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Juridique
Contrôle des investissements étrangers : Protection des sociétés françaises cotées intervenant dans des secteurs sensibles
Jean-Christophe Sabourin, Christine Rocha
Dans un mouvement de renforcement général de l'arsenal en matière de filtrage des investissements étrangers intensifié par une crise sanitaire et économique sans précédent, le ministre chargé de l'économie annonçait le 29 avril dernier de nouvelles mesures d'adaptation de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France, en sus de celles adoptées quelques mois plus tôt[1].
En cause : la nécessaire protection d'entreprises qui participent à la recherche sur les vaccins contre le virus du SARS-CoV-2, mais aussi la baisse des valorisations d'un grand nombre de sociétés stratégiques les rendant vulnérables à des prises de contrôle hostiles.
Pour mémoire, les investissements étrangers sont soumis à une procédure d'autorisation préalable auprès du ministre en charge de l'économie dès lors qu'ils concernent des secteurs stratégiques ou considérés comme sensibles au regard de la défense des intérêts nationaux[2].
La volonté de protéger les activités stratégiques ou sensibles n'est pas une préoccupation nouvelle. Les règles françaises en la matière ont été renforcées à plusieurs reprises. Dernièrement, la loi PACTE et le décret n°2019-1590 du 31 décembre 2019 ont ainsi étendu le champ d'application du dispositif de contrôle et renforcé les sanctions applicables en cas de manquement. Parallèlement, le règlement (UE) n°2019/452 du 19 mars 2019, applicable à compter du 11 octobre prochain, a établi un cadre global destiné à renforcer la coopération des Etats membres dans le filtrage des investissements étrangers.
La crise sanitaire a également intensifié ce mouvement général de renforcement des mécanismes de contrôle. La Commission européenne elle-même, par une communication du 25 mars dernier, a fortement encouragé les Etats membres à faire pleinement usage de leurs mécanismes de contrôle et à les renforcer afin de protéger les entreprises stratégiques (en particulier dans les domaines de la santé, la recherche médicale et des biotechnologies) rendues vulnérables à des prises de contrôle par la crise.
Ainsi, après avoir pris, le 27 avril dernier, un arrêté ajoutant les biotechnologies à la liste des technologies dites critiques[3], le Gouvernement a décidé d'abaisser temporairement à 10% le seuil à partir duquel la détention des droits de vote par un investisseur non-européen dans une société française cotée intervenant dans un secteur sensible, doit faire l'objet d'un contrôle préalable. Cette mesure a été rendue effective par un décret n°2020-892 du 22 juillet 2020 (ci-après le « Décret ») et un arrêté du même jour (ci-après l'« Arrêté ») , publiés au Journal Officiel du 23 juillet 2020. Que recouvre-t-elle exactement ?
Une mesure au champ d'application relativement limité
Le code monétaire et financier[4] (ci-après « CMF ») définit l'opération d'investissement comme le fait pour un investisseur d'acquérir (a) le contrôle, au sens de l'article L.233-3 du code de commerce, d'une entité de droit français, ou (b) tout ou partie d'une branche d'activité d'une telle entité, ou (c) de franchir, directement ou indirectement, seul ou de concert, le seuil de 25% de détention des droits de vote d'une entité de droit français.
Ce seuil de détention des droits de vote, applicable uniquement en cas d'investissement réalisé par un investisseur non-européen[5], est désormais abaissé à 10% par le Décret.
Son application est toutefois limitée aux investissements réalisés dans les sociétés de droit français dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, et qui par ailleurs exercent une activité sensible au sens des articles L.151-3 et R.151-3 du CMF[6]. Ainsi, le seuil de 25% continue à s'appliquer dans l'hypothèse où l'entité objet de l'investissement est une société non cotée.
Une procédure de notification simplifiée
Toutefois, si l'objectif affiché par le Gouvernement est de protéger les sociétés cotées en considérant qu'une prise de participation même faible peut s'avérer déstabilisatrice en raison d'un actionnariat dispersé[7], il a également souhaité « limiter les freins à la liquidité des marchés lors de ces opérations d'acquisition d'une fraction minoritaire des droits de vote »[8].
Ainsi, l'article 2 du Décret complété par les dispositions de l'Arrêté prévoit, pour les sociétés concernées visées ci-dessus, une procédure de notification qui déroge à la procédure de demande d'autorisation préalable prévue à l'article R.151-5 du CMF.
L'investisseur doit ainsi transmettre au ministre chargé de l'économie un dossier de notification préalable au contenu allégé[9].
En outre, le ministre chargé de l'économie devra, dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la notification[10], décider s'il s'oppose à l'opération.
En cas de silence du ministre à l'issue de ce délai, l'autorisation sera acquise. L'opération devra alors être réalisée dans un délai de six mois suivant la notification (condition prévue par l'article 2 du Décret).
En cas d'opposition du ministre, l'investisseur pourra déposer une demande d'autorisation selon la procédure de droit commun prévue à l'article R.151-5 du CMF[11]. Le délai d'examen de celle-ci s'avèrera alors plus long et l'autorisation pourra notamment être soumise au respect de certaines conditions.
Relevons que le Décret et l'Arrêté ne précisent pas si l'investisseur concerné par ce dispositif dérogatoire reste tenu à la déclaration prévue à l'article R.151-11 du CMF[12]. En l'absence de dispense expresse, il semble nécessaire de l'effectuer.
Signalons enfin que la procédure dérogatoire ne devrait s'appliquer que si la quotité des droits de vote de l'investisseur reste en-deçà de 25%. En effet, en cas de franchissement du seuil de 25% des droits de vote, l'investisseur se trouvera alors soumis aux dispositions de droit commun et donc à la procédure d'autorisation préalable prévue à l'article R.151-5 du CMF.
Un dispositif temporaire
Le Gouvernement a également souhaité encadrer ce nouveau dispositif dans le temps. Ainsi, l'article 1er du Décret dispose qu'il est applicable jusqu'au 31 décembre 2020. A l'heure actuelle, le Gouvernement n'a pas fait état d'une éventuelle prorogation de la durée de ce dispositif. Une reconduction n'est toutefois pas à exclure compte tenu de l'évolution de la crise. A surveiller !
Cet article a été publié dans la revue Option Finance, N°1577, 12 octobre 2020
[1] Loi n°2019-486 du 22 mai 2019, dite loi PACTE ; décret n°2019-1590 et arrêté du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France
[2] CMF, art. L.151-3 et s.
[3] Arrêté du 27 avril 2020 relatif aux investissements étrangers en France
[4] CMF, art. R.151-2
[5] Le franchissement de seuil « n'est applicable ni à une personne physique possédant la nationalité d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu une convention d'assistance administrative avec la France en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale et domiciliée dans l'un de ces Etats, ni à une entité dont l'ensemble des membres de la chaîne de contrôle, au sens du II de l'article R. 151-1 du code monétaire et financier, relèvent du droit de l'un de ces mêmes Etats ou en possèdent la nationalité et y sont domiciliés. ».
[6] Par exemple, activités portant sur des infrastructures, biens ou services essentiels pour garantir la protection de la santé publique, ou encore certaines activités de R&D portant sur des technologies critiques comme l'intelligence artificielle, les biotechnologies, etc.
[7] En ce sens, communiqué de la DG Trésor en date du 30 avril 2020
[8] Notice du Décret
[9] Le dossier comporte notamment les informations suivantes : (i) le nombre total de droits de vote que l'investisseur possède avant l'investissement et le nombre total de droits de vote qu'il sera amené à posséder après (ou une estimation de ceux-ci) ; (ii) le nombre de titres que l'investisseur possède donnant accès à terme aux actions à émettre et les droits de vote y attachés ; (iii) les actions déjà émises et les droits de vote y attachés que l'investisseur peut acquérir, en vertu d'un accord ou d'un instrument financier ; (iv) les informations mentionnées au VII de l'article L. 233-7 du code de commerce
[10] Au regard de la procédure de droit commun, on peut penser que ce délai court à compter de la réception de la notification même si cela n'est pas précisé par le décret ce qui est regrettable.
[11] Article 3 de l'Arrêté
[12] Il s'agit de la déclaration à effectuer dans les deux mois suivant la réalisation de l'investissement autorisé conformément à l'article 3 de l'arrêté du 31 décembre 2019
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