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Fiscalité des particuliers

Modalités d'imposition à l'IR des cessions de crypto-monnaies : premières précisions jurisprudentielles*

24/08/2018

Mathieu Ferré

Annulant partiellement l'instruction fiscale du 11 juillet 2014 par laquelle l'Administration avait exposé son interprétation du régime fiscal des cessions de Bitcoins, le Conseil d'Etat retient que de telles opérations relèvent en principe du régime des plus-values sur biens meubles sauf lorsqu'elles peuvent se rattacher à l'exercice d'une activité professionnelle (achats-reventes / « minage »)#1. Si l'analyse issue de cette décision se révélera généralement plus favorable aux contribuables, elle suscite en revanche un certain nombre de difficultés pratiques permettant d'espérer une intervention future du législateur.

La confrontation des règles classiques de la fiscalité aux nouveautés « disruptives » liées à l'essor de l'économie numérique et au développement des nouvelles technologiques met en évidence la difficulté de traiter ces sujets avec des normes et des concepts issus de l'ancien temps. Si l'on pense bien évidemment à la problématique de l'établissement stable des entreprises de l'économie 2.0#2, la décision ici commentée, dans laquelle le Conseil d'Etat se retrouve à faire application des règles quelque peu vieillies et inadaptées de l'impôt sur le revenu (IR) aux cessions de bitcoins, en fournit un autre exemple.

Le bitcoin est une « monnaie » entièrement virtuelle basée sur le système de la « blockchain » qu'il est possible d'acquérir, après avoir ouvert un portefeuille électronique appelé « wallet », soit à titre gratuit en participant au système par le biais de la mise à disposition du pouvoir de calcul de son matériel informatique pour valider les transactions réalisées par les autres opérateurs (pratique appelée « minage »), soit en les acquérant en échange de devises traditionnelles, ou de biens et services, sur différentes plateformes.

Si initialement, cette « monnaie virtuelle » conçue à la fin des années 2000 n'était connue que par un cercle restreint d'initiés intéressés essentiellement par son caractère dérégulé et « occulte », sa popularité a progressivement augmenté se traduisant par une multiplication de ses possibilités d'utilisation et, parallèlement, de sa valeur d'échange. Progressivement, de nouvelles « crypto-monnaies », voire plus largement différents autres types de crypto-actifs basés sur le mécanisme de blockchain sont apparus.

En raison de la montée en puissance du bitcoin et des montants que pouvaient représenter certaines transactions, l'Administration fiscale est venue, en l'absence de dispositions législatives spécifiques portant sur les crypto-monnaies, préciser son interprétation de leur régime fiscal dans une instruction fiscale du 11 juillet 2014 qui, outre la problématique de la taxation des gains de cession à l'impôt sur le revenu, prévoyait également leur inclusion dans le patrimoine imposable à l'ISF et aux droits de mutation à titre gratuit.

Elle envisageait à ce titre un régime d'imposition dual selon que la détention des bitcoins était susceptible de se rattacher à une activité à caractère « professionnel » ou non. Ainsi, lorsque les gains afférents aux cessions de bitcoins relevaient d'une telle activité (activité spéculative d'achats-reventes ou « minage »), ceux-ci se rattachaient à la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC)#3 ; dans le cas contraire ces gains étaient imposables dans la « cédule balai » des bénéfices non commerciaux (BNC)#4.

Cette analyse contestée juridiquement par un certain nombre de praticiens se révélait bien souvent défavorable aux contribuables puisqu'elle se matérialisait par l'imposition de ces gains au barème progressif de l'IR. Outre le niveau d'imposition important qui pouvait excéder les 65 % une fois pris en compte les prélèvements sociaux et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), cette conception créait des difficultés pratiques pour les individus au regard de la nécessité d'adhérer à un centre ou à une association de gestion agréée, des obligations liées à la tenue d'une comptabilité, voire des risques liés à la caractérisation d'une activité occulte. Ainsi, afin d'obtenir une prise de position rapide du juge de l'impôt sur la validité de cette interprétation, plusieurs contribuables l'ont alors contestée par la voie de l'excès de pouvoir.

Si la Cour de justice de l'Union européenne avait déjà été confrontée à la délicate question du régime fiscal des crypto-monnaies à l'occasion d'un arrêt rendu à la suite d'un renvoi préjudiciel portant sur l'interprétation de la directive TVA#5, il s'agissait de la première rencontre entre le juge national et ce bien particulier.

En faisant partiellement droit à la requête des contribuables, le Conseil d'Etat vient, dans cette décision, procéder à un redécoupage du régime fiscal applicable à de telles cessions en distinguant les opérations relevant de la simple gestion d'un patrimoine privé imposables selon le régime, peu connu, des plus-values sur biens meubles, des opérations se rattachant à l'exercice d'une véritable activité professionnelle imposables, selon le cas, en BIC (achats-reventes) ou en BNC (« minage ») (1). Si cette décision mérite d'être saluée en tant qu'elle permet d'alléger, pour la plupart des contribuables, la fiscalité pesant sur les cessions de bitcoins, elle est loin de régler l'ensemble des interrogations susceptibles de se présenter (2) et ouvre la voie à de nouvelles précisions doctrinales, voire à l'évolution de la législation fiscale sur cette question.

Précisons d'ores et déjà que si l'instruction fiscale ne concernait expressément que les bitcoins, la solution résultant de cette décision est susceptible de s'appliquer à l'ensemble des crypto-monnaies, voire même plus largement des crypto-actifs tels que les tokens émis à l'occasion d'Initial Coin Offering (ICO), même si s'agissant de ces derniers biens, une analyse juridique plus détaillée mériterait d'être effectuée au cas par cas pour apprécier leur nature au regard des droits qu'ils confèrent#6.

1. Détermination des revenus catégoriels auxquels se rattachent les cessions de crypto-monnaies

Les contribuables contestaient essentiellement l'imposition en BNC des cessions de bitcoins ne se rattachant pas à l'exercice d'une activité professionnelle. Ils soutenaient que l'interprétation de l'Administration selon laquelle les cessions de bitcoins étaient imposables en BIC dès lors qu'elles présentaient un caractère habituel, sans exiger qu'elles revêtent un caractère professionnel, était erronée et aboutissait à une différence de traitement par rapport au régime des cessions de valeurs mobilières réalisées dans des conditions analogues à celles effectuées par un professionnel, imposables pour leur part en BNC.

La nature juridique des crypto-monnaies. - Afin de pouvoir déterminer à quels revenus catégoriels se rattachaient les gains issus de cessions de bitcoins, le Conseil d'Etat devait tout d'abord apprécier la qualification de cet « objet juridique non identifié », pour reprendre l'expression du professeur Rousille#7. Pour ce faire, conformément aux dispositions de l'article 516 du code civil établissant la summa divisio entre les meubles et les immeubles, il va logiquement considérer que dès lors que ces crypto-actifs n'étaient pas susceptibles de se rattacher à la liste limitative des biens immeubles, ils revêtaient donc la nature de biens meubles et plus particulièrement celle de biens meubles incorporels suivant en cela une position partagée par la doctrine#8.

La nature juridique de ces biens étant précisée, il convenait alors de déterminer si les gains de cession étaient imposables dans une catégorie déterminée ou s'il convenait de les rattacher, par défaut, à la « cédule balai » des BNC.

L'application du régime des plus-values sur biens meubles. - Si le régime des plus-values mobilières#9 n'était pas pertinent dès lors que ce type particulier d'actifs ne se rattache pas à la catégorie des « valeurs mobilières » selon la conception retenue par la loi#10, il restait à apprécier la question de l'application du régime des plus-values sur biens meubles prévu à l'article 150 UA du CGI.

Les gains résultant de la cession d'unités de crypto-monnaies pouvaient-il être considérés comme se rattachant aux « plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de biens meubles » ? Au vu de la qualification juridique retenue, la réponse est affirmative pour le Conseil d'Etat qui considère, de manière inédite, que ces dispositions ont également vocation à s'appliquer aux cessions de biens meubles incorporels à défaut de dispositions contraires. Si cette affirmation est, à notre connaissance, inédite en jurisprudence, une réponse ministérielle avait déjà indiqué que ce régime s'appliquait à la cession de la nue-propriété d'une marque#11.

Cette analyse est fondée dès lors que, en vertu du principe ubi lex non distinguit, la lettre claire du texte invitait à son application à l'ensemble des cessions de biens meubles qu'ils soient corporels ou incorporels. Par ailleurs, comme le relevait le rapporteur public, cette appréciation était confortée par l'intention du législateur qui souhaitait, avec l'adoption de la loi n° 76-660 du 19 juillet 1976, instaurer un régime généralisé d'imposition des plus-values sous réserve des exceptions limitativement prévues par la loi.

Pour autant, les dispositions de l'article 150 UA du CGI, qui permettent notamment d'exonérer totalement d'impôt les opérations de cession dont le prix est inférieur à 5 000 €, n'ont pas vocation à régir l'intégralité des cessions de crypto-actifs, puisque celles-ci réservent expressément l'hypothèse des cessions entrant dans une autre catégorie de revenus. En définitive, seules les cessions relevant de la gestion d'un patrimoine bénéficieront de ce régime.

L'imposition en BIC des profits tirés d'une activité professionnelle d'achats-reventes. - La qualification mobilière de ces crypto-actifs avait également pour conséquence que les opérations d'achats-reventes de bitcoins étaient susceptibles d'être qualifiées d'acte de commerce au sens des dispositions du 1° de l'article L. 110-1 du code de commerce. En effet, le juge judiciaire a déjà pu considérer que des opérations d'achats-reventes de biens meubles incorporels pouvaient être qualifiées d'actes de commerce#12.

Il en résultait donc que, dès lors que la commercialité au sens de l'article 34 du CGI s'apprécie au regard des principes énoncés dans le Code de commerce#13, de telles opérations sont susceptibles de se rattacher à la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Cependant pour ce faire, encore faut-il que ces opérations s'inscrivent dans le cadre d'une véritable « profession commerciale ».

Ainsi, le Conseil d'Etat, dans le cadre de l'appréciation du caractère sérieux de la QPC, vient expressément indiquer que le caractère « habituel » des cessions n'est pas en lui-même suffisant à la caractérisation d'une profession commerciale au sens de cette disposition et exige que doive être caractérisée une véritable intention lucrative du contribuable.

Seront en définitive imposables dans la catégorie des BIC pour le Conseil d'Etat uniquement « les gains provenant de la cession à titre habituel, d'unités de "bitcoins", acquises en vue de leur revente, y compris lorsque la cession prend la forme d'un échange avec un autre bien meuble, dans des conditions caractérisant l'exercice d'une profession commerciale ».

Par la suite, le Conseil d'Etat va écarter le grief tiré de la différence de traitement entre les contribuables imposables au titre des gains résultant des cessions de bitcoins dans la catégorie des BIC et ceux réalisant des opérations de bourse dans des conditions analogues à des professionnels imposables dans la catégorie des BNC en vertu des dispositions du 2° du 1 de l'article 92 du CGI. Il considère que le législateur était en droit de de soumettre ces opérations à des règles d'imposition différentes dès lors que ces activités d'achats-reventes portent sur des biens de nature distinctes soumis à des règlementations différentes#14. Cette analyse n'est pas surprenante puisqu'une solution contraire aurait pu conduire à l'obligation d'aligner, de manière globale, le régime fiscal des cessions de crypto-actifs sur celui des cessions de valeurs mobilières…

L'imposition en BNC des gains résultant de l'activité de « minage ». - Enfin, la Haute juridiction va prévoir un régime particulier aux cessions de bitcoins issus de l'activité de « minage ». La formation de jugement va ainsi considérer que de tels gains ne résultent pas d'une simple opération de placement mais se rattachent à une véritable « activité » caractérisée par la « participation du contribuable à la création ou au fonctionnement de ce système d'unité de compte virtuelle ». Dès lors, la formation de jugement considère que ce gain doit être assimilé aux « bénéfices […] de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits » visés au 1 de l'article 92 du CGI et relève dès lors des BNC.

Cette analyse est susceptible d'être rapprochée de la jurisprudence admettant la requalification des gains tirés de la cession de valeurs mobilières en BNC dans les cas, au demeurant exceptionnels, où l'Administration parvient à démontrer que le gain résulte de l'exercice d'une activité particulière du contribuable cédant#15 ou de l'imposition en BNC des gains tirés de la pratique habituelle du poker puisque l'expérience du joueur permet dans ces cas d'atténuer le caractère aléatoire des gains et de considérer que ceux-ci viennent rémunérer l'exercice d'une véritable activité#16.

Exposé du triptyque. - En définitive, les gains issus de cessions de bitcoins pourront relever de trois régimes d'imposition selon les circonstances :

- le régime BIC en cas d'opérations d'achats-reventes caractérisant l'existence d'une activité commerciale (on parlera de « cryptotrading ») ;

- le régime BNC pour les bitcoins obtenus dans le cadre d'une activité de « minage » ;

- le régime des plus-values sur biens meubles dans les autres cas.

Si ce triptyque est le fruit d'une analyse fine du Conseil d'Etat justifiée au regard de l'articulation entre les différents revenus catégoriels, il s'avérera en pratique difficile à manier.

2. Conséquences et incertitudes quant au traitement fiscal des cessions de crypto-monnaies

Face à l'impossibilité d'étudier l'intégralité des incidences de cette analyse de manière exhaustive, nous nous limiterons à souligner quelques difficultés quant à la mise en œuvre pratique de la règle de qualification retenue par le Conseil d'Etat, avant d'aborder les modalités d'imposition des cessions relevant du régime des plus-values sur biens meubles. En revanche, nous n'évoquerons pas dans ce commentaire le régime des gains imposables en BIC et BNC bien qu'il puisse soulever également d'intéressantes problématiques.

Une frontière difficilement perceptible. - Si la formation de jugement trace des frontières entre les trois régimes d'imposition, il n'en demeure pas moins que la distinction entre les cessions de bitcoins se rattachant à la simple gestion d'un patrimoine privé et celles relevant d'une véritable activité d'achats-reventes « commerciale » risque de s'avérer délicate dans certains cas.

En effet, dès lors que l'intention lucrative consiste généralement en la volonté, lors de l'achat du bien, de le revendre en réalisant un profit, ce critère ne semble pas véritablement « pertinent » en présence de biens improductifs de revenus tels que les bitcoins, dès lors que tout particulier, en achetant dans une logique de « placement », n'est finalement guidé que par une volonté : les revendre ultérieurement en réalisant un profit.

Par ailleurs, le caractère « habituel » n'est pas non plus source d'une grande sécurité juridique puisque l'Administration indique dans sa doctrine que « des actes de commerce peu nombreux mais périodiques » sont susceptibles d'avoir un caractère professionnel#17 et que la jurisprudence interprétant cette exigence est particulièrement casuistique#18. On peut tout de même remarquer que la jurisprudence développée par le juge de l'impôt au sujet des personnes physiques cédant des œuvres d'art ne semble admettre la requalification en BIC au regard de l'importance, du nombre et de la fréquence des transactions que dans des affaires où ces éléments étaient particulièrement significatifs#19. Ainsi, la simple réitération de cessions au cours d'une année ne devrait pas suffire à entraîner une telle requalification dès lors que leur nombre demeure raisonnable.

On peut d'ailleurs relever qu'il ressort du considérant de principe cité précédemment que le Conseil d'Etat exige, pour que des cessions de crypto-monnaies relèvent des BIC, outre leur caractère habituel, le fait que celles-ci soient réalisées « dans des conditions caractérisant l'exercice d'une profession commerciale ». Ceci permet d'espérer que ce régime d'imposition soit restreint uniquement aux individus ayant une connaissance particulièrement approfondie du marché, réalisant un nombre de cessions important, voire disposant d'un matériel spécifique, et ne puisse dès lors concerner de simples particuliers s'inscrivant uniquement dans une logique de placement à long terme ou de diversification de leurs actifs#20.

Il semblerait donc que le franchissement éventuel de la frontière BIC/plus-values sur biens meubles doive s'apprécier au regard d'un faisceau d'indices tenant, notamment, au nombre, à la fréquence des opérations, à leur échelonnement dans le temps voire à leur nature (distinction entre la simple revente et l'échange entre crypto-actifs).

Des difficultés risquent également de se présenter en cas de « pluri-activité » : quid du contribuable qui exerce une activité de « minage » mais qui acquerrait en parallèle des bitcoins à titre onéreux ? S'il relève du régime BIC car il exerce une véritable activité de « cryptotrading », la règle de l'accessoire prévue au I de l'article 155 du CGI devrait trouver à s'appliquer afin de permettre d'assurer l'imposition de l'intégralité des profits réalisés soit en BIC soit en BNC selon que c'est l'activité de « cryptotrading » ou de « minage » qui est considérée comme prépondérante. En revanche, le cumul d'une activité de « minage » avec une détention « passive » de bitcoins acquis à titre onéreux dont les cessions devraient être imposées selon le régime des plus-values sur biens meubles risque de poser des difficultés liées à la détermination du régime effectivement applicable lorsque le contribuable cédera ses unités de crypto-monnaies.

Régime des cessions de crypto-actifs relevant de la simple gestion d'un patrimoine privé.Conformément au régime des plus-values sur biens meubles, les cessions de crypto-actifs suivront paradoxalement un régime proche de celui des cessions d'immeubles.

Opérations imposables. - En vertu de la rédaction de l'article 150 UA du CGI faisant référence aux « cessions à titre onéreux », la plupart des opérations portant sur des crypto-actifs seront susceptibles de constituer un fait générateur d'imposition.

Si tel sera bien évidemment le cas de la revente contre des devises traditionnelles, il en sera de même en cas d'échange de ces actifs contre des biens corporels ou une prestation de services (paiement de biens ou services en bitcoins) ou d'échange contre d'autres crypto-actifs (échange entre deux crypto-monnaies ; échange contre des tokens dans le cadre de la souscription à une ICO). En effet, il paraît difficilement contestable que de telles opérations, réalisées à titre onéreux et qui exigent l'accord des deux cocontractants s'analysent juridiquement en un échange ou du moins en une « cession à titre onéreux »#21.

Ainsi, même si ces opérations ne dégagent aucune liquidité pour le contribuable, elles devraient théoriquement entraîner l'imposition de la plus-value égale à la différence entre la valeur de la contrepartie à la date de l'opération et le prix d'acquisition des bitcoins « cédés », en l'absence de toute disposition légale prévoyant un sursis d'imposition. Si une telle imposition immédiate peut étonner au regard de la notion de disponibilité des revenus#22, il est nécessaire de se rappeler que cette condition revêt une conception particulière s'agissant de l'imposition des plus-values dont le fait générateur est déconnecté de la date effective du paiement. Par ailleurs, elle ne devrait pas non plus être contestable sous l'angle constitutionnel dès lors que le Conseil d'Etat a déjà pu rejeter une QPC en considérant que le fait qu'une plus-value soit imposée à l'occasion d'une opération ne dégageant aucune liquidité ne soulevait pas de difficultés sérieuses au regard du principe d'égalité devant les charges publiques#23.

En pratique, ces règles d'imposition risquent tout de même de s'avérer impraticables puisque, outre la quasi-impossibilité pour l'Administration d'identifier les opérations qui ne se traduisent pas par un flux de devises réelles sur le compte du contribuable, les individus seront tenus, sous réserve de l'exonération tenant au montant, de déclarer dans le mois chaque opération portant sur leurs crypto-actifs. Ainsi un contribuable participant à une ICO par la remise de bitcoins serait contraint de déclarer et payer l'impôt afférent à l'éventuelle plus-value « réalisée » depuis la date d'acquisition de ses bitcoins ; puis, il devrait en faire de même par la suite, lorsqu'il cédera les tokens ou à chaque fois qu'il en utilisera un pour acquérir un bien ou un service auprès de la société les ayant émis…

Opérations non imposables. - En revanche, l'application du régime de l'article 150 UA du CGI permet de faire échapper à toute imposition à l'IR des transmissions à titre gratuit de crypto-actifs.

Par ailleurs, en vertu de l'exonération prévue au 2° du II de l'article 150 UA du CGI, les opérations dont le prix de cession est inférieur à 5 000 € ne sont pas imposables.

Cette condition, prévue pour des biens meubles a priori individualisables peut susciter des interrogations quant à ses modalités d'application aux cessions d'unités de bitcoins divisibles jusqu'à la 8e décimale. Faut-il raisonner globalement ou apprécier le seuil au regard de chaque « bloc » de bitcoins précédemment acquis qui font l'objet de la cession ? Au regard de la position exprimée par l'Administration indiquant que le respect de ce seuil doit s'apprécier « cession par cession »#24, il semblerait qu'il convienne de raisonner globalement en fonction de chaque opération de transfert de bitcoins réalisée y compris si plusieurs d'entre elles interviennent le même jour. Quant à la notion de prix de cession, elle devrait être interprétée largement comme la contrepartie obtenue en rémunération de la cession (devises, valeur du service ou du bien, etc.). Se retrouveront ainsi de facto exonérée les opérations de paiement par bitcoins lorsque la valeur du bien ou du service acquis sera inférieure à 5 000 €.

Ainsi, s'il paraît possible d'échapper à toute imposition en réalisant des « cessions » d'un montant inférieur à 5 000 €, il convient tout de même de déconseiller aux contribuables de fractionner artificiellement les cessions en vue de passer sous ce seuil puisque l'Administration risquerait alors de mettre en œuvre la procédure de l'abus de droit voire de requalifier le gain réalisé en BIC au regard de la fréquence des opérations. Là également, le facteur temps risque de jouer un rôle déterminant incitant à recommander d'espacer les opérations d'une durée minimale.

Précisons que ce seuil de 5 000 € ne constitue pas un abattement ainsi dès lors que le prix de cession excédera cette valeur l'intégralité de la plus-value sera imposable.

Assiette. Conformément aux règles fixées par les articles 150 V et s. du CGI, la plus-value sera déterminée par la différence entre le prix de cession (ou plus largement la contrepartie à la transmission des bitcoins), diminué le cas échéant des frais supportés par le vendeur à l'occasion de la cession telles que les sommes prélevées par la plateforme d'échange, et le prix d'acquisition des crypto-actifs cédés (majoré le cas échéant des droits de mutation à titre gratuit supportés par le cédant dans l'hypothèse, rare à l'heure actuelle mais qui pourrait éventuellement se développer, où il a acquis les unités à la suite d'une donation ou d'un décès). Cette plus-value brute sera minorée d'un abattement pour durée de détention de 5 % à compter de la deuxième année#25. Précisons qu'à la différence du régime des plus-values immobilières, cet abattement sera identique pour la liquidation des prélèvements sociaux.

Ces règles d'assiette soulèvent également plusieurs difficultés.

La détermination du prix de cession ne sera pas toujours aisée dans le cadre d'opérations assimilables à un échange, notamment si la contrepartie est un autre crypto-actif dès lors qu'il conviendra de retenir la valeur vénale de ce bien à la date du transfert.

Par ailleurs, la détermination du prix d'acquisition et de l'abattement applicable pourra s'avérer délicate en cas de cessions partielles en raison de la quasi-fongibilité de ces crypto-actifs et de l'absence de règles définissant la méthode à retenir pour déterminer les biens qui sont réputés être cédés (PEPS ou coût unitaire moyen pondéré). Pour autant, au regard des dispositions des articles 150 UA et s. du CGI, si le contribuable parvient à justifier précisément quelles sont les unités cédés, en les retraçant jusqu'à leur date d'acquisition, l'Administration ne devrait pas pouvoir lui imposer de retenir une méthode de détermination de sa plus-value différente. Dans les autres cas, il reviendra le cas échéant au juge d'arbitrer entre l'application de la méthode PEPS ou du CUMP, à moins qu'il ne laisse au contribuable le choix de déterminer librement les unités cédés.

Quoi qu'il en soit, il est particulièrement important d'attirer l'attention des contribuables sur la nécessité de conserver des éléments permettant de justifier du prix et de la date d'acquisition de leurs bitcoins sous peine de risquer d'être imposés sur la totalité du prix de cession dans le cas contraire.

Absence de prise en compte des moins-values.Contrairement au régime des plus-values mobilières, celui des plus-values sur biens meubles interdit toute imputation des moins-values y compris en cas d'opérations successives portant sur des biens de même nature#26. Ainsi, un contribuable qui réaliserait une perte à l'occasion de la cession ou de l'échange d'un crypto-actif ne pourrait pas imputer celle-ci sur les éventuelles plus-values qu'il réaliserait au titre de la même année ou des années ultérieures. Au regard de cette disposition, il convient d'espérer que, dans le cas où un contribuable cèderait simultanément plusieurs unités de bitcoins acquises à des prix différents, à un prix unitaire qui serait inférieur au prix d'acquisition de certaines unités, la détermination de la plus-value soit opérée globalement et que l'Administration ne vienne pas refuser la prise en compte de la « perte » constatée sur les unités acquises à une valeur supérieure. Quoi qu'il en soit, indiquons que la constitutionnalité d'une telle impossibilité pourrait éventuellement être contestée par le biais d'une QPC.

Taux d'imposition.La plus-value nette ainsi déterminée sera imposée à l'IR au taux de 19 %#27 et aux prélèvements sociaux au taux de 15,5 % ou 17,2 % selon que la cession a été réalisée antérieurement ou à compter du 1er janvier 2017. A ces impositions s'ajoutera le cas échéant la CEHR au taux de 3 ou de 4 % dès lors que ces plus-values nettes sont prises en compte dans la détermination du revenu fiscal de référence#28. Le taux effectif d'imposition sera donc de 34,5 % ou 36,2 % majoré éventuellement de la CEHR.

Déclaration et paiement.Les contribuables devront déposer une déclaration 2048-M dans le mois suivant la survenance du fait générateur évoqué précédemment en liquidant et en payant simultanément l'impôt et les prélèvements sociaux sous peine des majorations classiquement applicables#29. La CEHR étant quant à elle recouvrée ultérieurement par voie de rôle, le contribuable devra reporter le montant des plus-values nettes sur la déclaration d'ensemble des revenus afin que l'Administration puisse établir son revenu fiscal de référence#30.

Régularisation des cessions antérieures ? Au regard de cette décision, les contribuables qui auraient, conformément à la position de l'Administration, déclaré leurs gains issus de cessions de bitcoins en BNC et qui auraient intérêt à se prévaloir de l'imposition selon les règles des plus-values sur biens meubles ont tout intérêt à déposer une réclamation, accompagnée de déclarations 2048-M rectificatives, auprès de l'administration fiscale.

Ceux pour lesquels l'imposition au barème de l'IR selon les modalités prévues par la doctrine se révélerait plus avantageuse – notamment du fait de la déduction forfaitaire liée au régime micro – pourront se prévaloir des dispositions de l'article L. 80 A du LPF pour opposer cette interprétation à l'Administration. Cette doctrine devrait également pouvoir être invoquée s'agissant des cessions réalisées au cours de l'année 2018 avant la date de la décision du Conseil d'Etat#31.

Des évolutions à attendre ? - À l'heure actuelle, hormis dans les cas où les contribuables déclareraient spontanément leurs gains, les modalités de contrôle de l'administration fiscale ne semblent pas lui permettre d'assurer la pleine et correcte application des règles précédemment exposées, notamment lorsque les opérations ne se matérialisent pas par des flux de trésorerie sur le compte bancaire de l'individu. Dès lors, et au vu du caractère inadapté de ces modalités d'imposition, il convient d'espérer que le législateur se saisisse de la question dans le cadre des prochaines lois de finances afin de définir un régime d'imposition plus équilibré en contrepartie d'obligations déclaratives plus importantes à la charge des opérateurs. S'agissant des pistes de réflexion, il est possible de renvoyer à l'intéressant rapport sur la fiscalité des crypto-monnaies publié en mai 2018 par l'Association française pour la gestion des cybermonnaies (AFGC) qui est accessible sur son site internet.

*Ce commentaire a été publié dans la Revue fiscale du patrimoin n°7-8, comm.10

[1] CE, 26 avr. 2018, n° 417809, 418030, 418031, 418032, 418033

[2] V. notamment TA Paris, 12 juillet 2017, n° 1505178 : JurisData n° 2017-013862 ; Dr. fisc. 2017, n° 39, comm. 482, concl. A. Segretain, note R. Zaghdoun et Q. Philippe

[3] BOI-BIC-CHAMP-60-50, 11 juill. 2014, § 730 s.

[4] BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, 11 juill. 2014, § 1080

[5] CJUE, 22 oct. 2015, aff. C-264/14 : Dr. fisc. 2015, n° 45, act. 608 ; RJF 1/16 n° 105

[6] V. T. Bonneau, « Tokens », titres financiers ou biens divers ? : RD bancaire et fin. 2018, n° 1, repère 1

[7] M. Roussille, Le Bitcoin : objet juridique non identifié : Banque & Droit 2015, n° 159, p. 27

[8] V. notamment M. Roussille, préc.

[9] CGI, art. 150-0 A et s.

[10] V. C. com., art. L. 228-1 et CMF, art. L. 211-1

[11] V. Rép. min. n° 2078 : JOAN 1er déc. 1986, p. 4558 : Dr. fisc. 1987, n° 10, comm. 461

[12] V. par exemple : CA Colmar, 30 déc. 1845, DP 1846.4.7

[13] CE, 29 avr. 2002, n° 234133 : Dr. fisc. 2002, n° 39, comm. 724

[14] A rapprocher de CE, 8 déc. 2017, n° 409429 : Dr. fisc. 2018, n° 13, comm. 238, concl. R. Victor, note J. Chateauneuf

[15] V. CE, 26 févr. 2003, n° 222163 : RJF 5/03 n° 535 ; CE, 27 juill. 2009, n° 300456 : RJF 12/09 n° 1085

[16] V. dernièrement : CAA Paris, 7 févr. 2017, n° 16PA01274 et 16PA00538

[17] BOI-BIC-CHAMP-10-20, 12 sept. 2012, § 20

[18] V. notamment J.-B. Geffroy, JCl. Fiscal Impôts directs Traité, Fasc. 202-10 : Bénéfices industriels et commerciaux. - Définition, 1er sept. 2014, n° 59 et s.

[19] Achat de 155 et vente de 231 tableaux sur une période 4 ans : CE, 14 janv. 1983, n° 34133 : RJF 3/83 n° 357 ; Vente de 217 tableaux sur une période de 2 ans : CE, 18 juin 2007, n° 270734 : RJF 10/07 n° 1088

[20] A rapprocher de la décision suivante concernant la réalisation d'opérations de bourse à titre professionnel : CE, 14 févr. 2001, n° 189572 : Dr. fisc. 2001, n° 27, comm. 618, concl. J. Courtial

[21] V. par analogie sur le régime de l'échange en matière de plus-values immobilières : CE, 9 janv. 1985 n° 37905 : RJF 3/85 n° 485

[22] CGI, art. 12

[23] CE, 12 oct. 2016, n° 401659 : Dr. fisc. 2016, n° 51-52, comm. 678, concl. E. Crépey

[24] BOI-RPPM-PVBMC-10, 1er avr. 2014, § 100

[25] CGI, art. 150 VC

[26] CGI, art. 150 VD

[27] CGI, art. 200 B

[28] CGI, art. 223 sexies et 1417, IV

[29] CGI, art. 150 VG, art. 150 VH et art. 1728

[30] Formulaire n° 2042 C, case 3VZ

[31] A rapprocher de la décision CE, 10 févr. 2017, n° 386221: Dr. fisc. 2017, n° 21, comm. 324, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon.

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