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Fiscalité des particuliers
Réforme de la fiscalité du changement de régime matrimonial à compter du 1er janvier 2020 : une opportunité pour revoir sa situation matrimoniale et patrimoniale ?
Pierre Mangas - Simon Bader
La procédure de changement de régime matrimonial a été profondément réformée en 2019, tant au plan civil par la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019, qu'au plan fiscal par la loi de finances pour 2019[1].
Si la première loi vient libéraliser la procédure, principalement en supprimant le délai minimal d'application de deux ans avant de pouvoir changer de régime matrimonial, ou en mettant fin à l'homologation systématique de la convention portant changement de régime matrimonial par le juge des tutelles en présence d'enfants mineurs ou d'enfants majeurs s'opposant au changement, c'est essentiellement la portée réelle ou supposée de la modification du régime fiscal qui va retenir notre attention.
Régime fiscal actuel
Depuis la loi de finances pour 2004, le changement de régime matrimonial était soumis à une fiscalité à deux vitesses.
En principe, les actes de changement de régime matrimonial donnent lieu à la perception au profit du Trésor
- d'un droit fixe de 125 euros ;
- de la taxe sur la publicité foncière au taux global de 0,715 % assise sur la valeur des biens immobiliers transmis par le fait du changement de régime.
Par exception, l'article 1133 bis du code général des impôts prévoyait que « les actes portant changement de régime matrimonial, en vue de l'adoption d'un régime communautaire, ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor ».
Suppression de l'exonération à compter du 1er janvier 2020
Cette exonération, qui a pu notamment faire le bonheur des couples modifiant leur régime pour adopter celui de communauté universelle, sera supprimée à compter du 1er janvier 2020.
Les couples concernés par un passage en régime communautaire emportant apport à la communauté (par exemple, de séparation de biens à communauté universelle), même partiel (par exemple, la création d'une société d'acquêts au sein d'une séparation de biens), ou plus largement un accroissement de leur communauté existante (par exemple de communauté de biens réduite aux acquêts à une communauté universelle) ont ainsi jusqu'au 31 décembre 2019 pour profiter de cette exonération fiscale.
Si le droit fixe de 125 euros ne constitue pas en soi un frein à la modification du régime matrimonial, l'introduction du droit proportionnel l'est bien davantage, pour différentes raisons :
- il touchera les actifs immobiliers corporels, par essence difficilement sécables, que l'on placera ainsi bien par bien ou en bloc au sein de la communauté : la valeur apportée pourrait être rapidement importante ;
- il imposera une évaluation préalable pour éviter tout redressement fiscal sur la valeur des actifs apportés à la communauté (en veillant aux conséquences collatérales d'une telle évaluation sur d'autres impôts ou taxes assis sur la valeur vénale d'un bien immobilier) ;
- la tolérance fiscale qui permettait l'exonération de contribution de sécurité immobilière lorsqu'existe un dispositif prévoyant une dispense de toute perception au profit du Trésor, comme le prévoyait l'article 1133 bis précité, tombera également et ajoutera donc un coût complémentaire de 0,10 % aux 0,715 % prévus, soit un coût total de 0,815 % ;
- il faudra ajouter les émoluments du notaire pour la réalisation de l'acte, dans lesquels se trouvera principalement un émolument proportionnel à la valeur du bien transféré de 0,271 % hors taxes (pour la dernière tranche d'assiette, supérieure à 60.000 euros).
Faut-il envisager ou accélérer un changement de régime avant le 31 décembre 2019 ?
Oui, certainement, lorsque le process de changement de régime matrimonial est déjà enclenché, et qu'une stratégie matrimoniale aura été construite en adéquation avec les aspirations du couple, se traduisant notamment par un nécessaire apport à une communauté de biens sans qu'aucune autre alternative pertinente ne puisse être envisagée.
Dans les autres cas de figure, restons mesurés sur les impacts réels de la réforme qui ne concerne que les actifs immobiliers : tous les capitaux, placements financiers ou encore titres de société même à prépondérance immobilière ne seront pas frappés par la suppression de cette exonération.
Ensuite, il est important de bien différencier deux séries de modifications et leurs conséquences respectives : celles qui ont pour conséquence un changement immédiat de la qualification des actifs, une mutation de bien personnel en bien commun, et celles qui emportent une modification de la liquidation du régime matrimonial initial. Seule cette première série, qui aura un impact patrimonial sur la propriété des actifs immobiliers, entraînera application de la fiscalité nouvelle.
En tout état de cause, la pertinence d'un changement de régime matrimonial dépendra du ou des objectifs matrimoniaux et patrimoniaux poursuivis par le couple, pour eux-mêmes ou leur famille, recomposée ou non : la répartition des pouvoirs des époux sur les actifs, la qualification des revenus des biens (personnels ou communs), le sort des biens à la dissolution du régime matrimonial, la création d'un avantage au profit du conjoint en cas décès, la gestion de la transmission au profit des enfants, etc.
Fréquemment, ce changement de régime ou l'apport d'actifs à la communauté sera envisagé dans le cadre de la construction d'une stratégie de transmission. Mais ce n'est pas la seule solution envisageable, les époux disposant d'un arsenal relativement complet dans cette réflexion : la modification des règles de liquidation du régime matrimonial proposant des choix ou créant un avantage pour le conjoint, la donation entre époux ou encore le testament, dont les effets seront visibles au jour du décès d'un époux, pourront être tout aussi efficaces.
D'ailleurs, certains arguments techniques plaident favorablement pour un usage privilégié de la donation entre époux ou du testament plutôt que du contrat de mariage, particulièrement pour les mesures ayant des effets successoraux. En effet, la différence juridique entre la nature de l'avantage matrimonial d'un côté, et de la libéralité à cause de mort de l'autre, tient à la faculté de cantonnement offerte uniquement au conjoint survivant bénéficiaire d'une libéralité à cause de mort par l'article 1094-1 du code civil. Cette faculté permet au conjoint survivant de limiter la portion d'actif qu'il perçoit dans la succession via la libéralité mise en place au préalable.
Au contraire, l'avantage matrimonial équivalent qui serait conféré par contrat de mariage est applicable de plein droit et dévolu en totalité au conjoint survivant, sans possibilité de réduction. Or, le cantonnement offre au conjoint survivant la capacité de piloter en fonction de ses besoins au jour du décès, le volume d'actifs qu'il doit percevoir dans la succession de son conjoint, le solde étant dirigé vers les héritiers. D'ailleurs, ce cantonnement n'est expressément pas considéré comme une libéralité faite par le conjoint survivant au profit des enfants, donc non taxable en tant que telle. À l'inverse, dans la situation équivalente mais dont la protection patrimoniale du conjoint serait assurée via contrat de mariage, la (re)transmission vers les enfants d'actifs compris dans l'avantage matrimonial prendra nécessairement la forme d'une donation, taxable aux droits de mutation à titre gratuit.
A titre d'illustration, on peut souligner le recours fréquent à la société d'acquêts, cette « poche de communauté » au sein d'un régime séparatiste, afin d'y apporter un actif appartenant à un seul des époux et que l'on souhaite voir transmis en tout ou partie au conjoint survivant au décès de l'apporteur ; on peut ainsi y ajouter, en complément, une clause d'attribution intégrale de la société d'acquêts au survivant. Ce schéma est notamment utile pour traiter du sort de la résidence principale, ou encore du sort l'entreprise et de ses locaux, afin de garantir un logement, des revenus et pourquoi pas la liberté pour le conjoint survivant de pouvoir céder seul ces actifs.
À partir du 1er janvier 2020, cette opération entrera dans le champ de la nouvelle réglementation fiscale et sera soumise au droit proportionnel de 0,815 % sur les actifs immobiliers.
Dans le cadre d'une logique patrimoniale globale, des alternatives existent avec, par exemple, le recours à l'usufruit du conjoint (qui devra être instauré contractuellement en cas de famille recomposée) pour régler la problématique des revenus ; celle des pouvoirs sur les actifs le sera via les statuts des sociétés dans lesquels ils sont logés et, à défaut d'une telle configuration, une clause de prélèvement par le survivant dans les actifs successoraux, moyennant indemnité ou non pour les héritiers, permettra d'assurer une transmission en pleine propriété à son profit et la plénitude de pouvoirs qui en découle.
S'il ne reste désormais qu'un peu plus d'un mois aux couples mariés pour effectuer la modification de leur situation matrimoniale afin de bénéficier de cette exonération fiscale temporaire, par changement de régime ou par apport d'un actif à un communauté nouvelle ou existante, la précipitation au changement n'est pas pour autant de mise : la définition d'une stratégie matrimoniale et patrimoniale efficace nécessite souvent un temps long au cours duquel une analyse rigoureuse et fine devra être menée, sans préjudice de la gestion du coefficient émotionnel.
Quelles autres alternatives à un passage en communauté ?
Rappelons-le encore : le choix du régime matrimonial, ou des modifications que l'on envisage d'y faire, dépendront d'une série de facteurs actuels ou futurs qu'il convient respectivement d'identifier ou d'anticiper. Sans étudier ces situations de façon exhaustive, nous prendrons deux temps notables dans la vie matrimoniale où le recours à un changement de régime pour rechercher la communauté de biens paraitrait au premier abord utile.
Le changement de situation professionnelle
Le cas le plus courant sera celui de l'un des conjoints qui, au cours du mariage, décide de créer une entreprise (ou d'exercer une activité professionnelle indépendante), activité par nature à risque. Le passage d'un régime communautaire à un régime séparatiste prend un sens tout particulier en termes de gestion des risques de défaillance face aux créanciers et au gage dont ces derniers disposent.
En effet, en régime de communauté de biens réduite aux acquêts, les créanciers d'un époux disposeront de la faculté de rechercher l'actif tant personnel à l'époux débiteur que commun ; en régime de communauté universelle, c'est l'ensemble des patrimoines personnels des deux époux et de celui commun qui sont concernés. Le choix d'un régime séparatiste permet de cloisonner les actifs et de « mettre à l'abri » des créanciers professionnels une partie du patrimoine du couple.
Il convient pourtant de rappeler qu'il existe par ailleurs différentes possibilités d'organiser la protection de son patrimoine personnel pour l'entrepreneur :
- pour les structures sociétaires :
- recourir à une forme sociale « protectrice » pour son entreprise, comme la SARL ou la SAS, contrairement aux sociétés civiles où la responsabilité des associés et indéfinie ;
- pour les entrepreneurs individuels :
- bénéficier de l'insaisissabilité légale de sa résidence principale lorsque l'on est entrepreneur individuel ;
- établir une déclaration d'insaisissabilité notariée pour les autres actifs immobiliers ;
- utiliser la forme de l'EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée) afin de distinguer les patrimoines personnels et professionnels dans un cas où ils sont normalement intégralement confondus ; seul le patrimoine professionnel constituera alors le gage des créanciers professionnels.
Très clairement à notre sens, cet objectif de sécurité face aux risques ne sera jamais atteint par une mise en commun d'actifs propres ou personnels.
La nécessité de protection induite par la ou les activités professionnelles à risque de l'un ou des époux sera gérée par le recours à des régimes séparatistes, soit dès l'origine soit en cours de mariage.
La réforme prochaine de la fiscalité du changement de régime matrimonial n'a pas d'impact à ce titre pour la gestion de la protection patrimoniale.
Le départ à la retraite et la cession de l'actif professionnel, premiers pas d'une réflexion sur la protection patrimoniale du conjoint
A l'inverse, la disparition des risques professionnels après la cession de l'activité ou le départ en retraite du dirigeant/actionnaire pourra mettre en lumière les écarts de valeur des patrimoines personnels respectifs des époux. L'un des époux s'étant plus ou moins fortement enrichi au détriment de l'autre, la communautarisation de cet enrichissement est ici recherchée pour en faire profiter les deux.
Si le souhait de corriger cet écart est louable, encore faut-il décider de la période de mise en œuvre de cette action : corriger aujourd'hui ou à l'avenir, c'est-à-dire au jour du décès de l'époux ex-professionnel, ainsi que mesurer les conséquences civiles, patrimoniales et fiscales de ce choix notamment au travers du prisme de la transmission successorale. En d'autres termes, y trouver un intérêt.
Il peut être de plusieurs types, et notamment :
- Placer l'actif en communauté pour faire profiter l'autre époux des revenus de ces biens
Toute la question ici dépendra de déterminer au départ s'il est véritablement question de faire profiter le conjoint des revenus de l'actif ou de lui transférer la propriété de cet actif dans un but successoral. S'il est question d'assurer un flux nouveau de revenus à son profit, la solution est a priori efficace, mais soumet à la fiscalité nouvelle le transfert du bien du patrimoine personnel à la communauté. Or, un changement de régime matrimonial d'une autre nature pourrait répondre à ce besoin sans application du nouveau « tarif » fiscal : en effet, le simple changement de régime, de séparation de biens à communauté de biens réduite aux acquêts, permet de se placer sous l'une des règles les plus fortes de ce régime : les revenus de biens propres à un époux sont communs et profitent aux deux époux de la même manière.
- Placer l'actif en communauté pour assurer un transfert de la propriété du bien au profit du conjoint
A l'inverse, il s'agit dans ce cas d'assurer une protection patrimoniale pure, en capital mobilisable ou non selon la nature de l'actif transmis (somme d'argent placée sur un simple compte bancaire, contrat de capitalisation, bien immobilier, parts ou titres de société, …). Dans ce cas, la mise en communauté d'actifs pourrait répondre, par un transfert in fine de la moitié du bien au profit du conjoint, à ce besoin de protection patrimoniale.
Il est à noter que cette opération permet de réaliser ce transfert dès le changement opéré par la modification du régime matrimonial, sans pour autant que cela soit qualifiable de donation déguisée au profit du conjoint ; on rappelle à cet égard que les donations de biens présents entre époux sont taxables après un abattement de 80.724 euros à un tarif sensiblement identique à celui existant en ligne directe, soit jusqu'à 45 % de la valeur transmise. Cependant, la propriété réelle de cette moitié de communauté ne sera attribuée effectivement à l'époux survivant qu'au moment de la dissolution du régime matrimonial par suite de divorce ou de décès de l'un des époux.
Il est important de se souvenir que les donations et avantages matrimoniaux ayant pris effet au cours du régime et ainsi avant le divorce, comme l'apport d'un actif en communauté, sont irrévocables. Le divorce les rend malheureusement définitifs au profit du conjoint non-apporteur. Certes, l'insertion d'une « clause alsacienne » au sein du régime communautaire permet de rendre réversible l'apport en communauté, chaque époux pouvant par ce biais reprendre les biens qu'il a personnellement apportés à la communauté. En effet, cette clause prévoit qu'en cas de divorce le bien pourra être repris par l'époux qui en était le propriétaire originaire.
Toutefois, il nous semble qu'en matière de stratégie patrimoniale, ici particulièrement de stratégie matrimoniale, il est à la fois nécessaire d'apporter de la souplesse dans les dispositions prises et d'assurer, dans la mesure du possible, la protection patrimoniale des conjoints sur la base de mesures prenant principalement effet au jour du premier décès de l'un des époux.
La communauté de biens, un modèle dépassé ?
Le régime de communauté de biens réduite aux acquêts est, depuis le 1er février 1966, le modèle français largement utilisé par les français souhaitant se marier : c'est donc le régime légal, « choisi – ou subi – à défaut de choix », le plus utilisé en France, malgré un intérêt croissant pour la séparation de biens.
La vraie difficulté de ces deux régimes phares est celle que nous évoquions plus haut. Leurs intérêts respectifs sont essentiellement recherchés dans deux phases bien distinctes de la vie patrimoniale du couple marié : en cours de vie professionnelle pour la séparation de biens et la protection qu'elle offre dans le développement des activités de chaque époux ; à partir de l'arrêt de l'activité professionnelle pour la communauté de biens (réduite aux acquêts jusqu'à universelle) pour les vertus qu'elle offre en termes de protection budgétaire et de gestion de la transmission.
D'apparence, la combinaison utile de ces deux régimes se jouerait sur un point de pivot placé au cours de la vie matrimoniale, rendant a priori obligatoire un changement de régime et, ainsi qu'il a été développé ci-avant, une mutation de certains actifs propres vers la communauté, entrainant de facto à compter du 1er janvier 2020 l'application de la fiscalité nouvelle s'agissant des actifs immobiliers qui entreraient dans cette mutation.
Et pourtant, le meilleur des deux mondes pourrait se trouver ailleurs, dans un régime matrimonial clairement méconnu du public et, avouons-le sans détour, boudé par la pratique : le régime de participation aux acquêts.
Il est sans nul doute le régime matrimonial le plus insolite que l'on puisse rencontrer dans le paysage législatif français, et ce à plusieurs titres : conçu comme une séparation de biens durant la vie des époux, mais avec une finalité communautaire, ce régime a de peu failli devenir le régime matrimonial légal en 1965, en lieu et place de la communauté de biens réduite aux acquêts actuelle. Il est d'ailleurs le régime légal en Allemagne, et la base du régime optionnel commun entre la France et l'Allemagne et créé par ces deux pays dans un cadre matrimonial transfrontalier.
Au plan pratique, « Quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d'eux conserve l'administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu'il a acquis pendant le mariage à titre onéreux. Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. A la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final. Le droit de participer aux acquêts est incessible tant que le régime matrimonial n'est pas dissous. Si la dissolution survient par la mort d'un époux, ses héritiers ont, sur les acquêts nets faits par l'autre, les mêmes droits que leur auteur. »[2]
Sans entrer trop en détail dans la technique de ce régime, il faut tout de même se pencher sur sa nature hybride qui en fait toute sa singularité :
- Au cours de la vie du régime, la participation aux acquêts fonctionne comme une séparation de biens traditionnelle ; les époux disposent de biens personnels uniquement, sont en principe libres de leur gestion, administration et disposition, et le cloisonnement de ces patrimoines les rend respectivement imperméables à toute tentative de saisie par un créancier du conjoint.
- A la dissolution du régime, celui-ci est liquidé de telle sorte que les époux soient patrimonialement replacés dans une situation équivalente à celle qu'ils auraient connue s'ils avaient été dès le mariage soumis à un régime de communauté de biens réduite aux acquêts.
Pour ce faire, la liquidation du régime est organisée comme suit :
- Chaque époux conserve les biens dont ils sont propriétaires personnellement ;
- En comparant pour chaque époux la valeur de son patrimoine originaire au jour du mariage, à la valeur de son patrimoine final, il est établi un enrichissement de chacun d'eux ;
- Les enrichissements respectifs sont compensés par l'attribution au profit de celui qui s'est le moins enrichi d'une créance de participation égale à la moitié de la différence entre les enrichissements.
En conséquence, les patrimoines au jour du mariage ne sont pas partagés et sont traités de la même manière que dans un régime de communauté de biens réduite aux acquêts.
De même, la compensation des enrichissements respectifs permet d'attribuer l'accroissement du patrimoine depuis le jour du mariage à égalité entre les époux. Là encore, le résultat est tout à fait identique à celui d'un régime communautaire où la communauté est également divisée en deux portions.
Si de prime abord, la participation aux acquêts regroupe en un seul régime ce qui est a priori recherché tant en régime séparatiste que communautaire, les adaptations contractuelles qui peuvent y être apportées sont d'autant plus d'atouts pour la construction d'une stratégie matrimoniale et de transmission plus poussée.
En effet, ce régime peut être adapté selon deux axes principaux pouvant d'ailleurs être combinés astucieusement : la modification du taux de participation (de 50% par principe, comme pour le partage de la communauté) et l'élargissement de la participation.
Dans le premier cas, le taux peut être majoré ou minoré : s'il est majoré la créance de participation augmentera en créant un avantage matrimonial au profit du conjoint survivant, si ce dernier est celui qui s'est le moins enrichi ; à l'inverse, si ce taux est minoré, l'époux qui a réalisé le moins d'acquêts nets verra son droit à participation diminuer, tandis que son conjoint qui aura réalisé le plus d'acquêts nets sera avantagé par la clause. Dans ce dernier cas, l'avantage est à voir du côté des enfants vers qui une fraction plus importante de patrimoine pourra être dirigée en fonction de l'ordre des décès. Pour éviter toute perversion du système mis en place, du fait des inconnus que sont l'ordre des décès et le volume d'enrichissement personnel de chaque époux, et ainsi s'assurer d'avantager dans tous les cas le conjoint survivant, il conviendra de combiner par une rédaction intelligente une alternative de deux taux, l'un inférieur à un demi, l'autre supérieur, qui s'appliqueraient en fonction de la qualité du conjoint survivant, en tant que débiteur ou créancier de la participation.
Dans le second cas, il est possible de modifier la consistance du patrimoine originel de la liste des biens existants au jour du mariage, soit en excluant certains actifs du patrimoine originel, soit en en retenant une valeur différente (zéro pour maximiser les enrichissements respectifs, ou les compter pour leur valeur au jour du mariage afin de tenir compte dans les enrichissements respectifs des plus-values économiques sur les actifs).
En combinant ces deux actions (taux alternatif et élargissement de la participation), il serait même possible de reconstituer un avantage maximal au profit du conjoint survivant dont les effets pourraient aller jusqu'à s'apparenter à une communauté universelle avec attribution intégrale à son profit.
Les effets patrimoniaux du régime ne prenant effet qu'au jour du décès, il n'existe pas de problématique fiscale au regard de la modification du régime matrimonial : le passage d'un régime de séparation de biens pur et simple à un régime de participation aux acquêts est neutre au regard de la qualification des actifs, puisque l'on se maintient en tous points dans le cadre d'un régime séparatiste.
Notre droit civil regorge de dispositifs qui peuvent apporter des atouts supplémentaires et des solutions insoupçonnées, notamment dans une stratégie patrimoniale. Le régime de participation aux acquêts, hybride par nature, peut apparaître comme un outil extrêmement fonctionnel et malléable, peut-être même l'alliance idéale du meilleur des régimes communautaires et séparatistes, dans lequel l'équilibre entre ces deux mondes sera défini par les époux. Dès lors, la date butoir du 31 décembre 2019 ne semble plus constituer un couperet fiscal venant précipiter la définition de la stratégie matrimoniale, mais bel et bien une opportunité pour puiser davantage d'ingénierie civile et rédactionnelle dans le droit des régimes matrimoniaux.
[1] Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, article 122
[2] Code civil, art. 1569