Articles & Actualités
Fiscalité des entreprises
Le refus illégal d'agrément peut entraîner la mise en cause de la responsabilité de l'État*
Charles Ménard, Morgan Vail, Vincent Pantaloni
Par deux arrêts en date du 18 mars 2021, rendus après cassation[1], la cour administrative d'appel de Paris[2] nous a plongés à nouveau, selon la formule de Mme Claire Legras, « au cœur du mystère fiscal ; mystère d'une administration et d'un juge qui sont travaillés par des aspirations contradictoires : protéger les moyens de financement des activités publiques… sans laisser l'assujetti trop démuni devant l'État ou lui inspirer trop de défiance à son égard »[3].
L'affaire soumise au juge administratif portait sur la mise en jeu de la responsabilité de l'État en raison d'une décision de refus d'agrément reconnue illégale.
En l'espèce, la société Sofaplast, entreprise exerçant une activité industrielle en Nouvelle-Calédonie, était confrontée à un besoin d'investissements pour moderniser son appareil de production. Elle a alors mandaté la société Alcyom, spécialisée en ingénierie financière, pour assurer le financement d'investissements productifs dans le cadre des dispositions de l'article 199 undecies B du CGI [4]. En vertu de ce mandat, la société Alcyom a été chargée de mettre en place l'ingénierie financière et juridique du programme consistant à rechercher les investisseurs intéressés par l'obtention de l'avantage fiscal, créer la société de portage destinée à regrouper ces investisseurs et solliciter l'agrément ministériel. Le mandat prévoyait par ailleurs qu'une troisième société, la société Phalsbourg Gestion, gérerait la société regroupant les investisseurs fiscaux pendant la durée de détention de 5 ans exigée par la loi.
Dans le cadre de ce programme d'investissements, le contrat de mandat prévoyait que la société Alcyom serait rémunérée et remboursée des frais d'ingénierie et de placement par les investisseurs bénéficiaires de la réduction d'impôt (soit directement, soit au travers de la société de portage), tandis que les frais de gestion courante de la société de portage engagés par la société Phalsbourg Gestion lui seraient versés par le truchement de la société Alcyom.
Après avoir créé la société de portage nécessaire au programme d'investissements et trouvé les investisseurs, la société Alcyom a déposé une demande d'agrément qui a fait l'objet d'une décision de refus de la part de l'administration fiscale le 29 janvier 2013. Cependant, cette décision de refus a été annulée par le tribunal administratif dans un jugement du 18 juin 2014 devenu définitif.
Par la suite, les sociétés Sofaplast, Alcyom et Phalsbourg Gestion ont demandé séparément la réparation du préjudice que chacune estimait avoir subi en raison du refus illégal d'agrément. Par une décision du 18 novembre 2019[5], le Conseil d'État a confirmé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris ayant fait droit à la demande d'indemnisation de la société Sofaplast en jugeant « qu'un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice subi par la société Sofaplast était établi dès lors que […] la société n'était pas tenue d'attendre le jugement du tribunal administratif de Paris relatif à la légalité du refus d'agrément préalable avant de réaliser l'investissement en cause, mais pouvait directement rechercher la responsabilité pour faute de l'administration à raison de la perte de l'avantage fiscal dont elle était en droit de bénéficier au titre de son investissement réalisé dès 2013 grâce à d'autres moyens de financement ».
Les sociétés Alcyom et Phalsbourg Gestion ont, quant à elles, eu plus de difficultés à engager la responsabilité de l'État. En effet, si depuis l'arrêt Krupa[6], une simple faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du contribuable ou de tout autre personne si elle leur a directement causé un préjudice, le droit à réparation impose d'être en mesure d'établir l'existence d'un préjudice causé par l'action fautive de l'administration, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, ainsi que l'existence d'un lien de causalité directe entre ce préjudice et cette faute.
Saisie de ces litiges, la cour administrative d'appel[7], confirmant les jugements rendus en première instance, a rejeté les demandes d'indemnisation formées par la société Alcyom, au titre de la perte de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir des investisseurs, et par la société Phaslbourg Gestion, au titre de la perte de la rémunération qui aurait dû lui être versée par la société Alcyom. Les juges du fond ont considéré en effet que les préjudices invoqués par les sociétés résultaient de leurs relations contractuelles avec la société Sofaplast de sorte qu'ils ne pouvaient être regardés comme résultant directement de la faute commise par les services fiscaux.
Toutefois, par une décision en date du 5 juin 2020, le Conseil d'État a annulé les arrêts rendus par les juridictions du fond en jugeant que les préjudices invoqués par les sociétés résultaient « directement du refus d'agrément qui privait de son intérêt fiscal l'opération proposée aux investisseurs ». Sur renvoi, la cour administrative d'appel de Paris confirme la possibilité pour des personnes morales, autres que le contribuable directement concerné, de rechercher la responsabilité de l'administration fiscale (1). Les juges reconnaissent par ailleurs le caractère direct du lien de causalité entre le refus illégal d'agrément et le préjudice subi par les sociétés de conseil et de gestion malgré l'existence d'un contrat de mandat intermédiaire (2).
1. Confirmation de la possibilité pour des tiers de rechercher la responsabilité de l'État
La particularité du contentieux en présence réside dans le fait que les contribuables sont « les grands absents » de ce contentieux indemnitaire comme le souligne Mme le rapporteur public Émilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions devant le Conseil d'État, en ce sens que les investisseurs personnes physiques n'ont pas bénéficié de l'avantage fiscal qu'ils escomptaient, faute pour la structuration juridique et financière d'avoir pu aboutir.
En revanche, l'exploitant auquel devait être rétrocédée une fraction de l'avantage fiscal, à savoir la société Sofaplast, a pu obtenir la réparation du préjudice que lui a causé le refus fautif de l'agrément, évalué au montant des charges liées au prêt qu'elle a dû contracter pour procéder au financement de la part de l'investissement qui aurait dû être couverte par l'aide fiscale à l'investissement outre-mer si l'agrément avait été accordé.
En revanche, pour obtenir réparation du préjudice subi par le refus fautif qui entraînait respectivement la perte de leur rémunération de prestations d'ingénierie financière et de placement, d'une part, et de gestion, d'autre part, les sociétés Alcyom et Phalsbourg Gestion devaient démontrer que celui-ci résultait directement de la faute commise par l'administration fiscale, au sens de la décision Krupa précitée.
La faculté pour un tiers d'obtenir réparation du préjudice subi de la part de l'État est appréciée strictement de la part des juridictions administratives. C'est ainsi que le Conseil d'État a pu considérer qu'un architecte contraint d'abandonner un projet en raison du refus illégal de l'administration de consentir un permis de construire au propriétaire, ne peut obtenir réparation du préjudice que lui cause l'abandon du projet car ce préjudice, qui résultait de l'avance des frais d'étude et d'aménagement dont il devait être remboursé par prélèvement sur le produit provenant de la vente des biens, résulte de la convention passée avec le pétitionnaire[8].
En matière fiscale, les juridictions administratives ont pendant longtemps refusé aux tiers toute indemnisation de leurs préjudices. Comme le souligne Mme Emmanuelle Mignon, « plus peut-être que dans d'autres branches du droit public, le droit fiscal est particulièrement soucieux de la distinction entre les personnalités juridiques » de sorte que les conséquences dommageables à l'égard des tiers ne peuvent résulter que des liens juridiques avec le contribuable et ne sauraient être regardées comme procédant directement du comportement de l'administration[9]. En d'autres termes, pour les tiers, la réparation du préjudice invoqué se confond avec celui de la société et passe ainsi par l'indemnisation de cette dernière.
C'est ainsi que le Conseil d'État a rejeté la demande d'indemnisation d'un contribuable du fait des agissements des services fiscaux à l'encontre de la société dont il était le dirigeant au motif que la perte de rémunérations et les troubles dans ses conditions d'existence invoqués ne pouvaient résulter que des liens juridiques qui les unissaient[10]. Suivant ce même raisonnement, la Haute Juridiction a jugé que les préjudices subis par le salarié d'une société ayant cessé son activité à la suite des agissements fautifs des services fiscaux n'étaient pas indemnisables[11]. Ce raisonnement a été étendu à l'associé d'une société à l'égard de laquelle les services fiscaux ont commis une faute ayant contribué à sa mise en liquidation[12] et plus largement aux créanciers[13].
Dès lors, les demandes d'indemnisation des dirigeants, salariés, associés ou créanciers - qu'elles concernent une perte de revenus, d'emploi ou d'un capital - ont été systématiquement rejetées par les juridictions administratives dans la mesure où la réparation de leurs préjudices n'était pas dissociable de celle allouée à la société. Autrement dit, afin d'éviter un risque de « double indemnisation », le dédommagement versé au contribuable était considéré comme emportant réparation du préjudice subi par le tiers. À l'inverse, en l'absence de personnalité juridique distincte, le Conseil d'État a admis l'indemnisation des conséquences de la liquidation des biens d'une entreprise individuelle sur la situation personnelle du contribuable[14].
C'était donc dans le prolongement de cette jurisprudence que la cour administrative d'appel de Paris avait initialement rejeté les demandes d'indemnisation des sociétés Alcyom et Phalsbourg Gestion en jugeant que leurs préjudices respectifs résultaient uniquement de leurs relations contractuelles de droit privé, et non directement des agissements fautifs des services fiscaux.
En jugeant ainsi, la cour administrative d'appel n'avait pas tenu compte d'un assouplissement de cette jurisprudence intervenue à compter de 1999 qui, pour reprendre les termes du commissaire du Gouvernement M. Jean Courtial, niait systématiquement la réalité des préjudices personnels et constituait ainsi « un vice majeur en matière de responsabilité »[15]. Le Conseil d'État, suivant les conclusions de son commissaire de Gouvernement, avait en effet rompu avec la jurisprudence antérieure qui conduisait « à instituer une forme d'irresponsabilité de l'administration à l'égard de certaines victimes » et admis, pour la première fois, la possibilité pour le dirigeant d'une société d'être indemnisé à raison de la perte des rémunérations qu'il aurait continué à percevoir si les agissements fautifs de l'administration fiscale n'avaient pas entraîné la mise en liquidation judiciaire de la société.
Cette solution a par la suite été confirmée[16] au profit du président du conseil d'administration d'une société dont la faute commise par les services fiscaux avait entraîné la mise en liquidation et qui a été indemnisé au titre du préjudice moral subi en raison de l'atteinte grave à sa réputation professionnelle. Dans cette même affaire, la juridiction administrative a également accordé au directeur général la réparation de la perte de ses revenus salariaux consécutive à la cessation de ses fonctions à hauteur de la part de responsabilité directement imputable à l'État[17].
D'un refus de principe de l'indemnisation du tiers, la jurisprudence a évolué vers une acception au cas par cas de celle-ci, sous condition de démonstration in concreto par le tiers de l'existence d'un préjudice distinct, non déjà couvert par l'indemnisation versée au contribuable.
Dans la lignée de ce courant jurisprudentiel, le Conseil d'État a annulé les arrêts rendus par la cour administrative d'appel de Paris et a jugé tout d'abord que les préjudices invoqués par les sociétés requérantes, distincts de celui subi par la société Sofaplast, résultaient directement du refus d'agrément « qui privait de son intérêt fiscal l'opération proposée aux investisseurs ».
La Haute Assemblée a ensuite relevé que « le défaut de remboursement des frais d'ingénierie et de placement engagés par la société Alcyom, […] n'a pas été indemnisé au titre du préjudice subi par la société Sofaplast […] » et que « la perte des honoraires subie par la société Phalsbourg Gestion en sa qualité de gérante de la société de portage, [n'avait pas été] invoquée par la société Alcyom dans le cadre du litige l'opposant à l'État pour la réparation de son propre préjudice ».
Les deux conditions pour que les sociétés Alcyom et Phalsbourg Gestion, tiers par rapport à la société Sofaplast, puissent rechercher la responsabilité de l'État étaient dès lors réunies au cas présent : un préjudice distinct de celui du contribuable et dont l'indemnisation n'était pas prise en compte dans la réparation octroyée à ce contribuable.
Pour autant, si les juridictions administratives ont assoupli les exigences pour qu'un tiers puisse obtenir réparation du préjudice subi du fait de l'action de l'État, cet assouplissement ne remet pas en cause la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie également l'existence du lien de causalité entre le préjudice invoqué et la faute des services fiscaux ; exigence qui conduit en pratique, comme l'indique Mme le rapporteur public Claire Legras, « à interrompre très en amont la prise en compte de la chaine des dommages provoqués »[18].
2. La reconnaissance du caractère direct du lien de causalité malgré l'interposition d'un fait juridique intermédiaire
La recherche de l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice conduit la jurisprudence à distinguer, d'une part, la question de l'existence d'un lien de cause à effet pour laquelle le juge de cassation exerce un contrôle limité à la dénaturation[19] et, d'autre part, le caractère direct de ce lien dont le contrôle par le Conseil d'État est étendu à la qualification juridique des faits[20].
L'existence d'un lien de cause à effet pose la question de savoir si le préjudice trouve son origine dans les agissements de l'administration. Autrement dit, il s'agit de savoir si le préjudice invoqué est imputable à la puissance publique ou si d'autres facteurs y ont contribué. Si cette règle s'énonce clairement, force est de constater que l'appréciation concrète du lien de causalité est, comme le souligne le commissaire du Gouvernement M. Jean Kahn, « la plus obscure qui soit et, en dépit de son apparente rigueur, il ne semble pas que les problèmes qu'elle pose soient susceptibles d'être résolus d'après une règle universelle »[21].
Pour autant, bien que les juridictions judiciaires puissent retenir la théorie de l'équivalence des conditions selon laquelle tout fait sans lequel le dommage ne se serait pas produit est la cause de ce dommage, les juridictions administratives font application de la théorie de la causalité adéquate selon laquelle seul un fait qui devait raisonnablement entraîner un dommage peut en être réputé la cause[22]. Il convient ainsi d'identifier l'événement qui portait objectivement en lui le préjudice, c'est-à-dire d'après les conclusions de M. Yves Galmot « l'événement qui, au moment où il s'est produit, portait normalement en lui ce dommage », nonobstant l'incidence de causes secondaires[23].
Cette exigence dans l'appréciation du lien de causalité s'illustre notamment dans une décision du 6 avril 2001 dans laquelle le Conseil d'État souligne qu'« en admettant même que l'acharnement administratif regrettable et inadéquat des services fiscaux ait été constitutif d'une faute lourde, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu de la structure financière vulnérable du groupe animé par le contribuable, que le comportement fautif de l'administration ait été la cause déterminante des difficultés de son groupe »[24]. De surcroît, même lorsque le lien de causalité est établi, les juridictions administratives procèdent à une pondération de ce lien en ne retenant que la part du préjudice imputable à l'administration[25]. À l'instar du juge judiciaire retenant comme cause d'exonération de la responsabilité civile la faute de la victime, le Conseil d'État juge également que « la mise en liquidation de l'entreprise individuelle du contribuable et les troubles dans ses conditions d'existence ne peuvent être regardés comme imputables au comportement fautif de l'administration fiscale qu'à concurrence de la moitié, compte tenu des difficultés rencontrées par l'entreprise avant la mise en recouvrement des impositions »[26].
En revanche, lorsqu'il est question, comme en l'espèce, de la création d'une société dont la durée de vie est d'emblée limitée à celle de la période légale de mise en location du bien financé, une pondération du lien de causalité à hauteur de la part du préjudice imputable à l'administration fiscale n'apparaît pas pertinente. En effet, l'absence de remboursement des frais engagés pour la création de la société de portage et la recherche des investisseurs trouve son origine directe et exclusive dans le refus fautif de l'octroi de l'agrément. Dès lors, comme le souligne la cour administrative d'appel de Paris saisie du renvoi, « compte tenu du refus d'agrément qui a mis un terme à l'opération de défiscalisation, alors au stade de la souscription des parts de la société de portage par les investisseurs », les frais engagés par la société Alcyom sont restés à sa charge et la société Phalsbourg Gestion a été privée des rémunérations qu'elle aurait dû percevoir, sans qu'aucun élément factuel ou juridique extérieur ne vienne atténuer ou diminuer le montant de leur préjudice financier.
Le second temps du raisonnement en matière de lien de causalité consiste à apprécier le caractère direct de ce lien, c'est-à-dire à rechercher si le fait dommageable imputable à la puissance publique a un lien suffisamment étroit avec le préjudice allégué. L'appréciation du caractère direct du lien peut être rendue plus délicate lorsque, comme l'indique Mme le rapporteur public Émilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions, « un fait juridique intermédiaire s'interpose entre la faute du service et le préjudice subi et s'oppose à la caractérisation d'un lien direct entre la première et le second ».
La jurisprudence trace une frontière assez élastique entre le caractère direct et indirect du lien de causalité et l'absence de cohérence rigoureuse des solutions tient « pour beaucoup, à la liberté que le juge de la réparation a voulu conserver pour régler en équité toutes les situations d'espèces »[27].
En réalité, comme l'explique M. François Séners dans le fascicule précité, l'élément juridique qui s'interpose entre la cause initiale et le préjudice ne rompt pas le caractère direct de ce dernier « s'il en constitue une conséquence mécanique ». C'est ainsi que Conseil d'État a jugé en matière d'urbanisme que le propriétaire d'un terrain a le droit d'être indemnisé lorsque le refus de l'acheteur est « la conséquence directe » de la décision illégale d'un maire de faire obstacle à un transfert de permis[28]. De la même manière, la Haute Juridiction a pu juger que le refus illégal de l'administration de revaloriser les lettres clefs déterminant la fixation par les cliniques privées des rémunérations de leurs praticiens avait causé un préjudice direct à ces derniers[29].
En matière fiscale, à l'inverse, le Conseil d'État a jugé que la diminution de la valeur du fonds de commerce d'un opérateur, la perte de chance de développer son activité de vente d'antennes en France et la baisse de son bénéfice sur ce marché ne sont pas les conséquences nécessaires de l'instauration d'une taxe jugée illégale dans la mesure où, selon Mme le rapporteur public Nathalie Escaut « on ne peut identifier une réaction en chaîne automatique qui permettrait de caractériser un lien de causalité direct nonobstant le fait juridique résultant du contrat » entre le fournisseur et son client[30].
Face à ces solutions fortement influencées par leur contexte propre, le Conseil d'État a reconnu au cas présent, malgré l'existence d'un contrat de mandat intermédiaire, le caractère direct du lien de causalité entre le refus illégal d'agrément et le préjudice subi par les sociétés requérantes. Écartant l'argument soulevé par le rapporteur public invitant à apprécier le fait juridique intermédiaire au regard de la manifestation de volonté du tiers et de son comportement délibéré ou non, la Haute Juridiction juge que le préjudice subi par la société Alcyom et la société Phalsbourg Gestion résultait « directement du refus d'agrément qui privait de son intérêt fiscal l'opération proposée aux investisseurs ».
Dès lors, l'existence d'un contrat de mandat intermédiaire entre la société Alcyom et la société Sofaplast n'a pas en l'occurrence rompu le caractère direct du lien de causalité dans la mesure où le préjudice de la société Alcyom et de la société Phalsbourg Gestion « est la conséquence directe du refus d'agrément » selon la cour administrative d'appel de Paris saisie du renvoi. Cette formulation, très proche de celle de « la conséquence mécanique » retenue par la doctrine, confirme que l'interposition d'un rapport juridique entre la faute et le préjudice n'est pas exclusive de la responsabilité de l'État dès lors qu'il est possible d'identifier une réaction en chaîne entre la faute de l'administration fiscale et le préjudice subi par des tiers. Tel est bien le cas pour les sociétés de conseil ou de gestion compte tenu du caractère certain et inéluctable du préjudice financier qui résulte pour elles du refus fautif d'agrément.
Il reste à espérer que ces décisions, qui témoignent des difficultés dans la recherche du lien de causalité, ne restent pas sans postérité et soient plutôt annonciatrices d'un courant plus pragmatique et équitable permettant une juste indemnisation des contribuables lésés par les agissements fautifs de la puissance publique.
* Cet article a été publié à la Revue de Droit Fiscal, n°19, 14 mai 2021
[1] CE, 9e et 10e ch., 5 juin. 2020, n° 424036, Sté Alcyom : Dr. fisc. 2020, n° 44, comm. 424, concl. É. Bokdam-Tognetti. - CE, 9e et 10e ch., 5 juin 2020, n° 424037, Sté Phalsbourg Gestion : Dr. fisc. 2020, n° 44, comm. 424, concl. É. Bokdam-Tognetti
[2] CAA Paris, 5e ch., 18 mars 2021, n° 20PA01488, Sté Alcyom. - CAA Paris, 5e ch., 18 mars 2021, n° 20PA01487, Sté Phalsbourg Gestion
[3] Concl. C. Legras ss CE, sect., 21 mars 2011, n° 306225, Krupa : BDCF 6/2011, n° 76
[4] « I. - Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent […] en Nouvelle-Calédonie […], dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34. […] La réduction d'impôt prévue au présent I s'applique, dans les conditions prévues au vingt-sixième alinéa, aux investissements réalisés, par une société soumise de plein droit à l'impôt sur les sociétés dont les actions sont détenues intégralement et directement par des contribuables, personnes physiques, domiciliés en France au sens de l'article 4 B. En ce cas, la réduction d'impôt est pratiquée par les associés dans une proportion correspondant à leurs droits dans la société. L'application de cette disposition est subordonnée au respect des conditions suivantes : 1° Les investissements ont reçu un agrément préalable du ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III de l'article 217 undecies ; 2° Les investissements sont mis à la disposition d'une entreprise dans le cadre d'un contrat de location respectant les conditions mentionnées aux quinzième à dix-huitième alinéas du I de l'article 217 undecies et 66 % de la réduction d'impôt sont rétrocédés à l'entreprise locataire sous forme de diminution du loyer et du prix de cession du bien à l'exploitant. Les dispositions du trente-troisième alinéa sont applicables ; 3° La société réalisant l'investissement a pour objet exclusif l'acquisition d'investissements productifs en vue de la location au profit d'une entreprise située dans les départements ou collectivités d'outre-mer. »
[5] CE, 9e ch., 18 nov. 2019, n° 423979, SAS Sofaplast
[6] CE, sect., 21 mars 2011, n° 306225, Krupa : JurisData n° 2011-004653 ; Lebon, p. 101 ; Dr. fisc. 2011, n° 13, act. 109; JCP A 2011, 2185, note L. Erstein; RJF 6/2011, n° 742, chron. C. Raquin, p. 597 ; AJDA 2011, p. 1278, note F. Barque ; BDCF 6/2011, n° 76, concl. C. Legras
[7] CAA Paris, 7e ch., 6 juill. 2018, n° 17PA03544, Sté Alcyom. - CAA Paris, 7e ch., 6 juill. 2018, n° 17PA03543, Sté Phalsbourg Gestion
[8] CE, 3e et 5e ss-sect., 18 juill. 1973, n° 88314, Leroy : Lebon, p. 532
[9] E. Mignon, Responsabilité des services fiscaux : Le dirigeant d'entreprise aussi doit être indemnisé : RJF 8-9/1999, n° 1049
[10] CE, 7e et 8e ss-sect., 11 juill. 1984, n° 45922 et n° 46284, Dumas et a. héritiers de Tible : RJF 10/1984, n° 1257. - CE, 9e et 8e ss-sect., 26 juill. 1991, n° 64389, SARL MASI et Liénhard : RJF 10/1991, n° 1293
[11] CE, 7e et 8e ss-sect., 11 juill. 1984, n° 45921, Jonon et 46283, min. c/ Jonon : Dr. fisc. 1984, n° 43, comm. 1868 ; RJF 10/1984, n° 1257
[12] CE, 8e et 3e ss-sect., 12 mars 2014, n° 359644 et 361974, min. c/ Favreau : RJF 6/2014, n° 610
[13] CE, 8e et 7e ss-sect., 8 août 1990, n° 54500, Sté Homecare France : Dr. fisc. 1990, n° 40, comm. 1780 ; RJF 10/1990, n° 1262
[14] CE, 7e et 8e ss-sect., 7 déc. 1987, n° 67150, Pantanella : JurisData n° 1987-049984 ; Dr. fisc. 1988, n° 31, comm. 1663, note G. Tixier et Th. Lamulle ; RJF 2/1988, n° 237
[15] CE, 9e et 8e ss-sect., 16 juin 1999, n° 177075, Tripot : JurisData n° 1999-051290 ; Lebon, p. 202 ; Dr. fisc. 1999, n° 46-47, comm. 855, concl. J. Courtial; RJF 8-9/1999, n° 1049, chron. E. Mignon, p. 602; BGFE 4/1999, p. 8., obs. H. de Feydeau
[16] CE, 8e et 3e ss-sect., 12 mars 2014, n° 359643, min. c/ Favreau, et 361975, Favreau : Dr. fisc. 2014, n° 22, comm. 361, concl. B. Bohnert, note P. Fumenier et C. Maignan ; RJF 6/2014, n° 608
[17] CE, 8e et 3e ss-sect., n° 359644 et 361974, min. c/ Favreau : RJF 6/2014, n° 610
[18] C. Legras, Faut-il abandonner le régime de la faute lourde pour apprécier la responsabilité des services fiscaux ? : BDCF 6/2011, n° 76
[19] CE, sect., 28 juill. 1993, n° 117449, Cts Dubouloz : JurisData n° 1993-045397 ; Lebon, p. 250
[20] CE, 3e et 5e ss-sect., 26 nov. 1993, n° 108851, SCI Les jardins de Bibemus : JurisData n° 1993-047217 ; Lebon, p. 327 ; JCP G 1994, IV, 24131, note M.-C. Rouault
[21] Concl. J. Khan ss CE, sect., 22 mars 1957, Jeannier : Lebon, p. 196
[22] R. Odent, Contentieux administratif, t. II, 2007, p. 161
[23] Concl. Y. Galmot ss CE, 14 oct. 1966, Marais : Lebon, p. 548 ; D. 1966, p. 636
[24] CE, 9e et 10e ss-sect., 6 avr. 2001, n° 194347, Levêque : Lebon T., p. 1185 ; RJF 6/2001, n° 847
[25] CE, 8e et 3e ss-sect., 12 mars 2014, n° 359645, min. c/ Sté MJA agissant en qualité de mandataire judiciaire de la Sté de gestion Laborde : Dr. fisc. 2014, n° 22, comm. 361, concl. B. Bohnert, note P. Fumenier et C. Maignan ; RJF 6/2014, n° 608)
[26] CE, 8e et 9e ss-sect., 13 oct. 1999, n° 181539, Queyroi : JurisData n° 1999-051562 ; Dr. fisc. 2000, n° 12, comm. 247 ; Procédures 2000, comm. 138, note J.-L. Pierre ; RJF 12/99, n° 1590 ; BDCF 12/99, n° 123, concl. J. Arrighi de Casanova
[27] F. Seners, Préjudice réparable : Rép. Dalloz sur la responsabilité de la puissance publique, juill. 2019
[28] CE, 2e et 6e ss-sect., 8 nov. 1989, n° 73407, Degouy : JurisData n° 1989-645182 ; Lebon, p. 228 ; LPA 31 oct. 1990, p. 12, obs. J.-B. Auby
[29] CE, sect., 16 mai 1980, n° 14799 et 14966, Fombeur : Lebon, p. 231
[30] CE, 8e et 3e ss-sect., 3 août 2011, n° 322041, min. c/ Sté Sirio Antenne SRL : Dr. fisc. 2012, n° 7-8, comm. 151, concl. N. Escaut, note B. Aubert et R. Torlet ; RJF 2011, n° 1216