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Covid-19 : Ordonnance n°2020-666 du 3 juin 2020 – Impacts sur certaines opérations de réorganisation
Béatrice Delabre, Christine Rocha
Ordonnance n°2020-666 du 3 juin 2020 : Interprétation de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 et impacts sur certaines opérations de réorganisation
Pour mémoire, l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 comporte de nombreuses mesures concernant l'aménagement des délais pendant la période juridiquement protégée (« PJP ») qui s'écoule désormais du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus (voir notre alerte du 18 mai 2020). Parmi ces mesures, figure le « report » des délais échus ou expirés pendant la PJP. Ce dispositif, prévu à l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306, a donné lieu à des positions de place divergentes quant à la poursuite de certaines opérations de réorganisation pendant la PJP. A quelques jours de la date d'achèvement de la PJP, l'ordonnance susvisée du 3 juin 2020 met fin à ces divergences en complétant le dispositif.
Champ d'application du report des délais échus
Pour rappel, tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication qui serait prescrit à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la PJP (soit entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus) sera réputé avoir été fait à temps s'il est réalisé dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois (voir notre alerte du 18 mai 2020 pour plus de détails).
Droit d'opposition des créanciers et réalisation de certaines opérations de réorganisation
Comme mentionné dans nos précédentes alertes, ce dispositif de report des délais était susceptible d'impacter certaines opérations de réorganisation en cours au regard du droit d'opposition des créanciers. Des positions de place divergentes avaient été prises concernant la possibilité de poursuivre certaines opérations avant l'expiration du délai d'opposition des créanciers reporté.
En effet, avant la modification apportée par l'ordonnance n°2020-666 du 3 juin 2020, s'agissant d'une opération de dissolution-confusion pour laquelle l'article 1844-5 du code civil précise que la transmission du patrimoine et la disparition de la personne morale n'interviennent qu'à l'issue du délai d'opposition des créanciers, il pouvait être soutenu que si le délai d'opposition des créanciers légalement imparti expirait pendant la PJP, la réalisation de l'opération était reportée au 24 juillet 2020 compte tenu du nouveau délai de 30 jours à compter du 24 juin 2020 dont bénéficiaient les créanciers pour former opposition.
Le même raisonnement pouvait être appliqué aux opérations de réduction de capital non motivée par des pertes compte tenu des termes des articles L.225-205 et L.223-34 du code de commerce
Or, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2020-666 du 3 juin 2020, l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306, complété par ladite ordonnance, dispose que : « Lorsque les dispositions du présent article [Article 2 de l'ordonnance n°2020-306] s'appliquent à un délai d'opposition ou de contestation, elles n'ont pas pour effet de reporter la date avant laquelle l'acte subordonné à l'expiration de ce délai ne peut être légalement accompli ou produire ses effets ou avant laquelle le paiement ne peut être libératoire. ».
Cette modification interprétative devrait impacter la réalisation des opérations de dissolution-confusion et de réduction de capital non motivée par des pertes dont le délai d'opposition initial des créanciers a expiré pendant la PJP (soit entre le 12 mars et le 23 juin 2020).
En effet, il ressort de cette modification que la réalisation de ces opérations n'est donc pas suspendue à la faculté offerte aux créanciers de former opposition à compter du 24 juin 2020 c'est-à-dire pendant le délai d'opposition « reporté ».
Droit d'opposition des créanciers et libération du prix des cessions de fonds de commerce
La modification interprétative introduite par l'ordonnance du 3 juin 2020 devrait également impacter les opérations de cession de fonds de commerce pour lesquelles le délai d'opposition des créanciers (10 jours à compter de la dernière des publications de la cession) a expiré au cours de la PJP.
Pour rappel, l'article L.141-17 du code de commerce prévoit que l'acquéreur n'est pas libéré à l'égard des créanciers s'il paie le vendeur avant l'expiration de ce délai d'opposition. Au regard de la précision apportée à l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306, le prix de cession devrait pouvoir être payé à l'issue du délai d'opposition initial des créanciers expiré pendant la PJP, peu important la « rallonge » de ce délai prévue à compter du 24 juin 2020. Toutefois, en pratique, ce déblocage du prix de cession n'interviendra qu'après l'expiration d'autres délais notamment du délai de solidarité fiscale. Par ailleurs, les personnes en charge de la mission de séquestre du prix pourraient, eu égard aux conséquences d'un déblocage du prix avant l'expiration du délai d'opposition des créanciers, opter pour la prudence en décidant de ne débloquer ce prix qu'à l'expiration du délai « reporté ».
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Si l'ordonnance du 3 juin 2020 introduit certes une modification interprétative (et donc rétroactive) ayant valeur juridique, on ne peut que regretter qu'elle intervienne tardivement, à quelques jours de l'achèvement de la PJP.