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Articles & Actualités

Fiscalité des entreprises

Rabot sur les charges financières : c'est l'exercice de déduction et non de comptabilisation qui compte

24/08/2018

Claire Acard

Par une décision du 8 décembre 2017#1, le Conseil d'Etat a validé la doctrine de l'administration prévoyant que le rabot s'applique aux intérêts dont la déduction a été différée au titre de l'exercice de leur déduction effective, y compris lorsque ceux-ci ont été constatés comptablement avant l'entrée en vigueur de l'article 23 de la loi de finances pour 2013.

Au fil des années, on le sait, le législateur est régulièrement intervenu pour durcir les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent déduire leurs charges financières.

Le tableau ci-dessous présente une chronologie simplifiée des dispositifs français de limitations apportées à la déductibilité des charges financières, ainsi que des projets de réforme qui se sont succédé au Parlement.

CGI, art. 39, 1, 3° et 212 (anciens)

Décret du 9 décembre 1948

Limitation du taux d'intérêt et sous-capitalisation

CGI, art. 223 B, al. 7

Loi n° 88-1193 du 29 décembre de finances rectificative pour 1988

Amendement « Charasse »

CGI, art. 212, II (nouveau)

Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006

Dispositif de lutte contre la sous-capitalisation

1er amendement (rejeté)

Projet de loi de finances pour 2012

« 30 % du bénéfice avant charges d'intérêts liées à l'émission d'emprunts » (article 38, 2 ter)

CGI, art. 209, IX

Quatrième loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011

Mécanisme anti-abus en matière de charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation

2e amendement (rejeté)

Projet de première loi de finances rectificative pour 2012

Interdiction de déduction à hauteur de 95 % du montant des charges financières (article 209, X et article 223 B bis)

CGI, art. 212 bis

Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, art. 23

Déductibilité forfaitaire de 85/75 % des charges financières

CGI, art. 212-I-b

Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014

Dispositif anti hybride en matière de charges financières

CGI, art. 209, IX

Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018

Article ayant amendé le Carrez 209 IX

Ce qui frappe, dans ce tableau, c'est l'accélération du rythme avec lequel se sont enchaînées ces réformes : quarante années écoulées entre l'article 212 et l'article 39, 1, 3° du CGI dans leur version historique et l'amendement Charasse ; huit années entre l'amendement Charasse et le nouvel article 212 du CGI ; six années entre le nouvel article 212 du CGI et l'amendement Carrez, i.e. l'article 209, IX du CGI ; moins d'un an entre l'amendement Carrez et la réforme qui a été votée en décembre 2012 et instauré le mécanisme dit du « rabot » ; moins d'un an encore entre l'adoption du rabot et la mise en place du dispositif anti-hybride fin 2013.

En particulier, l'article 23 de la loi de finances pour 2013 a instauré un mécanisme dit de « rabot » codifié à l'article 212 bis du CGI, aux termes duquel les entreprises dont les charges financières atteignent au moins 3 millions d'euros doivent réintégrer à leur résultat une fraction égale à 15 % de leurs charges financières nettes, ce taux ayant été porté, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2014, à 25 %. La même règle s'applique pour les entreprises membres d'un groupe fiscal dans un nouvel article 223 B bis du CGI, la réintégration étant opérée dans le résultat d'ensemble de la société mère.

Dans l'affaire en cause, la société Transdev Ile-de-France, anciennement Veolia Transport, membre du groupe fiscal intégré de la société Transdev Group, disposait, antérieurement à l'exercice clos le 31 décembre 2012, d'un stock d'intérêts différés de 28 millions d'euros en application des dispositions du paragraphe II de article 212 du CGI qui a donc instauré, pour lutter contre certains abus, une limitation à la déduction des intérêts lorsque la société qui les supporte est sous-capitalisée et que la société prêteuse est une entreprise liée. Dans cette hypothèse, la fraction d'intérêts non déductibles immédiatement peut être déduite au titre de l'exercice suivant et le solde non imputé à la clôture de cet exercice suivant est lui-même déductible au titre des exercices postérieurs dans les mêmes conditions sous déduction d'une décote de 5 %. Il s'agit des intérêts « différés » ou « reportés ».

En l'espèce, la question qui opposait l'administration fiscale à la requérante était de savoir si les charges financières, à prendre en compte pour l'application du régime dit du « rabot » de déduction devaient ou non inclure les intérêts dont la déduction avait été différée en application du dispositif relatif aux situations de sous-capitalisation. Ou plus exactement, si les charges d'intérêts supportées au titre d'exercices antérieurs et reportées par application de l'article 212 devaient être exclues du montant des charges financières « rabotées » au titre de l'article 212 bis, en particulier les intérêts différés constitués antérieurement à l'instauration de ce mécanisme par l'article 23 de la loi de finances pour 2013.

Afin de faire rapidement trancher la question par le juge de l'impôt, la société Transdev Group a donc introduit un recours en excès de pouvoir à l'encontre des précisions apportées par l'administration dans le BOFIP commentant le « rabot » de 25 % des charges financières introduit à l'article 212 bis du CGI (et à l'article 223 B bis du CGI pour les groupes fiscalement intégrés) par l'article 23 de la loi de finances pour 2013, et plus précisément à l'encontre du paragraphe qui précise que « les intérêts reportés conformément au dernier alinéa du c du 1 du II de l'article 212 du CGI sont compris dans la base soumise à la limitation prévue à l'article 212 bis du CGI au titre de l'exercice au cours duquel ils sont effectivement déduits (déduction faite de l'éventuelle application de la décote) »#2.

Au-delà du principe même de la prise en compte des intérêts différés dans la base du rabot, la société contestait, à titre liminaire, le fait que l'administration fiscale n'ait pas réservé le cas des intérêts qui auraient été comptabilisés au titre d'un exercice clos antérieurement au 31 décembre 2012, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de l'article 23 de la loi de finances pour 2013 ayant instauré le mécanisme du rabot.

Au soutien de son recours pour excès de pouvoir, la société avait ainsi tout d'abord soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, en arguant que les dispositions des articles 212 bis et 223 B bis issus de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ne sauraient s'appliquer aux intérêts constatés au cours d'exercices clos antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi mais dont la déduction est différée, en application du 1 du II de l'article 212 précité, à des exercices postérieurs à cette loi, sans méconnaître les principes de garantie des droits et d'égalité devant la loi énoncés respectivement aux articles 16 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Or, comme le note le rapporteur public Romain Victor, dans ses conclusions sous l'arrêt précité, cette question prioritaire de constitutionnalité ne pouvait valablement être renvoyée au Conseil constitutionnel car la condition tirée de ce que les dispositions législatives contestées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution faisait en l'espèce défaut, les juges de la rue Montpensier s'étant en effet prononcés, dans les motifs et le dispositif de leur décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, sur la conformité à la Constitution de l'article 23 de la loi de finances pour 2013 qui a créé les articles 212 bis et 223 B bis. Le juge constitutionnel avait, à l'époque, examiné le grief tiré de ce que les dispositions de ces articles méconnaîtraient la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 en raison de leur caractère rétroactif (le sort des intérêts différés en application des règles liées à la sous-capitalisation n'avait toutefois pas été évoqué), qu'il avait écarté, avant de relever, que les dispositions contestées ne méconnaissaient aucune autre exigence constitutionnelle, de telle sorte que l'article 2 du dispositif avait déclaré expressément l'article 23 de la loi conforme à la Constitution.

L'unique voie ouverte à la société d'obtenir un nouvel examen de la constitutionnalité des dispositions contestées était donc d'exciper de l'existence de changements de circonstances survenus depuis lors.

Or, comme le rappelle fort clairement le rapporteur public, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958, seul un changement dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances de droit ou de fait affectant la portée des dispositions législatives critiquées peut justifier un réexamen par le Conseil constitutionnel.

En l'espèce, les dispositions en cause n'avaient fait l'objet que de corrections purement formelles : ainsi que le relève le Conseil d'Etat « ces modifications ne portent ainsi pas sur [les dispositions de ces articles] dont la constitutionnalité est contestée et ne sont, dès lors pas constitutives d'un changement dans les circonstances de droit ».

Plus précisément, le Conseil d'Etat note que les modifications apportées aux articles 212 bis et 223 B bis entre la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 précitée et les dates de publication des commentaires administratifs qui font l'objet du recours pour excès de pouvoir à l'appui duquel la société Transdev Group a soulevé la question prioritaire de constitutionnalité consistent en des corrections formelles introduites par le décret de codification du 3 juin 2013 et dans l'ajout, par l'article 37 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, d'un IV bis relatif aux charges financières correspondant aux contrats de financement des stocks de produits faisant l'objet d'une obligation réglementaire de conservation et dont le cycle de rotation est supérieur à trois ans. Il en conclut que ces modifications ne portent pas sur celles des dispositions des articles 212 bis et 223 B bis dont la constitutionnalité est contestée et ne sont, dès lors, pas constitutives d'un changement dans les circonstances de droit.

En second lieu, la Haute Assemblée considère que la société ne pouvait utilement invoquer la circonstance que les commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts les 6 août 2013 et 30 avril 2014 sous la référence BOI-IS-BASE-35-40 retiendraient une interprétation illégale des articles 212 bis et 223 B bis, « dès lors que de tels commentaires ne sont pas susceptibles d'affecter la portée de dispositions législatives » et ne peuvent, par suite, pas être regardés comme un changement de circonstances au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

En conséquence, selon le Conseil d'Etat, les articles 212 bis et 223 B bis du code général des impôts ne portent pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Au-delà de la question prioritaire de constitutionnalité, la société soulevait trois autres moyens à l'appui de son recours, visant à démontrer que l'inclusion des intérêts reportés en application du 1 du II de l'article 212 dans l'assiette des charges financières soumises au plafonnement méconnaissait les dispositions des articles 212 bis et 223 B bis du CGI.

En premier lieu, la société considérait que la circonstance que le paragraphe IV de l'article 212 bis, qui a pour objet d'exclure de la réintégration les intérêts qui ne sont pas fiscalement déductibles au titre de l'exercice de leur comptabilisation, avait pour corollaire que ces mêmes intérêts ne pouvaient faire l'objet de la réintégration partielle prévue dans le cadre du rabot.

A cet égard, le rapporteur public, suivi en ce sens par le Conseil d'Etat, note que le paragraphe IV des articles 212 bis et 223 B bis du CGI prévoit que pour l'application du paragraphe I, c'est-à-dire la réintégration au résultat de la quote-part de 15 % ou 25% des charges financières nettes, le montant desdites charges « est diminué des fractions des charges financières non admises en déduction en application », d'une part, du dispositif de limitation de la déduction des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation prévu au IX de l'article 209 du CGI et, d'autre part, du dispositif équivalent de limitation de la déduction des intérêts servis à une entreprise liée prévu par l'article 212 du code.

Ceci implique, selon ce dernier, que les charges financières qui ne peuvent être déduites au titre d'un exercice donné, par application des dispositifs de limitation instaurés par le législateur, ne puissent être prises en compte dans le champ d'application du plafonnement au titre de ce même exercice, car cela reviendrait à imposer les entreprises sur une base artificiellement augmentée. En revanche, le rapporteur public poursuit en indiquant que, « dès lors que les charges financières non déductibles du résultat de l'exercice au titre duquel elles sont constatées sont reportées sur des exercices postérieurs et deviennent fiscalement déductibles au titre de ces exercices, il n'y a pas de raison de ne pas les prendre en considération dans l'assiette des charges soumises au plafonnement au titre de ces exercices ».

Autrement dit, selon la Haute Assemblée, il ne résulte pas du IV de l'article 212 bis, qui a pour objet d'exclure de la réintégration prévue au I de cet article les intérêts qui, en application du 1 du II de l'article 212 du code général des impôts, ne sont pas fiscalement déductibles au titre de l'exercice de leur comptabilisation, que ces mêmes intérêts différés ne devraient pas faire l'objet de cette réintégration au titre de l'exercice où ils deviennent, le cas échéant, fiscalement déductibles.

Ce faisant, le Conseil d'Etat rejoint la position exprimée par le tribunal administratif de Montreuil en date du 11 novembre 2017 n° 16-7835, Sté Thai Union France, qui a récemment jugé que les charges financières à prendre en compte pour l'application du régime dit du « rabot général » de déduction incluent les intérêts dont la déduction a été différée en application du dispositif relatif aux situations de sous-capitalisation.

Le rapporteur Sylvain Humbert avait, à cet égard, relevé que les dispositions de l'article 223 B bis ne permettent aucunement de considérer que l'assiette de la réintégration serait commandée par la comptabilisation des charges financières, car ce dispositif est selon lui totalement extra-comptable.

En second lieu, la société Transdev relevait l'existence d'une incohérence entre les dispositions :
- du II des articles 212 bis et 223 B bis aux termes desquelles le montant des charges financières pris en compte pour le calcul de la franchise de 3 millions d'euros ne tient pas compte des dispositifs limitant la déduction des charges financières nettes mentionnés aux articles 209, IX et 212 du CGI,
- et celles aux termes desquelles la fraction des intérêts non déductibles immédiatement en application de ces dispositions est, au contraire, soustraite de l'assiette des charges soumises au plafonnement.

Si la réponse de la Haute Assemblée sur ce point peut sembler laconique, « la circonstance que les intérêts dont la déduction immédiate est refusée en application du 1 du II de l'article 212 soient pris en compte pour l'appréciation du seuil d'application du dispositif de plafonnement des charges financières déductibles fixé par le II de l'article 212 bis est sans incidence sur la légalité des énonciations attaquées, qui sont relatives aux charges financières à prendre en compte pour l'application du I de cet article et non au seuil fixé au II », les conclusions du rapporteur public sont davantage étayées. Selon ce dernier en effet, les intérêts différés sont pris en compte au titre de l'exercice de comptabilisation pour apprécier l'éventuel dépassement du seuil de 3 millions d'euros, ce qui est selon lui cohérent avec l'objectif poursuivi par l'instauration de cette mesure de franchise destinée à exonérer du rabot les PME. En revanche, ces mêmes intérêts différés sont retenus au titre de l'exercice au titre duquel ils sont admis en déduction pour l'application du plafonnement.

Enfin, s'agissant de l'application du rabot aux intérêts constatés au cours d'exercices antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2013 et dont la déduction avait été différée, le Conseil d'Etat retient simplement qu'une telle interprétation résulte des termes même de la loi puisque « l'article 212 bis [...] s'applique, en vertu de l'article 1er de la loi [de finances pour 2013] à l'impôt dû par les sociétés sur les résultats des exercices clos à compter du 31 décembre 2012 ».

La conclusion ne surprend guère car les charges financières dont la déduction n'est pas autorisée immédiatement et qui sont reportées dans le temps sont nécessairement soumises aux règles en vigueur à la clôture de l'exercice au titre duquel elles seront admises en déduction du résultat.

[1] CE, 8 décembre 2017, n° 411941, SA Transdev Group : Droit fiscal n° 10, 8 mars 2018, comm. 213

[2] BOI-IS-BASE-35-40, n° 60