit maintenant voir comment mettre en œuvre ces exigences en fonction de ses contraintes logistiques et de sa politique commerciale, notamment en cas de différentiation tarifaire ou promotionnelle d'un pays à l'autre au sein de l'UE.
Pouvoirs renforcés de l'administration afin de faire supprimer la diffusion de contenus illicites[5] en ligne [6] :
Cette mesure concerne notamment les ventes en ligne, la conformité et la sécurité de produits présentés en ligne et le crédit à la consommation.
Le texte donne des pouvoirs supplémentaires à l'administration aux fins de faire cesser la publication des contenus illicites en :
- imposant l'affichage d'un message sur le site avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu'ils accèdent au contenu manifestement illicite ;
- intervenant directement auprès des opérateurs de plateformes en ligne pour que le référencement du contenu illicite cesse ;
- demandant le blocage temporaire ou définitif d'un nom de domaine.
Ces mesures doivent être mises en œuvre dans un délai fixé par l'administration qui est d'au moins 48 heures, et leur non-respect est passible d'une sanction pénale[7].
Habilitation du gouvernement à prendre par voie d'ordonnances les mesures suivantes :
- Dans un délai de quatorze mois à compter du 4 décembre 2020, transposer la directive « omnibus » du 27 novembre 2019[8] qui vise à moderniser le droit de la consommation.
Les principales améliorations attendues sont la transparence accrue lors d'achats en ligne, notamment lorsque les consommateurs utilisent une place de marché en ligne, et lors des annonces de réduction de prix, mais aussi l'application de sanctions effectives et harmonisées ;
- Dans un délai de dix mois à compter du 4 décembre 2020, transposer la directive portant sur les conditions applicables aux contrats entre consommateurs et professionnels pour la fourniture de biens et les critères de conformité[9];
- Dans un délai de dix mois à compter du 4 décembre 2020, la directive relative aux contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques[10].
2. Les relations interentreprises
L'application en France[11] du règlement dit « P2B »[12] :
Ce règlement en date du 20 juin 2019, applicable dans toute l'Union européenne depuis le 12 juillet 2020, concerne les relations entre les plateformes en ligne[13] et les entreprises qui les utilisent notamment pour diffuser leurs offres (« marchands », hôtels, etc.). Il ne s'agit donc pas ici de régir les relations entre les plateformes et les consommateurs, du moins pas directement.
Le règlement « P2B » met en place le cadre légal suivant :
- Règlementation des conditions générales :
Celles-ci doivent répondre à une exigence de clarté et d'accessibilité, et doivent être le support d'un certain nombre d'informations, notamment la définition des motifs justifiant la suspension ou la résiliation des services, les paramètres déterminant le classement des produits ou services, ou encore les raisons de tout traitement différencié.
Tout changement des conditions générales doit être communiqué aux entreprises utilisatrices sur un support durable, et les changements proposés ne peuvent être appliqués avant l'expiration d'un délai raisonnable d'au moins 15 jours, délai pendant lequel l'entreprise a la possibilité de résilier le contrat.
- Obligations de transparence : La décision de suspension ou de restriction des services doit être transmise avec un exposé des motifs avant sa prise d'effet ou au moment de sa prise d'effet, tandis que la décision de résiliation doit être transmise avec un exposé des motifs au moins 30 jours avant sa prise d'effet. Concrètement, cela signifie que les plateformes en ligne ne pourront plus suspendre ou fermer des comptes sans motiver de façon claire leur décision et/ou sans offrir de possibilité de recours effectif, au travers d'un système interne de traitement des plaintes.
- Mise en place d'un système interne de traitement des plaintes : Le fournisseur doit permettre aux entreprises de pouvoir apporter des explications quant aux faits et aux circonstances en cas de restriction, suspension ou résiliation du service, et doit garantir un suivi effectif et transparent des plaintes des entreprises utilisatrices en rapport avec le service. Le recours à la médiation est par ailleurs encouragé.
Le non-respect de ce nouveau cadre légal constitue une nouvelle pratique restrictive de concurrence, tout comme le déséquilibre significatif ou l'absence de contrepartie, avec les conséquences que l'on connait : la nullité des clauses concernées, la mise en cause de la responsabilité civile de l'auteur des pratiques et une amende civile pouvant aller jusqu'au plus élevé des trois montants suivants : 5 millions d'euros, le triple du montant des avantages indûment perçus ou 5% du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques.
Pouvoir d'injonction de l'administration renforcé[14] :
Pour rappel, un certain nombre de pratiques interentreprises interdites sont sanctionnées par des amendes civiles (ex. déséquilibre significatif dans les contrats, rupture brutale de relations commerciales).
Pour les manquements sanctionnés par une amende civile (ex. déséquilibre significatif, le règlement P2B évoqué ci-dessus), l'administration dispose désormais de la possibilité d'assortir son injonction de cessation de la pratique d'une astreinte journalière d'un montant maximum de 0,1% du chiffre d'affaires mondial hors taxes de l'entreprise concernée réalisé au cours de l'exercice écoulé. Le total des sommes demandées au titre de l'astreinte ne peut toutefois pas excéder 1% du chiffre d'affaires mondial hors taxes.
Cette décision d'injonction peut faire l'objet, en cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, d'une publication sur le site de l'administration et sur un support d'annonces légales aux frais de la personne sanctionnée, voire sur d'autres supports.
Transposition de la directive (UE) 2019/633 du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire :
Cette directive vise à lutter contre certaines pratiques qui ont cours entre fournisseurs et distributeurs opérant dans le secteur alimentaire, notamment les paiements tardifs, en mettant en place des délais spécifiques de paiement maximum des fournisseurs, les modifications des commandes, les frais injustifiés ou encore les menaces de représailles.
Le gouvernement est habilité à prendre par voie d'ordonnance dans un délai de sept mois à compter du 4 décembre 2020, date de publication de la loi, les mesures nécessaires à la transposition de la directive.
L'habilitation précise que les pratiques seraient applicables aux relations interentreprises sans condition de chiffres d'affaires contrairement aux termes de la directive qui fixent des seuils dans le cadre de son champ d'application. Il s'agira, en conséquence, de rester vigilant sur la transposition proposée et notamment sur le point de savoir si le texte européen est transposé de manière extensive, la directive prévoyant que les Etats membres peuvent maintenir ou introduire des règles plus strictes que celles énoncées dans la directive.
La cession de créances[15] :
Le dispositif légal prévoyant la nullité des clauses ou contrats interdisant à son cocontractant la cession de sa créance à un tiers est rétabli. Il s'agit d'une mesure qui avait été supprimée par l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce.
Pour rappel, s'agissant d'une pratique restrictive de concurrence, le non-respect de cette disposition est puni d'une amende civile pouvant aller jusqu'au plus élevé des trois montants suivants : 5 millions d'euros, le triple du montant des avantages indûment perçus ou 5% du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques.
3. Le droit de la concurrence
Habilitation du gouvernement à transposer la Directive du 11 décembre 2018 dite "ECN+" afin de renforcer les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles[16].
Le gouvernement est habilité à prendre par voie d'ordonnance dans un délai de six mois à compter du 4 décembre 2020, date de publication de la loi, les mesures nécessaires.
La directive ECN+ prévoit notamment la possibilité de prononcer des injonctions structurelles dans le cadre de procédures contentieuses concernant des pratiques anticoncurrentielles, de rejeter les saisines ne correspondant pas aux priorités de l'institution (opportunité des poursuites) ou de se saisir d'office afin d'imposer des mesures conservatoires.
Les modifications directement effectuées par la loi DDADUE :
- L'outre-mer : On sait que les collectivités d'outre-mer font désormais l'objet d'une attention particulière en matière de concurrence de sorte à lutter contre le caractère élevé des prix. Pour exemple, les clauses d'exclusivité d'importation y sont interdites.
- La loi crée une nouvelle incrimination : la prohibition de pratiques visant, pour une entreprise exerçant une activité de grossiste importateur ou de commerce de détail, à appliquer, dans certaines collectivités d'outre-mer, des conditions discriminatoires relatives à des produits ou services pour lesquels existe une situation d'exclusivité d'importation de fait[17].
- Par ailleurs, le dispositif d'injonctions structurelles applicables dans certaines collectivités d'outre-mer est simplifié, notamment par le remplacement de la condition tenant à l'existence d'une « atteinte à une concurrence effective » par de simples préoccupations de concurrence.
- Les opérations de visites et saisies (OVS) : Un seul juge des libertés et de la détention (JLD) aura désormais compétence nationale pour autoriser des OVS se déroulant simultanément dans plusieurs lieux du territoire. Ainsi, lorsque les lieux à visiter sont situés en dehors du ressort de son tribunal judiciaire, le JLD n'est plus tenu de délivrer une commission rogatoire au JLD du ressort dans lequel s'effectue la visite, il peut assurer lui-même le contrôle du déroulement des opérations[18].
- La simplification de la procédure contentieuse. Plusieurs mesures doivent être relevées : la suppression de l'avis de clémence ; l'élargissement des cas dans lesquels le président de l'Autorité de la concurrence, ou un vice-président désigné par lui, peut statuer seul ; l'extension de la faculté de rejet de certaines saisines au profit du ministre de l'économie ; l'élargissement de la procédure contentieuse simplifiée et la suppression du plafond de 750.000 euros pour la sanction encourue lorsque l'Autorité statue selon la procédure simplifiée, c'est-à-dire sans établissement préalable d'un rapport).
- L'abandon du critère tenant à la dimension locale du marché justifiant l'intervention du ministre de l'économie en matière de pratiques « locales » (aussi appelées « micro-pratiques anticoncurrentielles »), seul subsistant le critère lié au chiffre d'affaires des entreprises concernées (article L. 464-9 alinéa 1er modifié du code de commerce).
- La suppression de l'information préalable de l'Autorité de la concurrence de tout projet de révision des prix ou des tarifs réglementés.
Au-delà des mesures directement transposées ou adaptées par la loi DDADUE, l'actualité législative sera encore riche dans le domaine économique avec l'adoption des différentes ordonnances attendues !
[1] Loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, JORF 4 décembre 2020
[2] Articles L. 132-24-1 et L. 121-23 du code de la consommation
[3] Règlement (UE) 2018/302 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2018 visant à contrer le blocage géographique injustifié et d'autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d'établissement des clients dans le marché intérieur
[4] Article L. 121-23 nouveau du code de la consommation
[5] Contenus portant atteinte aux intérêts économiques du consommateur, par exemple les pratiques commerciales déloyales, et manquements aux règles relatives à la sécurité des produits
[6] Article L. 521-3-1 du code de la consommation
[7] En effet, l'article L.532-5 nouveau du code de la consommation renvoie aux peines prévues au 1 du VI de l'article 6 de la loi « LCEN » du 21 juin 2004, prévoyant, pour les personnes physiques, une peine d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende, qu'il convient de multiplier par cinq pour les personnes morales en vertu de l'article 131-38 du code pénal.
[8] Directive (UE) 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et les directives 98/6/CE, 2005/29/CE et 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne une meilleure application et une modernisation des règles de l'Union en matière de protection des consommateurs
[9] Directive (UE) 2019/771 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens, modifiant le règlement (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE et abrogeant la directive 1999/44/CE
[10] Directive (UE) 2019/770 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques
[11] Article L. 442-1 III du code de de commerce
[12] Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne
[13] Les plateformes s'entendent des entreprises fournissant des services d'intermédiation en ligne, c'est-à-dire des services permettant à des entreprises utilisatrices d'offrir des biens ou des services en ligne à des consommateurs et facilitant les transactions (ex. Amazon, App Store, Google Play ou les réseaux sociaux).
[14] Article L. 470-1 du code de commerce
[15] Article L. 442-3 du code de commerce
[16] Directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.
[17] Article L. 420-2-1, alinéa 2 nouveau du code de commerce
[18] Article L. 450-4, alinéa 3 modifié du code de commerce