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Fiscalité des entreprises

La sécurité juridique appliquée aux opérations de réorganisation : de l'agrément au rescrit ?

23/04/2018

Charles Ménard

L'article 23 de la 2e loi de finances rectificative pour 2017 a substantiellement modifié les modalités d'application du régime de neutralité fiscale aux opérations de fusion et assimilées à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) Euro Park Service #1.

1. Le détonateur

Pour mémoire, saisie par le Conseil d'Etat d'une question préjudicielle, la CJUE a dit pour droit que l'agrément du 2 de l'article 210 C du CGI, systématiquement requis en présence d'apports faits à des personnes morales étrangères, alors qu'il ne l'est pas lorsque les apports sont faits à des personnes morales françaises, crée une discrimination selon le lieu de résidence de la société bénéficiaire et instaure une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales portant une atteinte disproportionnée et injustifiée à la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). En outre, la CJUE a considéré également que l'agrément excédait le champ de la clause anti-abus prévue par l'article 11-1 a) de la directive 90/434/CEE devenu 15-1, a) de la directive 2009/133 du 19 octobre 2009 (la directive « fusions »). En effet, passant au tamis des critères définis dans son arrêt Pelati #2 les conditions édictées au 3 de l'article 210 B (auquel le 2 de l'article 210 C renvoie), la Cour a jugé qu'elles n'étaient pas suffisamment « précises, claires et prévisibles ».
En conséquence, le Conseil d'Etat en a inféré que la procédure d'agrément prévue au 2 de l'article 210 C et, par renvoi, celle prévue au 3 de l'article 210 B du CGI, était inapplicable aux opérations de fusion dans lesquelles étaient impliquées des sociétés résidentes de l'Union européenne #3 .

2. L'impact

Après une telle déflagration, le législateur ne pouvait laisser les modalités d'application du régime fiscal de faveur des fusions en l'état. Il a donc décidé qu'à compter du 1er janvier 2018, non seulement les fusions transfrontalières, seules visées par la jurisprudence de la CJUE et du Conseil d'Etat, mais aussi les scissions, les apports partiels d'actifs, les apports de titres et les apports-attribution dès lors qu'ils entrent dans le champ d'application rationae materiae de la directive fusions et quand bien même ils en excèdent le champ d'application rationae loci, bénéficient de plein droit, i.e. sans être soumis à un agrément préalable, du régime de neutralité fiscale prévu à l'article 210 A du CGI.
Jusqu'au 31 décembre 2017, le départ entre opérations éligibles au régime de faveur de plein droit et opérations éligibles à ce régime sous condition d'obtention d'un agrément préalable était schématiquement le suivant :

Application du régime de faveur sans agrément Application du régime de faveur après obtention obligatoire d'un agrément
Fusions et transmissions universelles de patrimoine entre sociétés françaises Toutes opérations impliquant une société non résidente
Apports partiels d'une branche complète d'activité et d'éléments assimilés entre sociétés françaises Apports partiels et scissions ne portant pas sur une branche complète d'activité ou des éléments assimilés
Scissions d'une société française exploitant au moins deux branches complètes d'activité Apports-attribution


L'impact de l'article 23 de la 2e loi de finances rectificative pour 2017 se mesure ainsi essentiellement dans les nouveaux périmètres respectifs des opérations pouvant bénéficier de plein droit du régime de faveur et des opérations qui demeurent soumises à un agrément préalable pour y accéder.

A. Opérations éligibles de plein droit au régime de faveur

Au sein de celles-ci, les modifications apportées par la 2ème loi de finances rectificative pour 2017 se déclinent à deux niveaux :
- les changements qui concernent à la fois les opérations domestiques et les opérations internationales (I) ;
- les développements propres aux opérations internationales (II).

I. Les modifications communes aux opérations internes et internationales

L'élément cardinal de la réforme est l'instauration d'un critère unique de détermination des opérations bénéficiant de plein droit du régime de faveur, quel que soit le lieu de résidence de la société bénéficiaire, à savoir l'existence d'une branche complète d'activité (a).

Le second changement d'ampleur a trait à la transposition de la clause anti-abus prévue à l'article 15, 1, a) de la directive fusions et à l'instauration d'une procédure de rescrit spécifique (b).

Les autres modifications visent à parfaire l'alignement du droit interne sur le droit européen (c).

a. Un critère unique de détermination des opérations bénéficiant de plein droit du régime de faveur

Le critère de la branche complète d'activité devient le dénominateur commun aux opérations d'apport partiel d'actif, de scission et d'apports-attribution.
Cette évolution permet non seulement d'appliquer les mêmes règles aux opérations internes et aux opérations internationales mais de libérer aussi de la contrainte de l'agrément les apports-attribution relatifs à des apports d'une ou plusieurs branches complètes d'activité réalisés à compter du 1er janvier 2018 alors qu'auparavant, ils ne pouvaient être placés sous le régime de faveur qu'après obtention de l'agrément de l'article 115, 2 du CGI.

L'article 210 B, 1 du CGI, dans sa rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2018, dispose ainsi que « l'article 210 A s'applique à l'apport partiel d'actif d'une ou plusieurs branches complètes d'activité ou d'éléments assimilés. »

L'article 2 j) de la directive fusions définit la branche d'activité (on remarquera que l'adjectif « complète » est ignoré par le droit européen) comme « l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome, c'est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens ».
Malgré l'importance accrue de cette notion dans les modalités de mise en œuvre du régime spécial des fusions, la 2e loi de finances rectificative pour 2017 n'a pas saisi l'occasion d'insérer cette définition à l'article 210-0 A ou, éventuellement, à l'article 210 B du CGI. C'est donc toujours et uniquement la doctrine administrative qui assure la « transposition » a minima de la définition européenne #4 en droit interne.

Le cadre « normatif » n'ayant pas été modifié, le caractère complet et autonome de la branche d'activité transférée devrait donc toujours être apprécié à l'aune des mêmes critères que précédemment et, en particulier, les mesures d'assouplissement prévues en cas d'apports partiels d'actif devraient toujours trouver à s'appliquer #5 .

De son côté, la jurisprudence considère que pour être qualifié de branche complète d'activité, l'apport doit satisfaire trois conditions cumulatives :
- concerner une branche d'activité susceptible de faire l'objet d'une exploitation autonome chez la société apporteuse comme chez la société bénéficiaire de l'apport ;
- opérer un transfert complet des éléments essentiels de l'activité tels qu'ils existaient dans le patrimoine de la société apporteuse ;
- opérer ce transfert dans des conditions permettant à la société bénéficiaire de l'apport de disposer durablement de tous ces éléments #6

A l'aide de cette définition, il a pu être conclu à l'existence d'une branche complète et autonome d'activité même en l'absence, par exemple, du transfert de certains salariés #7 ou des créances commerciales #8.
De même que pour la doctrine administrative, la jurisprudence rendue sous l'empire de l'article 210 B du CGI dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2017 devrait être transposable dans sa rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2018.

Malgré ces assouplissements ou précisions, la consistance de la branche complète d'activité peut susciter des interrogations. Elles pourront toujours faire l'objet d'une demande de rescrit sur le fondement de l'article L 80 B, 1° du LPF. Toutefois cette procédure présente un inconvénient majeur : si l'administration est tenue de répondre dans un délai de trois mois, l'absence de réponse à l'issue de ce délai n'entraîne aucune conséquence de droit et ne vaut pas, notamment, acceptation tacite du caractère complet de la branche d'activité.

En outre, malgré la volonté affichée de « coller » à la directive pour définir les opérations éligibles de plein droit au régime de neutralité fiscale par l'utilisation du critère de la branche complète d'activité, cette adéquation n'est pas parfaite et laisse subsister une différence de traitement à l'égard des scissions.
En effet, l'article 2 b) de la directive fusions définit la scission comme « l'opération par laquelle une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à deux ou plusieurs sociétés préexistantes ou nouvelles, moyennant l'attribution à ses associés, selon une règle proportionnelle, de titres représentatifs du capital social des sociétés bénéficiaires de l'apport et, éventuellement, d'une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres ».

Or, l'article 210 B du CGI dispose quant à lui que l'article 210 A s'applique à la scission de société comportant au moins deux branches complètes d'activité lorsque chacune des sociétés bénéficiaires reçoit une ou plusieurs de ces branches.

Le droit interne se montre donc plus strict que le droit européen dérivé en ce qu'il exclut du champ d'application du régime de faveur les scissions qui ne comportent pas au moins deux branches complètes d'activité alors même que cette exigence ne résulte pas de la directive fusions. Dès lors, le refus d'application du sursis d'imposition à la scission d'une société impliquant une ou plusieurs sociétés résidentes de l'Union européenne au motif que la société scindée ne comporte pas au moins deux branches complètes d'activité ne serait pas compatible avec la directive fusions.
En revanche, si la scission n'implique que des sociétés françaises, il a déjà été jugé que le traitement discriminatoire que subit la scission interne ne peut être sanctionné à la lumière de la directive #9.

En définitive, le changement majeur en matière de fusions et opérations assimilées est qu'il n'est plus établi de distinction selon le lieu de résidence de la société bénéficiaire si l'opération en cause concerne l'apport d'une branche complète d'activité. A cet égard, deux types d'opérations devraient s'en trouver facilitées :
- d'une part, l'apport de sa succursale française à une société française par une société étrangère ne sera plus soumis à l'obligation d'apport des titres de la société bénéficiaire à une société française interposée ;
- d'autre part, l'apport d'une ou plusieurs branches complètes d'activité à une société étrangère, suivi de l'attribution des titres remis en rémunération de l'apport aux associés de la société apporteuse en neutralité fiscale dans les conditions de l'article 115, 2 du CGI sera désormais possible alors qu'une telle opération était jusqu'à présent exclue du régime de faveur.

b. La transposition de la clause anti-abus et la création d'une procédure de rescrit spécifique

La clause anti-abus

L'article 210-0 A, III du CGI pose le principe que « ne peuvent pas bénéficier des dispositions prévues au 7 bis de l'article 38, aux I ter et V de l'article 93 quater, aux articles 112, 115, 120, 121, 151 octies, 151 octies A, 151 octies B, 151 nonies, 208 C, 208 C bis, 210 A à 210 C, 210 E, 210 F, aux deuxième et troisième alinéas du II de l'article 220 quinquies et aux articles 223 A à U, les opérations de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actif ayant comme objectif principal ou comme un de leurs objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales. »
La clause anti-abus vise ainsi les opérations couvertes par la directive fusions mais embrasse aussi, par ricochet, un grand nombre de dispositifs purement internes : certains apports de droits de propriété industrielle ; le remboursement des sommes incorporées au capital ou aux réserves ; les plus-values d'apport en société d'une entreprise individuelle ; la restructuration d'une SCP ; l'apport en société de droits sociaux ; le régime des sociétés d'investissements immobiliers cotés ; les plus-values afférentes aux locaux destinés à être transformés en locaux d'habitation ; le transfert de la créance née du report en arrière du déficit ; les opérations de restructuration effectuées au sein d'un groupe intégré.

La rédaction de la clause anti-abus ne rend donc pas aisée la compréhension de son champ d'application. En effet, l'énumération faite à l'article 210-0 A, III mêle des opérations qui entrent dans la définition des fusions, scissions et apports partiels d'actifs (par ex. les opérations affectant les sociétés d'investissements immobiliers cotées ou les opérations de restructuration au sein d'un groupe intégré) mais aussi des opérations qui y sont totalement étrangères (par ex. les apports de droits de propriété industrielle, les apports d'entreprise individuelle, la transformation en locaux d'habitation). Une lecture stricte de l'article 210-0 A, III pourrait donc conduire à considérer que ces dernières ne tombent pas, par elles-mêmes, sous le coup de la clause anti-abus mais que le régime favorable auquel elles ont ouvert droit pourra être remis en cause lorsque, postérieurement à leur réalisation, une opération de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actifs considérée comme « abusive » interviendra.

Enfin, dans la mesure où l'article 210-0 A, I-4° du CGI reprend la définition de l'apport d'actifs donnée à l'article 2 c) de la directive fusions, il paraît difficile de concevoir que l'apport partiel d'actifs mentionné au III doive faire l'objet d'une lecture autonome et puisse recouvrir d'autres opérations, tels que les apports de droits de la propriété industrielle ou d'une entreprise individuelle, que celles définies précédemment.

L'article 210-0 A, III du CGI introduit ensuite une présomption simple d'abus lorsque l'opération « n'est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l'opération. » Si l'administration estime disposer d'éléments en ce sens, elle devra les opposer au contribuable auquel il appartiendra d'apporter la preuve contraire dans le cadre d'une procédure de contrôle contradictoire en application de l'article L 10 du LPF.

L'administration ne pourra en effet s'abstenir de fournir un commencement de preuve de l'absence de motifs économiques valables ou d'indices de fraude ou d'évasion fiscales #10. La preuve contraire à la charge du contribuable consistera soit à justifier de l'objectif de restructuration ou de rationalisation des activités des sociétés participant à l'opération, soit de l'existence d'autres motifs valables qui pourront ne pas être qu'économiques, le cas échéant. En effet, lorsque l'opération entre dans le champ de la directive fusions, la jurisprudence de la Cour a déjà souligné que le régime fiscal commun institué par la directive s'applique indistinctement à toutes les opérations de fusion, de scission, d'apport d'actifs et d'échange d'actions, sans considération de leurs motifs qu'ils soient financiers, économiques ou purement fiscaux #11. Ces motifs ne sont pris en compte que dans un deuxième temps, « à titre exceptionnel et dans des cas particuliers #12 » lors de la mise en œuvre de la clause anti-abus. En tant que dispositif d'exception, celle-ci doit être interprétée strictement et il ne suffira donc pas aux services de contrôle de relever l'éventuelle motivation fiscale de l'opération pour remettre en cause le régime de faveur. Plus exactement, si un objectif fiscal ne peut être le seul motif d'une opération, l'existence d'un objectif fiscal n'est pas décisive à elle seule pour remettre en cause le régime fiscal de faveur.

A cet égard, la Cour a jugé qu'« est susceptible de constituer un motif économique valable une opération de fusion qui est fondée sur plusieurs objectifs, parmi lesquels peuvent également figurer des considérations de nature fiscale, à condition toutefois que ces dernières ne soient pas prépondérantes dans le cadre de l'opération envisagée #13 . »

Ainsi, l'administration devra procéder à un examen global de l'opération en cause afin d'évaluer le poids respectif des motifs fiscaux et non fiscaux de l'opération et ce n'est que dans le cas où les premiers seraient prépondérants qu'elle pourrait se prévaloir de la présomption posée au III de l'article 210-0 A du CGI, au moins pour les opérations qui relèvent du champ de la directive fusions.

Cette approche n'est pas inconnue du juge français qui, certes dans des affaires particulières mettant en jeu la procédure d'abus de droit, a déjà eu l'occasion de considérer que, pour apprécier le but exclusivement fiscal, il n'y a pas lieu de prendre en compte des conséquences non fiscales qui seraient négligeables ou minimes par rapport à l'avantage fiscal #14 .

La communauté de raisonnement dans le maniement de la clause anti-abus et de l'abus de droit amène nécessairement à s'interroger sur la manière dont ces deux dispositifs peuvent cohabiter. La question n'est pas nouvelle : dans le droit fil de la jurisprudence « Pharmacie des Challonges » #15, le recours à la procédure d'abus de droit devrait être exclu lorsque l'administration peut procéder à la rectification sur un fondement contenu dans le CGI et, en particulier, lorsque l'autre fondement dont dispose l'administration relève d'une règle spéciale anti-abus qui, en tant que mesure dérogatoire, doit faire l'objet d'une interprétation stricte. Pour autant, le Conseil constitutionnel a jugé, à propos de la transposition en droit interne de la clause anti-abus du régime mère-fille que les dispositions de l'article 145, k-6 et de l'article 119 ter, 3 du CGI « se bornent à prévoir une nouvelle condition à laquelle est subordonné le bénéfice du régime fiscal dérogatoire des sociétés mères ; que ces dispositions déterminent donc une règle d'assiette ; que le non-respect de cette condition n'emporte pas l'application des majorations [prévues] (…) en cas d'abus de droit au sens de l'article L 64 du LPF ; que [ces] dispositions ont un objet différent de celui des dispositions [régissant l'abus de droit]#16».
L'administration en a conclu dans ses commentaires que « La clause anti-abus est une règle d'assiette de l'impôt sur les sociétés, insérée en tant que telle à l'article 145 du CGI, qui fixe les conditions d'accès au régime des sociétés mères et filiales. Elle est distincte de la procédure de répression des abus de droit de l'article L 64 du LPF, qui prévoit les sanctions applicables en cas de montages abusifs #17 . »

Dans ce contexte, l'administration semble disposer du choix des armes et pouvoir procéder, en cours de procédure, à une substitution de base légale, à condition toutefois que cette substitution ne prive le contribuable d'aucune garantie qui aurait pu lui être offerte par l'application de la nouvelle base légale.

Conscient qu'avec la suppression de l'agrément, d'une part, et l'édiction d'une clause anti-abus, d'autre part, les fusions et opérations assimilées pouvaient être source d'insécurité juridique et, en particulier, des cibles des services de contrôle, le législateur a souhaité offrir aux contribuables la possibilité d'obtenir une garantie a priori que les opérations auxquelles ils participent n'entrent pas dans le champ de la clause anti-abus.

Le rescrit « motif principal autre que fiscal »

L'article 23 de la 2e loi de finances rectificative pour 2017 ajoute un 9° à l'article L 80 B du LPF aux termes duquel la garantie contre les changements de doctrine est applicable « lorsque l'administration n'a pas répondu dans un délai de six mois à un contribuable de bonne foi qui a demandé, préalablement à la réalisation d'une opération de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actif, à partir d'une présentation écrite, précise et complète de cette opération, la confirmation que le III de l'article 210-0 A du CGI ne lui était pas applicable. »

Le nouveau rescrit « clause anti-abus » revêt les mêmes caractéristiques que les rescrits existants : il repose sur une demande écrite, précise et complète de la part d'un contribuable de bonne foi, préalable à l'opération objet de la demande. A l'instar des rescrits abus de droit, valeur et organismes sans but lucratif, le délai à l'expiration duquel le silence gardé par l'administration vaut accord tacite a été fixé à six mois.

Il est prévu qu'un décret précise les modalités d'application de la demande mais il est d'ores et déjà possible de considérer que le délai de six mois pourra être interrompu par une demande de compléments d'informations de la part de l'administration fiscale et qu'il ne recommencera à courir que lorsqu'elle considérera que la demande est complète.

En cas de décision défavorable, le contribuable ne peut pas, en l'état des textes, saisir le collège du second examen, faute pour le législateur d'avoir ajouté le 9° de l'article L 80 B à l'article L 80 CB du LPF. Toutefois, cette omission devrait être réparée rapidement à l'occasion d'un prochain vecteur législatif.

En tout état de cause, sur le fondement de la jurisprudence « Export Press »#18 , eu égard aux enjeux économiques qui motivent les demandes de rescrits spécifiques, le rejet explicite d'une demande formulée en vertu de l'article L 80 B, 9° sera réputé remplir les conditions lui permettant d'être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir.

Outre ces évolutions majeures, la 2e loi de finances rectificative pour 2017 a également toiletté le droit interne pour assurer une transposition plus complète, mais pas encore totale, de la directive fusions.

c. Les autres modifications

Quatre changements notables méritent d'être soulignés : la fin de l'engagement de conservation des titres ; la transformation de l'engagement de calcul des plus-values relatives aux titres reçus en règle d'assiette ; la transposition de la définition européenne de l'apport d'actif et l'extension du champ d'application des apports de participation assimilés à des branches complètes d'activité.

La fin de l'engagement de conservation des titres

Pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2018 qui concernent une ou plusieurs branches complètes d'activité, les titres émis par la société bénéficiaire ne sont plus grevés d'un engagement de conservation de trois ans entre les mains de la société apporteuse ou scindée ou de leurs associés.
Présenté comme inutile du fait de l'instauration de la clause anti-abus, le maintien de l'engagement de conservation aurait aussi soulevé la question de sa compatibilité avec la directive fusions et il est permis de penser que cette préoccupation n'a pas été étrangère à la décision du législateur, a fortiori dans le contexte créé par le jugement du tribunal administratif de Montreuil #19 concluant qu'une décision de refus d'agrément ne peut être fondée sur l'absence d'engagement de conservation des titres pendant trois ans, un tel engagement devant être assimilé, à l'aune de la directive, comme instaurant une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales prohibée.

Doit-on en conclure que les titres reçus ou attribués à l'occasion d'une opération d'apport pourront être cédés immédiatement, notamment lorsque le cédant est non-résident, sans entraîner une remise en cause du sursis d'imposition appliqué à l'opération ? Il s'agira sans doute d'un point de contrôle systématique dès lors que l'administration a déjà fait savoir qu'une telle cession pourrait présenter selon elle un aspect « patrimonial », étranger à l'objectif de restructuration ou de rationalisation des activités, au sens de l'article 210-0 A, III du CGI.
La suppression de l'engagement de conservation des titres a entraîné corrélativement l'abrogation de l'article 210 B bis qui prévoyait la possibilité d'apporter, sans remise en cause du sursis d'imposition, des titres grevés d'un engagement de conservation, sous réserve de la mise en place d'une chaîne d'engagements successifs.
Afin de supprimer un autre élément critiquable du droit interne, la formulation des règles de calcul des plus-values de cession ultérieures des titres de la société bénéficiaire a été revue.

Les modalités de calcul des plus-values de cession des titres de la société bénéficiaire : la transformation d'une condition d'application en règle d'assiette

Dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2017, l'article 210 B, 1 du CGI subordonnait l'application du régime de faveur à l'engagement de la société apporteuse de calculer ultérieurement les plus-values de cession afférentes aux titres de la société bénéficiaire remis en contrepartie de l'apport par référence à la valeur que les biens apportés avaient, du point de vue fiscal, dans ses propres écritures.
En tant qu'il constituait une condition d'application de la neutralité fiscale, cet engagement, non prévu par la directive fusions et allant manifestement au-delà de la préservation du pouvoir d'imposition de la France (puisque dans le cas d'un apport partiel d'actifs, ce pouvoir est préservé par le rattachement des actifs à un établissement stable français de la société apporteuse), encourait un fort risque d'incompatibilité.

Désormais,
l'article 210 B, 2 du CGI dispose que « les plus-values de cession afférentes aux titres remis en contrepartie de l'apport sont calculées par référence à la valeur que les biens apportés avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures de la société apporteuse. »

La condition d'application du régime de faveur a ainsi été transformée en règle d'assiette et ne devrait pas pouvoir être contestée, au regard de la directive fusions, à la lumière de la jurisprudence de la CJUE. Cette Cour a en effet déjà jugé que la « directive laisse (…) [aux Etats membres] une marge de manœuvre leur permettant de subordonner ou non la neutralité fiscale dont bénéficie la société apporteuse à des conditions d'évaluation des titres reçus en échange, telles que la continuité des valeurs fiscales, pour autant que ces conditions n'ont pas pour conséquence que la remise de ces titres à l'occasion de l'apport d'actifs génère par elle-même une imposition des plus-values afférentes à ceux-ci. #20 »

La volonté de transposer plus complètement la directive fusions en droit interne se traduit également par l'adoption de la définition européenne de l'apport d'actifs.

La transposition de la définition de l'apport d'actifs

L'article 210-0 A, I-4° du CGI reprend la définition donnée à l'article 2 c) de la directive fusions et énonce que le régime de faveur s'applique, « s'agissant des apports partiels d'actifs, aux opérations par lesquelles une société apporte, sans être dissoute, l'ensemble ou une ou plusieurs branches complètes de son activité à une autre société, moyennant la remise de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l'apport. »

Le seul élément à relever étant l'ajout de l'adjectif « complètes » par rapport à la version européenne, la transposition de cette définition n'appelle aucun commentaire particulier. Il est toutefois possible de rappeler que lorsqu'une société apporte l'ensemble de son activité à une autre société, il est présumé que cette activité forme une branche complète et autonome.

Plus importante est l'extension des apports de participation assimilés à des branches complètes d'activité.

L'élargissement des apports de participation éligibles de plein droit au régime de faveur

Jusqu'au 31 décembre 2017, étaient assimilés à des branches complètes d'activité et entraient de ce fait dans le champ d'application du régime de faveur de plein droit les apports de participations suivants :
- ceux qui portaient sur plus de 50 % du capital ;
- ceux qui conféraient à la société bénéficiaire plus de 30 % des droits de vote lorsqu'aucun autre associé ne détenait une fraction supérieure ;
- ceux qui conféraient à la société bénéficiaire la fraction la plus élevée lorsqu'elle détenait déjà plus de 30 %.

A compter du 1er janvier 2018, par alignement sur la directive fusions, les apports qui renforcent une participation supérieure à 50 % sont eux aussi éligibles de plein droit au régime de faveur. Cette addition sans soustraction a pour effet de confirmer qu'en matière d'apports de participation, le régime français est plus vaste, et donc plus favorable, que celui issu de la directive.

En revanche, à l'égard des opérations internationales, le régime français peut encore susciter quelques interrogations, malgré les avancées introduites par la 2e loi de finances rectificative pour 2017.

II. Les développements propres aux opérations internationales

a. L'obligation de souscrire une déclaration spécifique

Parallèlement à la suppression de l'agrément pour les opérations portant sur une ou plusieurs branches complètes d'activité réalisées avec des sociétés non résidentes, non seulement d'un Etat membre de l'Union européenne mais aussi de tout Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, le législateur a institué une déclaration spécifique à la charge de la société apporteuse.

L'article 210-0 A, IV du CGI dispose ainsi que « lorsque les opérations de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actif, placées sous le régime de l'article 210 A, sont réalisées au profit d'une personne morale étrangère, la société apporteuse est tenue de souscrire, par voie électronique, dans le même délai que sa déclaration de résultat de l'exercice au cours duquel l'opération a été réalisée, une déclaration spéciale, conforme à un modèle établi par l'administration, permettant d'apprécier les motifs et conséquences de cette opération. »

Même si le décret qui doit fixer son contenu n'a pas encore été publié, le rapport de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale (p. 334) indique que la déclaration devrait préciser les motivations et objectifs de l'opération ainsi que ses principales modalités ; les opérations préalables liées à cette opération et, le cas échéant, les opérations qui devront ultérieurement être faites ; l'impact sur l'activité et l'emploi en France.

Le défaut de souscription de cette déclaration donnera lieu à l'application d'une amende forfaitaire de 10 000 euros conformément à l'article 1760 bis nouveau du CGI.

Dans la mesure où l'obligation déclarative n'incombe qu'à la société apporteuse française #21 qui réalise une opération au profit d'une société non résidente, notamment résidente d'un Etat membre de l'Union européenne, la question se pose de savoir si cette modalité procédurale n'induit pas un traitement moins favorable de ces opérations par rapport à celui applicable aux opérations internes.

Au niveau européen, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union relèvent de l'ordre juridique de chaque Etat membre en vertu du principe de l'autonomie procédurale des Etats membres, à condition toutefois qu'elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) et qu'elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

En l'espèce, l'obligation de déclaration spéciale pourrait être questionnée au regard du principe d'équivalence dans la mesure où elle soumet les opérations réalisées avec des sociétés résidentes de l'Union européenne à une procédure moins favorable, entendu au sens de « plus contraignante », que les opérations internes. Toutefois, sous réserve que le contenu de la déclaration spéciale n'excède pas ce qui est nécessaire pour appréhender l'opération dans son ensemble, i.e. permet à l'administration d'avoir accès aux mêmes informations que celles dont elle dispose à l'égard des opérations internes, il pourrait être considéré que la déclaration spéciale n'enfreint pas le principe d'équivalence. Par ailleurs, dès lors que le défaut de souscription de la déclaration spéciale n'est pas sanctionné par la remise en cause du régime de faveur mais uniquement par l'application d'une amende d'un montant modeste, il semble difficile de soutenir que l'obligation déclarative contreviendrait au principe d'effectivité.

b. Le rattachement des actifs apportés à un établissement stable

L'article 210 C, 2 du CGI dispose que le régime de faveur n'est applicable « aux opérations de fusion, de scission et d'apport partiel d'une branche complète d'activité réalisées au profit de personnes morales étrangères par des personnes morales françaises que si les éléments apportés sont effectivement rattachés à un établissement stable de la personne morale étrangère situé en France. »

Il s'agit là de la reprise de l'article 4, 2, b) de la directive fusions qui définit les éléments d'actif et de passif transférés auxquels le régime de neutralité fiscale s'applique comme « les éléments d'actif et de passif de la société apporteuse qui, par suite de la fusion, de la scission ou de la scission partielle, sont effectivement rattachés à un établissement stable de la société bénéficiaire situé dans l'Etat membre de la société apporteuse et qui concourent à la formation des profits ou des pertes pris en compte pour l'assiette des impôts. »

Cette obligation de rattachement à un établissement situé en France vaut pour toutes les opérations, sauf pour les apports de participation. Le rapport de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale (p. 333) a relevé en effet que « les apports de participation assimilés à une branche complète d'activité ne sont pas visés dans cette nouvelle rédaction de l'article 210 C, 2 dans la mesure où ils n'emportent pas systématiquement rattachement à un établissement stable. Cette absence de mention, en revanche, ne fera pas obstacle à ce que de tels apports à une personne morale étrangère puissent bénéficier du régime de faveur, ainsi que l'administration l'a confirmé, en application de l'article 210 B. »

Il ne pouvait en aller autrement sans soumettre les apports réalisés au profit d'une personne morale étrangère, y compris résidente d'un Etat membre de l'Union européenne, à un traitement fiscal moins favorable que celui applicable aux apports de participation réalisés au profit d'une société française.Cependant, force est de constater que l'apport de participations à une société non résidente sera traité plus favorablement que l'absorption d'une société holding pure résidente par une société étrangère puisque, dans ce cas, aucun établissement stable de la société absorbante ne devrait pouvoir être reconnu en France.

Or, compte tenu de la rédaction de l'article 210 C, 2, le régime de sursis d'imposition n'est applicable qu'aux éléments transférés qui sont rattachés à l'établissement stable. Les plus-values afférentes aux éléments qui n'y seraient pas rattachés devraient donc en principe être imposées.


Outre le cas de l'absorption d'une société française dont les actifs et passifs ne caractérisent pas un établissement stable, deux situations semblent devoir être distinguées :
- soit les éléments non repris sont indispensables ou essentiels au caractère complet et autonome de la branche d'activité ; en leur absence, les éléments transférés ne sont plus suffisants pour caractériser l'apport d'une branche complète et autonome d'activité et l'administration semble être en droit d'imposer l'ensemble des plus-values latentes, y compris celles relatives aux éléments qui demeurent sous souveraineté fiscale française ;
- soit les éléments non repris n'emportent aucune conséquence sur la qualification de branche complète et autonome d'activité et les seules plus-values imposables seraient celles afférentes aux éléments non rattachés à l'établissement stable.

Dans l'ensemble de ces situations, la société apporteuse devrait se voir proposer un choix entre le paiement immédiat de l'impôt exigible et un paiement différé ou échelonné, par analogie avec la jurisprudence rendue en matière d'exit tax #22 .

B. Les opérations éligibles au régime de faveur sur agrément

Malgré l'extension du périmètre des opérations désormais éligibles de plein droit au régime fiscal de faveur, le champ des opérations qui ne peuvent en bénéficier qu'après obtention d'un agrément reste conséquent.
Les modifications apportées dans ce domaine peuvent apparaître modestes en ce que, pour l'essentiel, elles reprennent de précédentes dispositions applicables aux opérations éligibles de plein droit au régime de faveur.
En outre, dès lors que les opérations soumises à agrément sont situées par principe en dehors du champ d'application de la directive fusions, une éventuelle décision de refus ne pourra être contestée sur la base d'arguments tirés du droit européen dérivé. Elles touchent d'une part aux conditions que les opérations doivent remplir pour obtenir l'agrément (I) et d'autre part aux engagements de conservation (II).

I. Les conditions de délivrance de l'agrément

a. En matière d'apports et de scission

Le texte de l'article 210 B, 3 du CGI n'est pas profondément remanié et est désormais rédigé comme suit :
« En l'absence d'apport d'une ou plusieurs branches complètes d'activité ou d'éléments assimilés, les dispositions de l'article 210 A s'appliquent aux apports partiels d'actif et aux scissions sur agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies. L'agrément est délivré lorsque, compte tenu des éléments faisant l'objet de l'apport :

a. L'opération est justifiée par un motif économique, se traduisant notamment par l'exercice par la société bénéficiaire de l'apport d'une activité autonome et l'amélioration des structures, ainsi que par une association entre les parties formalisée par un engagement de conservation pendant trois ans des titres remis en contrepartie de l'apport ;
b. L'article 210-0 A est respecté ;
c. Les modalités de l'opération permettent d'assurer l'imposition future des plus-values mises en sursis d'imposition. »

Avant d'en venir aux trois modifications apportées par la 2e loi de finances rectificative pour 2017 à l'article 210 B, 3 du CGI, il n'est pas inutile de rappeler que cet agrément, depuis sa refonte par la loi de finances pour 2000, est et demeure un agrément de droit. Or, selon les réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel : « le législateur a suffisamment encadré les pouvoirs de l'autorité administrative en disposant que l'agrément (…) est subordonné aux conditions que l'opération soit motivée par un motif économique, dont le ministre n'appréciera que la réalité et non l'opportunité, (…) et que ses modalités permettent d'assurer l'imposition future des plus-values, condition qui ne peut donner lieu qu'à des vérifications de nature technique #23 . »
Ces réserves d'interprétation restent pertinentes à l'égard des opérations agréées sous l'empire du texte modifié.

La condition posée au a. subit deux évolutions :
- la première, qui a consisté à transformer la condition alternative que l'opération se traduise par l'exercice par la société bénéficiaire de l'apport d'une activité autonome ou l'amélioration des structures en une condition cumulative en substituant la conjonction « et » à la conjonction « ou », vise très clairement à remettre en cause la jurisprudence de la cour administrative de Lyon ayant censuré une décision de refus d'agrément qui, justement, était fondée sur une approche cumulative #24. Cette modification a donc pour objet de donner un fondement législatif à l'approche doctrinale, qui devrait en conséquence rester identique ;
- la seconde constitue la conséquence de la suppression de l'engagement de conservation de trois ans pour les opérations placées de plein droit sous le régime de faveur et a pour but de faire de cet engagement la formalisation de l'obligation d'association entre les parties. La condition posée au b. est réécrite pour tenir compte de l'insertion de la clause anti-abus.

Mais alors que le législateur aurait pu se contenter de viser le III de l'article 210-0 A, il est fait référence à l'article 210-0 A dans son ensemble. Ce choix est assez troublant dans la mesure où le non-respect des I, II et IV de l'article 210-0 A n'apparaît pas de nature à justifier un refus d'agrément. Ainsi, il est plus que probable que c'est à défaut de répondre à la définition de l'apport partiel d'actifs ou de la scission donnée au I que l'une de ces opérations fera l'objet d'une demande d'agrément. De même, le fait que l'une des sociétés parties à l'opération soit résidente d'un Etat ou territoire n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales exclut par principe l'opération du champ de l'agrément.

Enfin, le IV qui prévoit l'obligation de souscription d'une déclaration spécifique ne concerne que les opérations placées de plein droit sous le régime de faveur.

Et, in fine, même la référence au III de l'article 210-0 A interpelle en ce qu'elle semble miroiter avec l'exigence d'une motivation économique, déjà édictée à l'article 210 B, 3-a.

b. En matière d'apports-attribution

Alors que ces opérations étaient auparavant obligatoirement soumises à agrément, seuls deux types d'apports-attribution sont à présent concernés par cette procédure, régie par l'article 115, 2 bis :
- lorsque l'apport partiel d'actif n'est pas représentatif d'une branche complète d'activité ou
- lorsque la société apporteuse ne conserve pas au moins une branche complète d'activité. Le caractère alternatif de cette rédaction laisse présumer que dans la situation où la société apporteuse n'apporte pas une branche complète d'activité et ne conserve pas au moins une branche complète d'activité, l'agrément ne pourra être délivré.

En outre, en visant l'apport d'une branche complète d'activité, sans ajouter « ou d'éléments assimilés », l'article 115, 2 bis fait entrer dans son champ d'application tous les apports de participations pour lesquels une attribution des titres de la société bénéficiaire est envisagée. Cette analyse est conforme à la définition de la scission partielle donnée à l'article 2 c) de la directive fusions, qui ne mentionne que la branche d'activité, et à celle de l'article 8 sur l'échange d'actions qui ne traite pas de la possibilité d'attribuer les titres reçus à l'échange.

Le a) de l'article 115, 2 bis renvoie aux conditions énoncées aux a, b et c de l'article 210 B, 3 du CGI pour les apports partiels d'actif et les scissions et le b) contient la même exigence cumulative d'activité autonome et d'amélioration des structures que celle prévue au a de l'article 210 B, 3 ce qui lui confère un caractère redondant sur ce point. Cela étant, le b) de l'article 115, 2 bis procède aussi à la légalisation de l'engagement de conservation des titres de la société apporteuse par ses associés pendant trois ans qui, jusqu'à présent, était de source purement doctrinale.

II. Les engagements de conservation en matière de scission et d'apports-attribution

a. Le périmètre des associés tenus à l'engagement

En matière d'engagement de conservation, le législateur a choisi d'homogénéiser le périmètre des associés tenus à cet engagement : que l'opération soit une scission ou un apport-attribution, les associés tenus de conserver les titres des sociétés bénéficiaires (scission) ou de la société apporteuse et de la société bénéficiaire (apport-attribution) sont ceux qui détiennent dans la société scindée ou apporteuse, à la date d'approbation de l'opération, 5 % au moins des droits de vote ou qui y exercent ou y ont exercé dans les six mois précédant cette date, directement ou par l'intermédiaire de leurs mandataires sociaux ou préposés, des fonctions de direction, d'administration ou de surveillance et détiennent au moins 0,1 % des droits de vote dans la société. Il n'est plus requis que l'ensemble des associés tenus à l'engagement de conservation représentent 20 % au moins du capital de la société scindée.

b. La sanction du non-respect de l'engagement

Jusqu'au 31 décembre 2017, l'article 1768 du CGI sanctionnait d'une amende l'associé qui ne respectait pas l'engagement de conservation et permettait ainsi la poursuite du sursis d'imposition appliqué à l'opération de scission.

L'abrogation de l'article 1768 a pour conséquence d'entraîner la remise en cause du régime de neutralité fiscale en cas de non-respect, total ou seulement partiel, de l'engagement de conservation. En effet, « l'inexécution des engagements souscrits en vue d'obtenir un agrément administratif ou le non-respect des conditions auxquelles l'octroi de ce dernier a été subordonné entraîne le retrait de l'agrément (…) » (art. 1649 nonies A, 1, 1er alinéa du CGI). Toutefois, le 2e alinéa dispose que « par dérogation (…), le ministre chargé de l'économie et des finances est autorisé à limiter les effets de la déchéance à une fraction des avantages obtenus du fait de l'agrément. »

Il peut donc être envisagé qu'en cas de rupture individuelle d'un engagement de conservation, les conséquences fiscales du retrait d'agrément puissent être limitées par une décision du ministre ou de son délégataire.

En conclusion, en miroir du tableau synthétique précédent, le tableau ci-dessous dresse la répartition simplifiée des opérations relevant du régime de faveur de plein droit ou après obtention d'un agrément à compter du 1er janvier 2018 :

Application du régime de faveur sans agrément Application du régime de faveur après obtention obligatoire d'un agrément
Fusions et transmissions universelles de patrimoine Apports partiels et scissions ne portant pas sur une branche complète d'activité ou des éléments assimilés
Toutes opérations portant sur une ou plusieurs branches complètes d'activité Apports-attribution lorsque l'apport concerne des éléments assimilés à une branche complète d'activité
Apports d'éléments assimilés à une branche complète d'activité


3. Les répliques collatérales

Les modifications apportées par la 2e loi de finances rectificative pour 2017 suscitent au moins trois interrogations : le sort des engagements de conservation en cours de validité (a) ; les conséquences pour les associés français concernés par des opérations étrangères (b) et le décompte du délai de détention des titres reçus en rémunération de l'apport (c).

a. Le sort des engagements de conservation en cours de validité

L'engagement légal prévu au 3 de l'article 210 B

Ainsi que l'article 23 de la 2e loi de finances rectificative en dispose, la suppression de l'engagement de conservation de trois ans ne s'applique qu'aux opérations portant sur une ou plusieurs branches complètes d'activité réalisées depuis le 1er janvier 2018. A la différence de la réduction du délai de conservation de 5 ans à 3 ans, instituée par la loi de finances pour 2000, aucune disposition ne prévoit l'application de la loi nouvelle aux engagements en cours.
Or, si la fin de l'engagement de conservation est présentée comme une conséquence de l'adoption de la clause anti-abus, ce qui présuppose que cet engagement serait toujours justifié pour les opérations réalisées avant l'entrée en vigueur de la clause, l'explication peine à convaincre, en particulier pour les opérations qui relèvent du champ d'application de la directive.

En effet, si l'on considère avec le tribunal administratif de Montreuil #25 que l'engagement de conservation de trois ans équivaut à une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales, une rupture anticipée de cet engagement, incompatible avec le droit européen dérivé, ne devrait pas pouvoir être sanctionnée dans le cadre d'opérations entrant dans le champ d'application de la directive fusions, intéressant des sociétés résidentes de l'Union européenne mais aussi des sociétés françaises, comme dans l'espèce jugée par le tribunal administratif de Montreuil, dès lors que le législateur français a entendu transposer la directive fusions et l'étendre à des situations internes non directement régies par le droit de l'Union.

En revanche, la mobilisation du droit dérivé serait dépourvue de portée dans le cas d'opérations réalisées avec des sociétés résidentes d'Etats tiers ou lorsque les opérations sont pas couvertes par la directive. Comme l'administration l'a indiqué, il peut être envisagé dans ces situations de saisir le bureau des agréments et rescrits afin d'exposer les motifs économiques qui conduisent à procéder à la nouvelle réorganisation et obtenir d'être libéré, le cas échéant, de l'engagement de conservation. En cas de refus, une éventuelle action contentieuse pourrait être menée mais sur d'autres fondements que ceux issus du droit dérivé.

A côté de l'engagement légal, des engagements d'origine doctrinale étaient aussi exigés.

Les engagements de conservation doctrinaux

Outre l'engagement requis des associés de la société apporteuse en cas d'attribution des titres de la société bénéficiaire, légalisé pour les opérations d'apport-attribution ne bénéficiant pas de plein droit du régime de faveur, des engagements dits « subordonnés » étaient aussi requis en cas de filialisation d'établissement stable (la société étrangère devait conserver les titres de la société française interposée tant que celle-ci détenait les titres de la filiale française ayant reçu les actifs et passifs de l'établissement stable) ou d'apports de participation à une société étrangère (celle-ci devait détenir les titres qui lui avaient été apportés aussi longtemps que ses propres titres étaient détenus par la société apporteuse). Ces engagements se doublaient d'autres engagements portant sur la non-distribution de la prime d'apport (le cas échéant) et de non-remboursement total ou partiel de l'apport.
A notre connaissance, il n'existe pas de contentieux pendant visant à faire reconnaître l'illégalité au sens large de ces engagements mais il ne fait pas de doute que lorsqu'ils ont été pris à l'occasion d'opérations réalisées au profit de sociétés résidentes d'un Etat membre de l'Union européenne, leur non-respect ne pourra être sanctionné.
En tout état de cause, les engagements doctrinaux cessent d'être exigés pour les opérations réalisées de plein droit sous le régime de faveur depuis le 1er janvier 2018 mais le point de savoir s'ils restent en vigueur pour les opérations agréées à compter de cette date reste ouvert et sera peut-être tranché dans le cadre des commentaires administratifs à venir.

b. La situation des associés français concernés par des opérations étrangères

La situation des associés français d'une société étrangère absorbée ou scindée n'est pas modifiée : ils entrent dans le champ d'application de l'article 38, 7 bis du CGI, avant comme après le 1er janvier 2018.

En revanche, la situation des associés français d'une société étrangère qui réalise une scission partielle a évolué. En effet, la doctrine administrative relative à l'agrément délivré pour l'attribution en franchise d'impôt aux associés de la société apporteuse des titres émis en rémunération des apports prévoit, dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2017, que « l'agrément est délivré lorsque l'apport est placé sous le régime de faveur de l'article 210 A du CGI. Sont en conséquence éligibles les attributions de titres consécutives à des apports partiels d'actifs placés sous le régime de l'article 210 A du CGI mais aussi celles réalisées au profit des associés français de sociétés étrangères ayant réalisé des apports partiels d'actifs qui sont placés sous un régime fiscal comparable à cet article 210 A du CGI. Il appartiendra à la société apporteuse étrangère ou à son représentant en France de justifier que l'opération d'apport est placée sous un régime fiscal produisant des effets équivalents à celui de l'article 210 A du CGI et qu'elle constitue une véritable restructuration du point de vue économique #26 . » Elle précise ensuite que « lorsque la société qui réalise l'apport est étrangère, une seule demande [d'agrément] sollicitant l'application des dispositions de l'article 115, 2 du CGI au profit des associés français sera déposée #27 . » Elle poursuit « lorsque la société distributrice est étrangère et qu'elle souhaite attribuer ses titres à ses associés français, elle peut désigner un représentant fiscal en France chargé de déposer une demande d'agrément commune à tous les associés résidents, qu'il s'agisse d'entreprises ou de personnes physiques #28 . »

L'ensemble de ces commentaires devrait être rapporté lorsque la scission partielle réalisée à l'étranger concerne le transfert d'une ou plusieurs branches complètes d'activité et pourrait donc, si elle était réalisée en France sous forme d'un apport-attribution, bénéficier de plein droit du régime de faveur. Les associés français qui recevront des titres dans le cadre d'une telle scission partielle ne devraient pas être astreints à une quelconque obligation déclarative spéciale mais simplement être tenus de mettre à la disposition de l'administration, sur demande de sa part, des documents justifiant des conditions de réalisation de la scission partielle permettant de constater qu'elle répond à la définition donnée par la directive et qu'elle produit des effets équivalents à ceux d'un apport-attribution.

c. Le décompte du délai de détention des titres reçus en rémunération de l'apport

Le caractère intercalaire reconnu aux opérations placées sous le régime de faveur a conduit le Conseil d'Etat à juger que le délai de détention des titres entrés dans le patrimoine de la société absorbante à l'occasion d'une fusion était décompté à partir de la date d'acquisition des titres par la société absorbée #29 .

De même, l'article 145, 1-c-2e al. du CGI précise que « lorsque les titres de participation sont apportés sous le bénéfice du régime prévu par l'article 210 A, le délai de conservation est décompté à partir de la date de souscription ou d'acquisition par la société apporteuse jusqu'à la date de cession par la société bénéficiaire de l'apport. »

A la lumière de ces deux fondements, jurisprudentiel et légal, le décompte de la durée de détention dans le chef de la société bénéficiaire d'une opération placée sous le régime de l'article 210 A ne fait pas de doute : il convient de se placer à la date de souscription ou d'acquisition par la société apporteuse.

Toutefois, la loi est muette quant au décompte du délai de détention des titres reçus en rémunération d'un apport dans le chef de la société apporteuse (ou dans le chef de l'associé de la société apporteuse en cas d'apport-attribution). Il est vrai que, du fait de l'engagement de conservation de trois ans, cette question présentait sans doute un aspect assez théorique. Mais avec la suppression de l'engagement de conservation, elle peut susciter un regain d'intérêt. Dans le silence des textes, il devrait être possible de soutenir la transitivité du caractère intercalaire en présence d'apports de participation ou d'apports-attribution à l'occasion desquels intervient en définitive un « échange d'actions ».

Peut-être ce sujet sera-t-il abordé dans le projet de Bofip qui devrait être mis en consultation publique dans quelques semaines.

Cet article a été publié au Bulletin Fiscale 4/18.


1 CJUE 8-3-2017, aff. C-14/16, Euro Park Service : RJF 5/17 n° 520, étude H. Cassagnabètre RJF 11/17 p. 1371
2 CJUE 18-10-2012, aff. C-603/10, Pelati : RJF 1/13 n° 125
3 CE 26-6-2017, n° 369311, Sté Euro Park Service : RJF 10/17 n° 916, avec concl. E. Bokdam-Tognetti C 916 p. 1323
4 BOI-IS-FUS-20-20, n° 10, 12 sept. 2012
5 Les principales mesures d'assouplissement concernent les immeubles et les marques nécessaires à l'exploitation autonome, le passif de la société apporteuse non directement et exclusivement liés à l'exploitation autonome apportée, les services administratifs communs, l'absence de clientèle propre attachée à la branche apportée (BOI-IS-FUS-20-20, n° 160 et s.)
6 Cette définition a été donnée par le 3e considérant de la décision CE 27-7-2005, n° 259052, Sté B.L. et est systématiquement reprise par le juge administratif dans les décisions ultérieures.
7 Avis CE 13-7-2012, n° 358931, SAS Ondupack : RJF 11/12 n° 986, concl. B. Bohnert BDCF 11/12 n° 122 ; CE 23-10-2013, n° 359516, Min. c/ Sté Michael : RJF 1/14 n° 6.
8 CE 10-6-2013, n° 337137, Sté Fresenius Medical Care France : RJF 10/13 n° 974, concl. D. Hedary BDCF 10/13 n° 109.
9 CE 30-1-2013, n° 346683, Sté Ambulances de France : RJF 4/13 n° 392, avec chronique E. Bokdam-Tognetti p. 331, concl. C. Legras BDCF 4/13 n° 42.
10 TA Montreuil 8-6-2017, n° 1510089 et 1600726, Sté Oberthur Technologies : RJF 10/17 n° 917, avec concl. S. Humbert C 917 p. 1326, rendu à propos de l'interprétation à donner à la justification de l'opération par un motif économique valable, posée au a du 3 de l'article 210 B.
11 notamment CJCE 17-7-1997, C-28/05, Leur Bloem (point 36) : Rec. I-04161 ; CJCE 5-7-2007, C-321/05, Kofoed (point 30) : RJF 10/07 n° 1185 ; CJCE 20-5-2010, C-352/08, Modehuis A. Zwijnenburg (point 41) : RJF 8-9/10 n° 869.
12 CJUE 10-11-2011, C-126/10, Foggia (point 33) : RJF 2/12 n° 201.
13 CJUE 10-11-2011, C-126/10, Foggia (point 35).
14 Notamment CE, 23-6-2014, n° 360708, Groupement Charbonnier Montdidérien : RJF 10/14 n° 925, concl. F. Aladjidi BDCF 10/14 n° 99.
15 CE 5-3-2007, n° 284457, Selarl Pharmacie des Challonges : RJF 5/07 n° 600, avec concl. P. Collin p. 426
16 Cons. const. 29-12-2015, n° 2015-726 DC.
17 BOI-IS-BASE-10-10-10-10, n° 250, 5-10-2016.
18 CE 2-12-2016, n° 387613, min. c/ Sté Export Press : RJF 2/17 n° 168, avec chronique A. Iljic p. 139, concl. E. Cortot-Boucher p. 139 C 132.
19 TA Montreuil 8-6-2017, n° 1510089 et 1600726, Sté Oberthur Technologies précité.
20 CJUE 19-12-2012, C-207/11, 3D I Srl, point 30 : RJF 3/13 n° 376.
21 Cette obligation ne concerne notamment pas la société étrangère qui apporte, de manière isolée ou en tant qu'élément d'une branche complète d'activité, son établissement stable français à une autre société étrangère.
22 Voir notamment en ce sens à propos du transfert, dans le cadre d'un apport partiel d'actifs, d'un établissement stable non résident à une société non-résidente CJUE 23-11-2017, C-292/16 A Oy 2 : RJF 3/18 n° 330.
23 Décision « Loi de finances pour 2000 » Cons. const. 29 décembre 1999, n° 99-424 DC.
24 CAA Lyon 6-10-2011, n° 10LY02921, min. c/ SA Floréal : RJF 2/12 n° 105.
25 TA Montreuil 8-6-2017, n° 1510089 et 1600726, Sté Oberthur Technologies précité.
26 BOI-SJ-AGR-20-20, n° 80, 16 juillet 2014.
27 BOI précité n° 420.
28 BOI précité n° 430.
29 CE 11-2-2013, n° 356519, ministre du budget c/ Sté Heineken France : RJF 5/13 n° 474, chronique E. Bokdam-Tognetti RJF 6/13 p. 515, concl. B. Bohnert BDCF 5/13 n° 54.

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