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Réforme fiscale US : vers un abandon de la hausse de taux de l’IS et un nouvel impôt minimal alternatif à 15% sur les résultats comptables consolidés
Jean laurent Bargiarelli
Un contexte politique délicat
Alors que Joe Biden devait finaliser son plan de 1.850 milliards de dollars d'investissements sociaux et surtout environnementaux (555 mds$) avant son départ pour la COP26 de Glasgow, la réalité de la majorité démocrate au Sénat (50 sénateurs démocrates pour 50 sénateurs républicains et la voix de départage de la Vice-Présidente Kamala Harris) l'a forcé au compromis sur les modalités de financement de ce plan. De fait, cette majorité extrêmement étroite donne à chaque sénateur démocrate un droit de véto sur les projets de législations qui leur sont soumis. Les sénateurs de Virginie Occidentale, Joe Manchin, et surtout d'Arizona, Krysten Sinema, s'étaient à ce titre publiquement opposés à une hausse du taux de l'IS.
Le Président Biden a ainsi annoncé le 28 octobre un nouveau cadre de financement du Build Back Better Act et le Comité des règles de la Chambre des représentants (Rules Committee), a intégré les changements proposés par le Président dans une nouvelle version du texte.
Plus de hausse de l'IS fédéral et un GILTI à 15%
La hausse du taux de l'IS fédéral à 26,5%, initialement envisagée, semble ainsi tuée dans l'oeuf. La dernière mouture du projet de réforme prévoit de conserver le taux d'IS fédéral à 21% issu de la réforme Trump. Les abattements applicables en matière de GILTI (Global Intangible Low-Taxed Income) et de FDII (Foreign-Derived Intangible Income) seraient cependant adaptés pour aboutir à des taux respectivement fixés à 15% (contre 10,5% aujourd'hui, afin de respecter l'engagement des Etats-Unis d'adopter le Pilier 2 de l'OCDE et à 15,8% (contre 13,1% aujourd'hui).
Nouvel impôt minimum de 15% sur les bénéfices comptables applicable à compter de l'exercice 2023 aux sociétés appartenant à un groupe dont les bénéfices comptables dépassent 1 Md$
Afin de remplacer les recettes de la hausse de l'IS, les démocrates attendent 325 mds$ d'une mesure qui était bien dans le Green Book publié fin juin par l'administration Biden mais qui avait depuis disparu des radars dans le cadre des projets débattus devant le Congrès. Il s'agit de la mise en place d'un impôt minimum alternatif à 15% sur les résultats comptables consolidés, qui reprend un projet publié le 26 octobre par le président de la commission des finances du Sénat Ron Wyden (démocrate) et les sénateurs démocrates et indépendants Elizabeth Warren et Angus King, projet qui semble faire consensus.
Cet impôt minimum de 15% s'appliquerait à toute société non transparente qui appartient à un groupe dont les bénéfices comptables ajustés sur la moyenne des 3 années précédentes dépassent 1 Md$.
S'agissant des groupes non-américains, un second seuil sera applicable avant d'être soumis à cet impôt, à savoir le fait que les bénéfices comptables ajustés de l'ensemble des sociétés américaines de ce groupe ainsi que ceux de leurs sous-filiales non-américaines (« Controlled Foreign Corporations » ou « CFCs ») auxquels sont ajoutés les autres bénéfices taxables aux Etats-Unis (Effectively Connected Income) dépassent 100M$ sur la moyenne des 3 années précédentes.
A date, les ajustements nécessaires pour passer des bénéfices comptables aux bénéfices comptables ajustés sont assez techniques, les plus significatifs sont probablement ceux relatifs à la réintégration des impôts domestiques étrangers dans le résultat dès lors que la société américaine en question a opté pour leur imputation sur l'impôt minimum par voie de crédit d'impôt et les modalités d'appréhension particulière des résultats des CFCs. Le département du Trésor devra en tout état de cause compléter la liste des ajustements nécessaires par voie règlementaire.
Comme son nom l'indique, cet impôt s'appliquerait de manière alternative à l'IS standard, étant précisé que tout montant dû au titre de la Base Erosion and Anti-abuse Tax (« BEAT » autre impôt minimum sur les flux intragroupe vers des sociétés non-US) viendrait en diminution de l'impôt minimum alternatif de 15%. A noter que les crédits d'impôt domestiques (par exemple, le crédit d'impôt recherche) conserveraient leur valeur en restant imputable sur cet impôt minimum.
Les impôts étrangers peuvent sur option être imputés sur cet impôt minimum (sous réserve de certains plafonds) et les déficits comptables ajustés devraient pouvoir être imputés dans la limite de 80% du bénéfice comptable de l'exercice d'imputation.
Cet impôt s'appliquerait aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2023.
Questions en suspens concernant l'application du nouvel impôt minimum aux groupes non-américains
Ce nouvel impôt viendrait encore augmenter d'un cran la complexité des process de conformité fiscale US en introduisant de nouveaux concepts dont la définition et la clarification reviendraient pour beaucoup à l'administration Biden par voie réglementaire.
Plus particulièrement, pour les groupes non-américains, cet impôt pose un certain nombre de questions non résolues, car si seuil d'application supplémentaire est expressément prévu pour eux, les règles d'assiette restent théoriquement les mêmes que celles des groupes américains alors que leur situation est factuellement très différentes. De fait, d'importantes questions restent sans réponse à date :
- Quels états financiers pourront servir de base à cet impôt ? Le référentiel comptable IFRS sera-t-il considéré comme acceptable ?
- A quels ajustements faut-il s'attendre ?
- Comment allouer les résultats comptables consolidés aux entités américaines ou à l'intégration fiscale américaine ? A l'image du Pilier 2 de l'OCDE, l'idée serait-elle de partir des comptes consolidés contributifs par entité ?
Autres dispositions notables
La nouvelle règle de déductibilité des intérêts semble se confirmer
Cette nouvelle restriction (Section 163(n) de l'IRC) s'appliquerait aux groupes dont les charges d'intérêts excèdent une moyenne annuelle de 12m$ sur trois exercices et plafonnerait la déductibilité des intérêts aux produits d'intérêts taxables augmentés de 110% de la fraction des charges d'intérêts allouables aux Etats-Unis, sur la base de la comparaison de l'EBITDA (comptable) US et de sur l'EBITDA mondial (issu des comptes consolidés). Il s'agit essentiellement de la proposition issue de la Commission des finances de la Chambre des représentants (Ways & Means Committee) avec quelques assouplissements (principalement la suppression de la limite de report sur 5 ans des intérêts non-déductibles).
Les modifications apportées à la BEAT confirmées avec une augmentation des taux jusqu'à 18% à compter de 2025
La nouvelle approche en matière de BEAT, qui s'appliquerait désormais à l'ensemble des paiements vers des parties liées non-américaines, compris les achats de stock (COGS), mais uniquement lorsque les flux sont soumis à un taux effectif d'imposition local inférieur au taux de la BEAT elle-même, semble ainsi se confirmer.
La nouvelle version du texte prévoit en revanche des taux plus importants et une augmentation plus rapide que dans le projet précédent avec un taux de 10% (taux actuel) pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022, 12,5% pour ceux ouverts à compter du 1er janvier 2023, 15% pour ceux ouverts à compter du 1er janvier 2024 et 18% pour ceux ouverts à compter du 1er janvier 2025.
Approche pays-par-pays confirmée pour GILTI
Le Comité des règles confirme les modifications apportées par la Commission des finances avec une application pays par pays visant à produire un résultat semblable au Pilier 2 et un ajustement de l'imposition effective à 15% (abattement de 28,5%) à compter de l'exercice 2023.