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Juridique
EGALIM 2 : La protection du prix des matières premières agricoles dans les négociations commerciales
Marie-Pierre Bonnet Desplan
Chaque année ou presque, un texte nouveau vient « enrichir » le cadre légal des négociations entre fournisseurs et acheteurs. Le cru 2021 est là, avec la loi dénommée EGALIM 2[1].
L'objectif de la loi, est de protéger la rémunération des agriculteurs dont on considère qu'elle est potentiellement mise sous pression, en aval de la chaîne, lors des négociations sur le prix des produits industriels composés de matières premières agricoles. Le texte intervient donc une nouvelle fois sur cette négociation des prix entre fournisseurs de produits comportant des matières premières agricoles et leurs acheteurs[2].
La « sanctuarisation » d'une partie du prix. Pour atteindre cet objectif, le procédé mis en place est la « sanctuarisation » dans le prix des produits alimentaires (et ceux destinés à l'alimentation des animaux de compagnie), de la part de ce prix correspondant aux matières premières agricoles qui le composent (les « MPA »).
En d'autres termes, cette part du prix du produit (biscuits, pâtes, compotes, pizzas, couscous, etc.) correspondant aux matières premières agricoles sera placée hors négociation avec l'acheteur. Fournisseurs et acheteurs pourront négocier la part restante du prix du produit, mais non celle correspondant aux matières premières agricoles composant ledit produit.
Qui est concerné ? Toute la chaîne, toutes les ventes de produits agroalimentaires (hormis certains produits exclus par voie de décret[3]).
Si certaines dispositions du cadre légal visent la vente aux distributeurs, le texte instituant ce mécanisme vise les « acheteurs », terme plus générique. Les grossistes échappent néanmoins au texte, pour leurs achats comme pour leurs ventes. Les grossistes étant définis à l'article L. 441-4, II du code de commerce de manière large, certains pourront être tentés de se qualifier ainsi.
Qu'entend-on par « MPA » ? Il s'agit des matières premières agricoles elles-mêmes ainsi que, par extension, des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles.
La transparence, clef de voûte du mécanisme. Pour exclure de la négociation avec l'acheteur la part des MPA et assimilés composant le prix du produit figurant au tarif du fournisseur (ex. des biscuits), la logique veut que cette part des MPA soit identifiée. Or, identifier la part du prix de son produit correspondant aux MPA aboutit pour nombre de fabricants à dévoiler leur structure de coût, une information qui peut paraître bien sensible et que lesdits fabricants ont bien des réticences à dévoiler à leurs acheteurs… Pour un juriste, cette structure du prix relèverait du secret des affaires, secret désormais bien reconnu et protégé par les articles L. 151-1 et suivants du code de commerce et que le législateur a jugé bon de rappeler de manière spécifique aux acheteurs de produits agricoles et alimentaires à l'article L. 443-6 du même code[4]. Cela suffira-t-il dans la réalité ?
Les trois options. Le texte donne au fournisseur trois options.
La première option offerte au fournisseur est d'indiquer dans ses Conditions Générales de Vente (« CGV »), pour chacune des MPA concernées, leur part dans la composition du produit, sous la forme d'un pourcentage en volume et d'un pourcentage de son tarif, donc en prix. La transparence est ici totale.
La seconde option propose toujours la transparence, mais moins intégrale, puisque le fournisseur indiquera dans ses CGV la part agrégée des MPA entrant dans la composition de son produit, toujours sous la forme d'un pourcentage en volume et d'un pourcentage de son prix figurant au tarif.
Enfin, la troisième option tente de concilier l'objectif du texte et le secret auquel le fournisseur pourrait légitiment prétendre. Les CGV peuvent prévoir l'intervention d'un tiers indépendant, aux frais du fournisseur (et cela n'est pas neutre pour un certain nombre de (petites) entreprises), chargé de certifier au terme de la négociation que celle-ci n'a pas porté sur la part de l'évolution du tarif qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles. Le fournisseur dévoile alors au seul tiers les éléments lui permettant de procéder à la certification, ce qui supposerait que le secret des affaires a été respecté. Reste que l'on peut s'interroger sur la manière dont les parties vont pouvoir mener la négociation si l'une d'elles ignore quelle est la partie du tarif du fournisseur qui est « sanctuarisée », c'est-à-dire non négociable. Cette troisième option n'est toutefois pas ouverte à tous et dans tous les cas. En effet, son objet est d'assurer que l'augmentation du tarif du fournisseur de l'année n à l'année n+1, due à une variation du prix des MPA, n'a pas été impactée par la négociation. Ceci implique donc un prérequis, à savoir l'existence d'une « évolution » du tarif du fournisseur entre l'année n et l'année n+1 due, excluant de fait les nouveaux produits au catalogue du fournisseur ou encore les produits composés de matières premières agricoles non impactées par une augmentation de leur coût entre l'année n et l'année n+1.
Une contestation portant sur la structure du prix ? La part des MPA en volume et en prix est déterminée par le fournisseur dans ses CGV pour ce qui concerne les options 1 et 2. C'est moins clair dans l'option 3, mais cela paraît implicite. Il n'est pas exclu que les acheteurs soient en désaccord avec le fournisseur sur la teneur de cette part non négociable, soit parce qu'ils connaissent les cours des MPA concernées, soit parce qu'ils connaissent la composition et le coût de produits équivalents achetés en marque de distributeur (« MDD »), ou soit parce qu'ils estiment que les fournisseurs ont eux-mêmes « mal acheté ».
Ils peuvent contester l'évaluation faite par le fournisseur dans ses CGV, cette contestation devant intervenir dans le mois suivant la réception des CGV[5].
Une faculté de contrôle portant précisément sur la part des MPA leur est également ouverte[6], l'acheteur pouvant, à ses frais, demander au fournisseur de mandater un tiers indépendant pour attester de l'exactitude des éléments figurant dans les CGV. Les discussions sur ce sujet n'attendront certainement pas l'intervention d'un tiers indépendant…
L'évolution des prix en cours de contrat. Le fournisseur établit son tarif à un instant donné, sur la base des coûts d'achat des matières premières qu'il connait à ce moment-là.
Les mécanismes de rattrapage des évolutions des coûts d'approvisionnement en cours de contrat sont maintenus, de sorte que le prix convenu à l'issue de la négociation pourra encore varier dans l'année. Il pourra varier de manière automatique par le jeu de la clause de révision des prix[7] sur la base de la variation des indicateurs prévus par le code rural et de la pêche maritime[8] .
Il pourra également varier sur négociation par le jeu des clauses de renégociation étendues puisque désormais applicables en cas de variation des coûts du transport, des matières entrant dans la fabrication des emballages ou de tous produits agricoles sans que leur liste soit désormais limitée[9].
Le cas échéant, la question pourrait se poser d'utiliser les autres voies du droit des contrats, telles que la force majeure ou l'imprévision.
Quelle est la sanction ? La violation de cette « sanctuarisation » est sanctionnée par une amende administrative de 375.000 euros pour les personnes morales[10].
Quelle est l'entrée en vigueur de ce nouveau dispositif de sanctuarisation d'une partie du prix ? L'article 16 de la loi EGALIM 2 prévoit un dispositif transitoire d'entrée en vigueur assez complexe. S'agissant de l'obligation de transparence susvisée, l'entrée en vigueur est quasi immédiate puisque le nouvel article L.441-1-1 du code de commerce s'applique aux CGV communiquées depuis le 1er novembre dernier. La convention conclue sur la base de négociations fondées sur ces CGV devra également être soumise aux nouvelles dispositions de l'article L.443-8 du code de commerce.
Le texte comporte bien d'autres dispositions. Nous citerons ici sans exhaustivité et sans rentrer dans le détail, pour les seuls produits alimentaires à destination des humains et des animaux, le retour de l'interdiction de la discrimination, le retour du ligne à ligne, le renforcement de l'encadrement des contrats MDD.
Le texte régule également, cette fois pour tous les produits, la pratique des pénalités logistiques.
Et l'international ? Nous laisserons ce sujet – essentiel - sous silence, sauf à nous engager dans une analyse juridique extrêmement fouillée et peut-être non conclusive…
Tout comme nous ne développerons pas ici les innombrables questions et interprétations soulevées par le texte auxquelles les entreprises tentent de répondre afin de se mettre en conformité et d'éviter de se mettre en danger…
[1] Loi n°2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, JORF du 19 octobre 2021
[2] En particulier, nouveaux articles L. 441-1-1 et L. 443-8 du code de commerce
[3] Décret n°2021-1426 du 29 octobre 2021 fixant la liste des produits alimentaires, catégories de produits alimentaires ou produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie exclus du champ d'application de l'article L.441-1-1 du code de commerce
[4] Cet article dispose que : « L'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicites de secrets d'affaires, au sens des articles L. 151-4, L. 151-5 et L. 151-6, par un acheteur de produits agricoles et alimentaires est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale.
Le maximum de l'amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. »
[5] Article L.443-8 V, C du code de commerce
[6] Article L.441-1-1 II du code de commerce
[7] Article L. 443-8 IV du code de commerce
[8] Article L. 631-24 III du code rural et de la pêche maritime
[9] Article L. 441-8 du code de commerce
[10] Application de l'article L.443-8 VII du code de commerce sur renvoi de l'article L.441-1-1 du code de commerce – A noter que le maximum de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive