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Fiscalité des entreprises
Les coups de semonce répétés de la CJUE contre les régimes de groupe
Anne Colmet Daâge
Des conclusions présentées le 25 octobre dernier devant la Cour de justice de l'Union européenne à propos du régime de groupe néerlandais attestent du besoin de revisiter, 30 ans après son introduction dans le droit français, l'intégration fiscale afin d'assurer la sécurité juridique que les entreprises sont en droit d'attendre.
L'influence du droit de l'Union européenne sur les contours des régimes de groupe est désormais une évidence, comme l'illustrent les adaptations successives du dispositif français.
Si le principe de territorialité de l'impôt, et sa déclinaison propre au droit européen de répartition du pouvoir d'imposition, justifie que les régimes de groupe soient limités aux seules sociétés sur lesquelles un Etat exerce sa souveraineté fiscale #1, il ne confère pas aux Etats membres une totale liberté dans la définition des règles propres aux groupes fiscaux.
Au-delà de la simple compensation des pertes et des profits, la neutralisation de certaines opérations entre sociétés membres d'un groupe est susceptible d'être regardée comme une restriction à la liberté d'établissement, sauf à être justifiée par une « raison impérieuse d'intérêt général ». Or, au titre des justifications, le juge européen refuse d'apprécier globalement la cohérence du système et retient une approche par élément : Il est ainsi nécessaire d'établir l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal consenti aux sociétés faisant partie d'un groupe fiscal et un désavantage fiscal résultant d'une telle neutralisation des opérations internes audit groupe #2.
Amené à se prononcer sur l'euro-compatibilité du régime de groupe néerlandais, l'Avocat général Campos Sanchez-Bordona a suivi cette approche et conclut à la contrariété à la liberté d'établissement d'une disposition interdisant la déductibilité des intérêts d'un emprunt contracté afin de financer l'acquisition de titres d'une société liée, y compris sous forme d'apport en capital, dès lors que ces intérêts seraient déductibles s'il s'agissait d'un apport opéré au bénéfice d'une filiale membre d'un même groupe #3.
Si les conclusions s'inscrivent de prime abord dans la lignée des principes dégagés par le juge européen, l'examen des faits atteste des difficultés d'analyse des subtilités des régimes fiscaux nationaux. Contrairement à l'intégration fiscale française, mécanisme hybride puisque laissant subsister malgré un redevable unique les sujets d'impôts que sont les filiales intégrées, le régime néerlandais est celui d'une consolidation : la société mère est considérée détenir le patrimoine des filiales qui perdent leur personnalité fiscale
Dans ce contexte, le raisonnement suivi par l'Avocat général est-il suffisant pour conclure à l'incompatibilité ? Il est permis d'en douter dans la mesure où il s'arrête à la première opération juridique, l'apport en capital, nécessairement inexistante au plan fiscal entre membres du groupe, sans s'attacher à l'opération sous-jacente réalisée par la société membre du groupe bénéficiaire de l'apport et sans vérifier la déductibilité des intérêts dans le cas où, comme en l'espèce, celle-ci acquiert des titres d'une société liée non membre du groupe. Seule une telle vérification paraissait à même de caractériser l'existence ou non d'une différence de traitement et, à défaut d'avoir procédé à cette analyse par transparence de l'ensemble des opérations, requise par le concept de l'entité fiscale unique, les conclusions paraissent incomplètes.
Au final, quelle que soit la solution rendue par la CJUE dans cette affaire, une réflexion mériterait d'être engagée sur l'intégration fiscale française, sans attendre que de nouveaux contentieux imposent de nouveaux aménagements, pas nécessairement favorables aux entreprises.
A l'heure où tout le monde s'accorde sur la nécessité de faire évoluer le processus législatif en intégrant une phase de concertation préalable la plus large possible permettant d'assoir la validité constitutionnelle et européenne des projets de loi, un tel exercice pourrait utilement être mené sur le régime de groupe.
Le champ des possibles en la matière est large entre le simple ajustement du régime actuel destiné à assurer son euro-compatibilité et une consolidation intégrale, s'inspirant tant des concepts comptables que de ceux présidant à l'ACCIS.
* Cet article a été publié dans Option Finance n°1441, 11 décembre 2017
1 CJCE, 25 février 2010, C-337/08, X Holding