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Juridique

Covid-19 et inexécution des obligations de paiement : le report des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance est-il applicable ?

26/05/2020

Marie-Pierre Bonnet Desplan, Sylvia Guérin, Pascale d’Ancona

L'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a mis en place un mécanisme de report des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance en cas d'inexécution dans le délai convenu par une entreprise de ses obligations contractuelles. Ce mécanisme, qui a été revu par une ordonnance rectificative n° 2020-427 du 15 avril 2020, nous amène à nous interroger sur son applicabilité aux inexécutions des obligations de paiement.

Si, dès l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, le gouvernement mettait en place des mesures spéciales visant à reporter l'application des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et de déchéance en cas d'inexécution par une entreprise de ses obligations dans le délai convenu, ces mesures visaient indistinctement l'ensemble des obligations des parties à un contrat et ne comportaient pas de précisions relatives aux obligations de paiement. Le rapport au Président accompagnant l'ordonnance ainsi que la circulaire de présentation du 30 mars étaient également silencieux sur le sujet.

Ainsi, il semblait possible de penser que le mécanisme de report des astreintes et clauses sanctionnant les inexécutions contractuelles mis en place par l'ordonnance s'appliquait également en cas de non-respect des obligations de sommes d'argent, si bien que les paiements pouvaient, eux aussi, être reportés conformément au mécanisme prévu. Toutefois, aucune position officielle ne permettait de confirmer cette interprétation.

Au contraire, alerté par la dégradation des délais de paiement, le gouvernement mettait en place un comité de crise dédié, placé sous l'égide du Médiateur des entreprises et du Médiateur du crédit, laissant plutôt penser à une exigence accrue du respect des délais contractuels (et légaux) de paiement. Surtout, le gouvernement annonçait par voie de presse, fin mars également, que les entreprises qui ne respecteraient pas les délais de paiement vis-à-vis de leurs fournisseurs ne bénéficieraient des prêts garantis par l'Etat. Si cette condition n'a, à notre connaissance, jamais été expressément spécifiée dans un texte, elle est rappelée tant dans la foire aux questions relative aux prêts garantis par l'Etat que directement sur le site du ministère de l'économie.

Depuis lors, la question de l'inexécution des obligations de sommes d'argent a fait l'objet d'une - relative - clarification.

En effet, l'ordonnance rectificative n° 2020-427 du 15 avril est venue affiner le dispositif de report des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance, en distinguant selon que les obligations sont échues avant, pendant ou après la fin de la période juridiquement protégée. S'agissant du dispositif applicable aux obligations échues après la fin de la période juridiquement protégée (fixée au 23 juin à minuit depuis l'ordonnance n° 2020-560 du 13 mai), et seulement celles-ci, le texte précise que ne sont concernées que les obligations « autres que de sommes d'argent », excluant de fait les obligations monétaires de ce dispositif de report. La justification avancée par le rapport accompagnant le texte est que, passée la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs auront vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement).

Il faut donc comprendre, ce qui est confirmé par la circulaire de présentation du 17 avril, que les obligations de sommes d'argent exigibles à partir du 24 juin ne bénéficient pas du régime dérogatoire instauré par les ordonnances (à toutes fins utile, il convient de rappeler que ce régime n'exonère pas le débiteur d'exécuter son obligation dans le délai prévu, mais en limite les conséquences de l'inexécution en paralysant momentanément l'application des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et de déchéance).

En revanche, une incertitude demeure concernant les paiements exigibles avant et pendant la période juridiquement protégée, qui a débuté le 12 mars et se terminera le 23 juin à minuit. L'absence d'exclusion expresse des obligations de sommes d'argent signifie-t-elle que les paiements peuvent être reportés sans que soient appliquées les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance ?

D'un point de vue théorique, l'exclusion n'étant pas mentionnée pour ces obligations, il est possible de penser que oui.

Toutefois, d'un point de vue pratique, rien n'est moins sûr. A cet égard, bien qu'il ne s'agisse que d'une annonce jamais confirmée par un texte, il faut ici encore se référer à l'annonce faite par le gouvernement selon laquelle les entreprises qui ne respecteraient pas les délais de paiement vis-à-vis de leurs fournisseurs n'auraient pas droit aux prêts garantis par l'Etat. Dans ce contexte, il semblerait illogique de permettre aux entreprises d'allonger les délais de paiement au-delà de ce qui a été convenu ou au-delà de ce que l'article L. 441-10 du code de commerce permet.

En outre, il a été expressément indiqué par la Direction des affaires civiles et du sceau du Ministère de la justice dans une note mise à jour le 15 mai 2020 que le débiteur d'une somme d'argent s'expose, en cas de non-paiement à la date prévue, à devoir verser au créancier à la fois les intérêts de retard prévus à l'article 1231-6 du code civil ainsi que les intérêts de retard prévus par l'article L. 441-10 II du code de commerce. S'agissant de ces derniers intérêts, la DACS a notamment fait référence à la jurisprudence de la Cour de cassation considérant que ces intérêts de retard ne sont pas constitutifs de clauses pénales.

Toutefois, il faut également signaler une réponse ministérielle de la Garde des Sceaux du 26 mai 2020 concernant précisément la question des stipulations contractuelles prévoyant l'application de pénalités de retard en cas de retard d'exécution. Interrogée sur le point de savoir si de telles stipulations devaient être considérées comme des clauses pénales et donc être concernées par le dispositif, la Garde des Sceaux a confirmé leur qualification de clauses pénales et considéré que leur prise d'effet devait être reportée sur la base du dispositif « prorogation des délais ».

Dans cette réponse, elle précise également que les sanctions dites « légales », non visées par l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 précitée, pourront le cas échéant trouver à s'appliquer en cas de non-respect des échéances contractuellement prévues (faculté pour le créancier de poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation, de prononcer la résolution unilatérale du contrat en cas de manquement grave ou de demander cette résolution en justice, de solliciter une réduction du prix ou encore de faire usage de l'exception d'inexécution).

Cette réponse ministérielle pourrait sembler en contradiction avec la position de la Direction des affaires civiles et du sceau ci-dessus mentionnée, qui a considéré que les intérêts de retard de l'article L. 441-10 du code de commerce ne sont pas constitutifs de clauses pénales et continuent donc de courir normalement. Cependant, la Garde des Sceaux visait dans cette réponse les pénalités contractuelles pour retard d'exécution, et non – semble-t-il – les intérêts de retard au sens « strict » de l'article L. 441-10 du code de commerce prévus pour les obligations de paiement. Il semble donc qu'il faille considérer qu'un régime distinct s'applique à ces deux types d'intérêts de retard selon leur origine légale ou contractuelle, même si la distinction entre pénalités de retard et intérêts de retard n'est guère claire à tracer en pratique.

Pour intéressantes qu'elles soient, ces positions de la Garde des Sceaux et de la DACS n'ont pas de valeur réglementaire et il faut donc se garder d'en tirer un enseignement trop général.

Enfin, et au-delà des intérêts de retard dus au créancier, ni le dispositif visant les obligations contractuelles, ni celui reportant les délais légaux issus des ordonnances ne semblent s'opposer à l'application des délais de paiement issus de la loi LME, imposant des délais maxima stricts (60 jours nets, 45 fin de mois, etc.) dont on rappellera qu'ils peuvent être lourdement sanctionnés. Si l'on peut attendre quelque tolérance de la part de l'administration en charge de ce contrôle lorsque l'entreprise connait de sévères difficultés de trésorerie dues à la situation sanitaire et économique qui en résulte, rien n'est moins sûr concernant celles qui auraient été en mesure de s'acquitter à bonne date de leurs factures.

La prudence - et la raison - sont donc de mise.

En résumé

- Incertitude sur l'application du report des astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires aux obligations de paiement.

- Rappel du régime dérogatoire temporaire mis en place par les ordonnances successives :

- Suspension du cours des astreintes et clauses pénales ayant commencé à courir avant le 12 mars et dont le cours reprendra le 24 juin - Incertitude sur l'application de cette suspension aux astreintes et clauses pénales relatives à des obligations de paiement.

- Obligation échue entre le 12 mars et le 23 juin minuit : reprise du cours des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance après un délai supplémentaire courant à partir du 24 juin et correspondant au laps de temps qui se sera écoulé entre le 12 mars (ou la naissance de l'obligation si elle est postérieure) et la date à laquelle l'obligation en cause devait être exécutée - Incertitude sur l'application de ce régime aux obligations de paiement.

- Obligation échue à partir du 24 juin : la date à laquelle ces astreintes ou clauses prennent effet est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars ou la date de naissance de l'obligation si elle est plus tardive et, d'autre part, le 23 juin minuit - Régime non applicable aux obligations de paiement.

- En cas de non-respect des obligations de paiement, risque de refus de la garantie étatique des prêts et risque d'application de l'amende administrative (d'un montant maximum de 2 millions d'euros) pour non-respect des délais « LME ». En outre, et dans la mesure où seules les astreintes, clauses pénales, résolutoires et de déchéance sont visées par les ordonnances, rien ne permet d'exclure des actions en responsabilité pour non-paiement à échéance.

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