Articles & Actualités
Fiscalité des entreprises
Prélèvement sur les plus-values immobilières : l’exonération vaut pour les Etats étrangers, pas pour les sociétés de personnes dont ils sont associés
Philippe Legentil
Le Conseil d'État juge que l'exonération du prélèvement sur les plus-values immobilières réalisées par des non-résidents prévue à l'article 244 bis A du CGI en faveur des États étrangers, ne s'étend pas aux sociétés de personnes dont ils sont les associés[1].
En l'espèce, une SCI dont l'État du Koweït détient 99,99 % des parts ne peut être exonérée de ce prélèvement au titre de la cession d'un bien immobilier à proportion des droits détenus par cet État.
En réclamant la restitution du prélèvement de l'article 244 bis A du CGI initialement acquitté au titre de la plus-value de cession d'un ensemble immobilier intervenue le 30 septembre 2011, la SCI Faucon, détenue par l'État du Koweït, allait amener les juridictions successivement saisies du litige, à se prononcer sur deux questions : un État souverain, exonéré du prélèvement de l'article 244 bis A par renvoi à l'article 131 ter du CGI bénéficie-t-il de cette exonération lorsque le gain est constaté au travers d'une société fiscalement translucide et le bénéfice de cette exonération est-il par ailleurs subordonné à un agrément.
La SCI a, en premier lieu obtenu satisfaction devant le Tribunal administratif de Nice[2] puis devant la Cour administrative d'appel de Marseille[3]. Selon la cour, « il résulte des dispositions de l'article 244 bis A du code général des impôts que les sociétés de personnes visées au 2 du I sont soumises au prélèvement libératoire ainsi institué, au prorata des droits sociaux détenus par leurs associés étrangers, seulement dans la mesure où ces associés ne seraient pas eux-mêmes exonérés de plein droit de ce prélèvement, en application du 1 du I de ce même article ».
Dans son arrêt SCI Faucon ici commenté, le Conseil d'État en juge tout autrement. L'arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille est cassé et l'affaire renvoyée devant la même cour.
Le pourvoi de l'administration faisait valoir que l'article 244 bis A du CGI n'exonère de prélèvement que les États sou- verains et non les sociétés civiles qui, bien que détenues par de tels États, ont une personnalité fiscale propre. Il soutenait, par ailleurs, qu'à supposer que les sociétés civiles puissent l'invoquer, le bénéfice de l'exonération serait, en tout état de cause, subordonné à l'obtention préalable d'un agrément en application de l'article 131 sexies du CGI.
Pour accueillir la demande de l'administration, l'arrêt rappelle dans son deuxième considérant, qu'aux termes de l'article 244 bis A du CGI, dans sa version applicable au litige :
« I.-1. Sous réserve des conventions internationales, les plus-values, telles que définies aux e bis et e ter du I de l'article 164 B, réalisées par les personnes et organismes mentionnés au 2 du I lors de la cession des biens ou droits mentionnés au 3 sont soumises à un prélèvement selon le taux fixé au deuxième alinéa du I de l'article 219. / (…) Les organisations internationales, les États étrangers, les banques centrales et les institutions financières publiques de ces États sont exonérés de ce prélèvement dans les conditions prévues à l'article 131 sexies. (…) 2. Sont soumis au prélèvement mentionné au 1 : (…) c) Les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter dont le siège social est situé en France, au prorata des droits sociaux détenus par des associés qui ne sont pas domiciliés en France ou dont le siège social est situé hors de France ; (…) 3. Le prélèvement mentionné au 1 s'applique aux plus-values résultant de la cession : a) De biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens ; (…) ». Il résulte de la lettre même de ces dispositions, précise la décision, que l'exonération du prélèvement prévu à l'article 244 bis A du CGI bénéficie aux États étrangers mais qu'elle ne s'étend pas aux sociétés de personnes dont ils sont les associés.
L'exonération n'étant ainsi par principe pas applicable, la question de ses modalités de mise en œuvre - agrément préalable ou pas - n'était plus en cause et n'a pas été examinée par le Conseil d'État[4].
La solution peut paraître sévère dans son principe et ses effets. En effet, l'extension du champ du prélèvement aux gains des sociétés de personnes, issue de l'article 50 de la loi de finances rectificative pour 2004 du 29 décembre 2004, tendait à faire obstacle à ce qu'un traitement plus avantageux bénéficie aux contribuables non résidents qui détiendraient leurs actifs immobiliers français par le biais d'une société translucide plutôt que directement. Or, dans le cas d'un non-résident tel qu'un État souverain bénéficiant d'une exonération, la solution retenue revient à appliquer un traitement moins favorable en cas de détention indirecte, ce qui n'était probablement pas le but du législateur lors de la modification apportée au texte.
Il demeure que l'éventualité d'une solution différente paraissait se heurter de manière frontale à la doctrine française bien établie de la translucidité des sociétés de personnes.
Dès 1997, l'arrêt Kingroup du Conseil d'État[5] exprimait le principe et les effets de la personnalité fiscale des entités françaises fiscalement translucides à l'égard de leurs asso- ciés ou membres non-résidents : les résultats sont établis au niveau de l'entité tandis que la charge fiscale correspon- dante est directement attribuée aux associés ou membres, la circonstance que ces derniers seraient non résidents étant indifférente. Une société canadienne membre d'un GIE, lequel est un sujet fiscal à part entière selon le principe ci-dessus, était ainsi imposable à l'IS en France du seul fait de sa par- ticipation dans le GIE et de l'attribution de résultat qui lui est automatiquement faite à des fins fiscales. Ce membre canadien du GIE ne pouvait dès lors échapper à l'IS sur la quote-part de redevances reçues par le GIE et lui revenant, ni en mettant en avant l'absence d'établissement stable en France auquel les redevances auraient été rattachables, ni en invoquant un principe de transparence dont il aurait résulté que les redevances auraient été considérées comme directement reçues par le membre non résident et seulement imposables en France au taux maximum de la retenue à la source conventionnelle de 10%. Un élément de revenu constaté par une société relevant du régime des sociétés de personnes est un revenu propre à cette entité et non un revenu de ses associés.
Le même raisonnement était repris par l'arrêt Hubertus AG[6], précisément à propos de la quote-part d'une plus-value immobilière constatée par une SCI et imputable à des fins fiscales à une société résidente de Suisse et, plus récemment, consacré par l'arrêt de plénière Quality Invest[7] : dès lors que le revenu constaté par une SCI est un revenu qui lui est propre et non un revenu de l'associé, la convention fiscale entre la France et l'État de résidence de l'associé ne peut, sauf prévision particulière de cette convention, être invoquée pour faire obstacle à l'imposition en France de la quote-part de revenu lui revenant.
Déclinés à l'affaire SCI Faucon commentée, ces principes ne laissaient pas entrevoir la possibilité de considérer que la plus-value avait été constatée par l'État du Koweït plutôt que par la SCI. Intervenait alors l'obstacle du texte même de l'article 244 bis A pour faire valoir le bénéfice de l'exonération éventuellement applicable aux États souverains : le texte prévoit que « Les organisations internationales, les États étrangers, les banques centrales et les institutions financières publiques de ces États sont exonérés de ce prélèvement dans les conditions prévues à l'article 131 sexies ». Rien ne permet donc d'étendre l'exonération aux sociétés de personnes - puisque ce sont elles qui constatent le gain et acquittent le prélèvement - dont les États étrangers sont membres.
La conclusion de cette discussion peut alors tenir dans la formulation ramassée proposée par le rapporteur public Madame Bokdam-Tognetti dans ses conclusions (repro- duites en annexe) : « La loi de finances rectificative pour 2004 [nous] paraît donc, en n'ayant pas réservé le cas des associés non résidents qui auraient été exonérés s'ils avaient cédé eux-mêmes le bien, avoir laissé un angle mort ; mais seul le législateur, non le juge, [nous] paraît apte à pouvoir réparer, s'il l'estime opportun, cet oubli. »
* Cet article a été publié dans la revue Fiscalité internationale, 2-2020, Mai 2020
[1] CE, 9e et 10e ch., 22 janv. 2020, n° 423160, Min. c/ SCI Faucon, concl. E. Bokdam-Tognetti
[2] TA Nice, 26 juin 2015, n° 1302475
[3] CAA Marseille, 27 juin 2018, n° 15MA04148
[4] Dans ses conclusions, Madame Bokdam-Tognetti écrivait que si le Conseil d'État considérait – ce à quoi elle n'était pas favorable – que l'exonération était applicable à l'État associé de la SCI, alors l'exonération de l'article 131 sexies devrait être considérée comme applicable de plein droit.
[5] CE, 4 avr. 1997, n° 144211, Sté Kingroup Inc.
[6] CE, 9 févr. 2000, n° 178839, Hubertus AG.
[7] CE, plén., 11 juill. 2011, n° 317024, Sté Quality Invest : Rec. Lebon 2011, p. 342