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Fiscalité des entreprises
La constitutionnalité de l’amendement Charasse ou l’art subtil du déni
Anne Colmet Daâge - Mathieu Ferré
Par une décision du 20 avril 2018#1, le Conseil constitutionnel est venu donner son brevet de constitutionnalité à l'amendement Charasse en déclarant la première phrase du 7ème alinéa (actuel 6e alinéa) de l'article 223 B du code général des impôts pleinement conforme à la Constitution. Afin d'écarter la critique du contribuable selon lequel ce dispositif se traduisait par une présomption irréfragable de fraude fiscale, les Sages indiquent de manière assez surprenante que l'amendement Charasse ne constitue pas un dispositif visant à lutter contre la fraude mais simplement un mécanisme visant à éviter un cumul d'avantages fiscaux liés au régime de l'intégration fiscale.
Comme toute discipline, le droit fiscal a ses dispositifs phares, ses « madeleines de Proust », avec lesquels les praticiens sont couramment appelés à jongler bien qu'ils ne fassent l'objet que de peu d'interprétations jurisprudentielles. Tel est le cas de la disposition, anciennement codifiée au 7e alinéa de l'article 223 B du code général des impôts (CGI) et figurant désormais au 6e alinéa, dénommée familièrement « amendement Charasse », du nom du ministre du budget – désormais membre du Conseil constitutionnel#2 - qui a défendu son adoption devant le Parlement en 1988.
Cette mesure qui s'inscrit dans le cadre du régime de l'intégration fiscale prévoit la réintégration, dans le résultat d'ensemble du groupe, d'une quote-part des charges financières supportées par les sociétés intégrées lorsqu'une société membre du groupe achète, à des personnes qui la contrôlent ou à une société contrôlée par ces dernières, les titres d'une société qui rejoint par la suite le périmètre de l'intégration. L'objet de ce dispositif est d'éviter que les charges financières liées à cette acquisition ne viennent s'imputer sur les bénéfices de cette entité afin d'en neutraliser l'imposition.
Les faits. - La problématique de la constitutionnalité de cette disposition a été soulevée à l'occasion d'une affaire dans laquelle une personne physique, qui détenait à l'origine la quasi-totalité du groupe qu'elle avait développé, a décidé, afin de récupérer une partie de son investissement tout en continuant de participer au développement du groupe et d'organiser progressivement la transmission de celui-ci à certains cadres dirigeants, de procéder à une opération de LBO.
Pour ce faire, a été créée la société Mi Développement, détenue à hauteur de 47,6 % par deux fonds communs de placement, à 45,3 % par le fondateur et à 7,1 % par quatre cadres du groupe, qui s'est ensuite endettée afin d'acquérir les titres de la société cible auprès du fondateur avant de former un groupe fiscalement intégré avec cette dernière.
A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a notifié des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en application de l'amendement Charasse après avoir relevé que l'acquisition des titres de la cible avait été réalisée auprès d'un actionnaire de la société Mi Développement, qu'il contrôlait conjointement avec les autres actionnaires par le biais d'un pacte d'actionnaire.
Saisie de cette configuration particulière où la réalisation de l'opération entrainait une évolution de la structure du contrôle (passage d'un contrôle exclusif de la cible à un contrôle conjoint), la cour administrative d'appel de Nantes a, malgré les conclusions sur ce point contraire de son rapporteur public, considéré que cette particularité n'était pas susceptible de faire obstacle à l'application de l'amendement Charasse#3.
Les questions posées au Conseil d'Etat. - Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la société contestait tout d'abord l'interprétation retenue par la cour du domaine d'application de l'amendement Charasse, en soutenant que celui-ci ne devrait pouvoir s'appliquer qu'aux opérations de rachat à soi-même au sens strict et non en cas d'évolution de la structure du contrôle traduisant un désengagement partiel du cédant.
Sur ce point, la formation de jugement a avalisé l'interprétation des magistrats nantais en considérant que, dès lors que l'existence du contrôle doit s'apprécier selon la lettre de l'article 223 B du CGI en référence aux dispositions de l'article L. 233-3 du code de commerce selon lequel le contrôle peut prendre, alternativement, la forme d'un contrôlé exclusif#4 ou d'un contrôle conjoint résultant d'une action de concert#5, « cette disposition est applicable […] non seulement dans l'hypothèse d'une identité entre le ou les actionnaires de la société cédée et le ou les actionnaires exerçant le contrôle de la société cessionnaire mais également dans le cas où l'actionnaire qui contrôlait la société cédée exerce, de concert avec d'autres actionnaires le contrôle de la société cessionnaire »#6.
La société soulevait aussi une question prioritaire de constitutionnalité par laquelle elle soutenait que le dispositif de l'amendement Charasse était contraire au principe d'égalité devant les charges publiques tiré de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (DDHC) en ce qu'il ne permettait pas au contribuable d'apporter la preuve que l'opération de restructuration ne revêtait pas un caractère artificiel en poursuivant uniquement un objet fiscal.
La société invoquait au soutien de son argumentation la jurisprudence fournie du Conseil constitutionnel sanctionnant les dispositifs anti-abus qui instituent une présomption irréfragable de fraude fiscale.
En effet, selon la formule consacrée, le principe d'égalité devant les charges publiques impose au législateur de « fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose » et que « cette appréciation ne doit cependant pas entrainer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques »#7. Or, si les Sages admettent que le législateur déroge aux règles d'imposition de droit commun afin de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale, objectif à valeur constitutionnelle, ils s'assurent malgré tout qu'une telle atteinte ne soit pas disproportionnée et vérifient que le dispositif litigieux ne pénalise pas des opérations économiquement sincères. Pour ce faire, ils vérifient que les contribuables bénéficient d'une clause de sauvegarde, en abrogeant éventuellement la partie du texte limitant le champ d'application de celle-ci#8. En l'absence de clause de sauvegarde, ils peuvent, par le biais d'une réserve d'interprétation, subordonner la validité de la disposition à la possibilité de rapporter la preuve du caractère non artificiel#9.
Afin d'apprécier le caractère sérieux de la QPC, il convenait donc d'identifier l'objectif véritablement poursuivi par le législateur lors de l'amendement Charasse.
Quelle était l'intention du législateur en 1988 ? - Pour ce faire, le Conseil d'Etat est passé outre l'apparence purement automatique du dispositif et a cherché à déterminer la véritable nature de celui-ci, en creusant dans les travaux parlementaires de la loi de finances rectificative pour 1988#10.
Or, comme l'indiquait le rapporteur public, « à l'examen de ces travaux, il apparaît avec évidence que le législateur poursuivait effectivement un objectif de lutte contre la fraude fiscale. Il s'agissait de prévenir un usage abusif de l'intégration fiscale consistant à créer artificiellement une dette d'emprunt au sein du groupe, dans le cadre d'un rachat à soi-même opéré via une société holding ».
On peut ainsi lire dans les débats devant l'Assemblée nationale à l'occasion de la présentation de l'amendement par le ministre chargé du budget#11 : « j'ai cependant eu connaissance, au cours de ces derniers mois, d'un certain nombre de montages purement artificiels et à but uniquement fiscal, consistant à endetter des sociétés françaises, en général constituées à cet effet, pour le rachat d'autres sociétés détenues par le même actionnaire, en général étranger. Grâce au système de l'intégration fiscale, la déduction des intérêts vient ainsi compenser les bénéfices de la société rachetée. En pratique, c'est comme si une société s'endettait pour se racheter elle-même, ce qui n'est pas l'utilisation la plus rationnelle, on conviendra, de ses ressources » ; l'amendement étant proposé « pour éviter de tels détournements ».
Dans le rapport fait, en première lecture, au nom de la Commission des finances du Sénat, on peut aussi lire que l'article en cause « tend à définir un régime spécifique ayant pour but de dissuader des opérations de restructuration interne à but purement fiscal […] »#12. Le rapporteur relevait tout de même que « la rédaction retenue par l'Assemblée nationale est excessivement large et risque, en définitive de concerner des sociétés ayant procédé à des restructurations à but non fiscal »#13; constat en raison duquel il proposait d'introduire la notion de contrôle qui devait permettre d'éviter cette difficulté. Ainsi, le critère du contrôle devait selon le législateur permettre de limiter l'application du dispositif à des opérations de « rachat à soi-même » ne pouvant poursuivre un but autre que fiscal.
La même idée ressortait du rapport fait, en nouvelle lecture, au nom de la Commission des finances de l'Assemblée nationale dans lequel on peut lire que, du fait des règles liées à la consolidation des résultats et de la déductibilité des charges financières, « abusant de cette situation, certains montages audacieux permettent de faire échapper d'importants bénéfices à l'impôt »#14 et que « l'objectif du présent article consiste à instituer une règle fiscale dissuasive pour éviter le développement de montages juridiques à but exclusivement fiscal par l'utilisation habile du régime fiscal des groupes de sociétés / Il a été vu que ces montages artificiels sont effectués pour endetter des sociétés françaises, constituées à cet effet pour le rachat d'autres sociétés détenues par le même actionnaire, souvent étranger [...]. En pratique tout se passe comme si une société s'endettait pour se racheter elle-même, ce qui n'est pas l'utilisation la plus rationnelle de ses propres ressources. »#15.
Enfin, dans le rapport fait, en nouvelle lecture, au nom de la Commission des finances du Sénat, il est également indiqué que « cet article institue un dispositif fiscal dissuasif tendant à éviter certains montages juridiques dans le cadre desquels une société vend à une filiale qu'elle contrôle une participation majoritaire dans une entreprise tierce » et que « si l'achat de titres est financé par emprunt, la fiscalité de groupe permet alors de faire supporter par le compte d'exploitation de l'entreprise tierce les intérêts de l'emprunt contracté en vue de cette "restructuration quelque peu artificielle" »#16.
Il semblait donc ressortir clairement des travaux parlementaires que l'intention du législateur était bien de cibler les opérations abusives, constitutives d'un « rachat à soi-même », essentiellement motivées par la volonté de réduire le montant de l'impôt et que, par ailleurs, comme le démontrait les amendements adoptés, il ne souhaitait en revanche pas entraver les opérations de restructuration ayant une véritable justification économique.
Une telle analyse n'est pas nouvelle. Ainsi, le rapporteur public Claire Legras avait indiqué dans ses conclusions relatives à l'affaire Laboratoires Virbac que « cette disposition vise donc à mettre fin à des montages à but uniquement fiscal consistant à endetter des sociétés constituées à cet effet pour le rachat d'autres sociétés détenues par le même actionnaire »#17. Le rapporteur public Thurian Jouno avait même précisé dans ses conclusions soutenues devant la cour administrative d'appel de Nantes que « les travaux parlementaires indiquent qu'il s'agissait de faire échec à des opérations par lesquelles la ou les personnes contrôlant une société se vendaient indirectement, à elles-mêmes les titres de celle-ci, et ce faisant, obtenaient des liquidités, tout en endettant, en contrepartie, le groupe auquel cette société allait appartenir et qu'ils contrôlaient. Autrement dit, la volonté du législateur était principalement de lutter contre des opérations de LBO qui – à la différence de celle dont vous avez à connaître – n'avaient aucune réelle incidence sur la situation patrimoniale nette de la personne ou des personnes contrôlant la société cible »#18.
Décision du Conseil d'Etat. - Devant le Conseil d'Etat, Vincent Daumas considérait ainsi que, si le ciblage initial du dispositif pouvait sembler conforme aux objectifs du législatifs, la modification de l'article 223 B du CGI effectuée par la loi de finances rectificative pour 2005#19 prévoyant que la notion de contrôle doit être appréciée au regard des dispositions de l'article L. 233-3 du code de commerce avait pu aboutir à faire entrer dans le champ de l'amendement Charasse des opérations pouvant poursuivre des buts autres que fiscaux.
Suivant les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d'Etat a transmis la QPC en considérant que « présente un caractère sérieux le moyen tiré de ce [que cette disposition] porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques en ne ménageant pas la possibilité pour le contribuable d'apporter la preuve, dans l'hypothèse où l'actionnaire qui contrôlait la société cédée exerce, de concert avec d'autres actionnaires, le contrôle de la société cessionnaire, que l'opération ne poursuit pas qu'un but fiscal »#20.
Décision du Conseil constitutionnel. - Il était donc permis d'espérer que le Conseil constitutionnel formule une réserve d'interprétation pour admettre que le contribuable puisse rapporter la preuve de l'absence de but fiscal.
Loin s'en faut puisque le Conseil constitutionnel considère que l'amendement Charasse ne constitue pas une mesure de lutte contre les montages frauduleux qui, d'application automatique, instituerait une présomption irréfragable de fraude, mais un simple dispositif correctif visant à « éviter un cumul d'avantages fiscaux ».
Un dispositif visant à éviter un cumul d'avantages fiscaux, mais pas les abus. - Pour ce faire, le Conseil constitutionnel présente le dispositif d'une manière quelque peu réductrice en relevant que « lorsqu'une société membre d'un groupe fiscalement intégré, acquiert, auprès d'un de ses actionnaires, les titres d'une société qui devient ensuite membre de ce groupe, les dispositions contestées imposent pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe soumis à l'impôt sur les sociétés, la réintégration des charges financières exposées pour cette acquisition ».
Poursuivant, le Conseil constitutionnel retient qu'« en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire obstacle à ce que, dans une telle opération financée en tout ou partie par l'emprunt, la prise en compte des bénéfices de la société rachetée, pour la détermination du résultat d'ensemble, soit compensée par la déduction des frais financiers exposés pour cette acquisition. Il a ainsi entendu éviter un cumul d'avantages fiscaux », avant de récuser totalement l'argumentation de la société en indiquant que « les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme instituant une présomption de fraude ou d'évasion fiscale ».
Une telle affirmation peut quelque peu surprendre au regard des nombreux éléments issus des travaux parlementaires, évoqués précédemment, qui laissaient penser que cette disposition constituait bien un mécanisme anti-abus visant à lutter contre des montages artificiels.
En passant outre ces différents éléments, le Conseil constitutionnel paraît réinterpréter à sa manière l'intention du législateur#21 en distinguant, de manière particulièrement subtile, les mécanismes visant à lutter contre les montages frauduleux et les mécanismes visant à éviter le cumul d'avantages fiscaux…Le Conseil constitutionnel semble s'être laissé convaincre par les arguments soulevés en défense par le Gouvernement selon lesquels cette disposition ne peut être dissociée du régime de l'intégration fiscale et vise juste à recadrer les avantages liés à ce régime de faveur.
Une décision peu convaincante. - Ce raisonnement ne convainc pourtant pas.
En premier lieu, le fait qu'un dispositif se borne à limiter le champ d'application ou les effets d'un régime de faveur ne suffit pas à exclure qu'il puisse constituer un montage visant à lutter contre la fraude en raison. Dans le cadre de la décision AFEP#22, le Conseil constitutionnel avait appliqué sa jurisprudence relative aux présomptions irréfragables à des dispositions qui prohibaient l'application du régime mère-fille et du régime des plus-values long terme sur titres de participation – soit des régimes de faveur – lorsque les entités étaient localisées dans des Etats ou territoires non coopératifs.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel indique que « la situation visée par ces dispositions étant effectivement susceptible de donner lieu à un cumul d'avantages fiscaux, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi »#23. Cette tournure peut susciter plusieurs interrogations.
Tout d'abord, on peut regretter que le Conseil constitutionnel se satisfasse du fait que les situations visées par l'amendement Charasse soient « susceptible[s] » de se traduire par un cumul d'avantages alors que le dispositif est pour sa part d'application automatique.
On peut regretter aussi le laconisme de la motivation qui ne prend pas la peine d'expliquer quels sont les avantages « cumulés » et en quoi l'interdiction d'un tel cumul est véritablement conforme à l'intention du législateur. A la lecture du 5e considérant, il semble qu'un des avantages en cause soit l'imputation des frais financiers exposés pour l'acquisition sur les bénéfices de la société rachetée. Mais quels sont le ou les autres avantages en cause ? S'agit-il du cumul avec l'avantage résultant de la neutralisation de la quote-part des frais et charges sur les distributions de dividendes intragroupe#24 ou le bénéfice du taux réduit de 1 % qui lui a été substitué pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016#25 ? A priori non dès lors que cette possibilité n'est même pas évoquée dans la décision… Existe-t-il un « cumul d'avantages » du simple fait de pouvoir déduire de telles charges financières ? Une telle analyse est contestable : la déductibilité de charges financières ne peut pas être considérée comme un « avantage » dès lors qu'il ne s'agit que d'une application du principe général énoncé à l'article 39 du CGI, rendu applicable pour le calcul de l'impôt sur les sociétés par le I de l'article 209 du CGI, selon lequel le bénéfice est déterminé sous déduction de toutes les charges, parmi lesquelles figurent les charges financières.
Enfin, le Conseil constitutionnel ne développe aucunement dans sa décision la raison pour laquelle le législateur pouvait interdire un tel cumul d'avantages fiscaux dans la situation visée par l'amendement Charasse, alors que ce cumul est admis en cas d'acquisition de titres d'une société auprès d'un tiers. Est-ce parce qu'il aurait alors fallu indiquer que cette différence de traitement s'expliquait par la volonté du législateur de faire obstacle à la réalisation de montages artificiels et qu'ainsi ce dispositif était un dispositif anti-abus ?
Une volonté d'éviter de trop restreindre le champ d'application de l'amendement Charasse ? - Contrairement à ce que laissait entrevoir la décision de renvoi du Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel n'a pas limité son examen à la problématique de l'application de l'amendement Charasse en cas de changement de la nature du contrôle. A cet égard, il aurait été sans doute difficile pour le Conseil constitutionnel de formuler une réserve d'interprétation limitée à la seule hypothèse où était en cause une évolution de la structure du contrôle. En effet, s'il avait dû considérer qu'il s'agissait bien d'un dispositif anti-abus instituant une présomption irréfragable de fraude, la clause de sauvegarde aurait dû être générale ce qui aurait pu sérieusement ébrécher la portée de l'amendement Charasse ou du moins rendre encore plus complexe son application.
Par ailleurs, le raisonnement du rapporteur public selon lequel c'est la modification opérée par la loi de finances rectificative pour 2005 qui serait venue étendre de manière disproportionnée le champ d'application du dispositif a pu être paralysé par le fait que le Conseil d'Etat est venu, d'une certaine manière, neutraliser l'impact de cette modification en interprétant la version antérieure du texte comme imposant déjà que la notion de contrôle soit appréciée selon la conception résultant de l'article 355-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales (codifié à partir de 2000 à l'article L. 233-3 du code de commerce) dans sa rédaction en vigueur à la date de chaque opération#26.
Il n'en reste pas moins que la solution n'est guère satisfaisante dès lors que, comme le relevait le rapporteur public dans ses conclusions dans sa décision de renvoi, il suffira que la personne qui contrôlait la société cédée détienne une participation même minoritaire dans la holding cessionnaire et soit liée avec les autres associés par un pacte d'actionnaires qui leur confère un contrôle conjoint pour que le dispositif s'applique.
Quelles conséquences ? - S'agissant de la portée de cette décision de constitutionnalité, dès lors que les Sages déclarent conforme à la Constitution l'intégralité de la 1re phrase du 7e alinéa (désormais 6e alinéa) de l'article 223 B du CGI, il en résulte que, sauf changement de circonstances, les contribuables ne pourront plus contester la constitutionnalité du champ d'application de ce dispositif, ni même les modalités de réintégration prévues par celui-ci, à l'exception des modalités de détermination du prix d'acquisition à retenir en cas d'apport en fonds propres qui sont prévues à la 2e phrase et de la durée de la réintégration prévue par la 3e phrase. Les autres alinéas de l'article 223 B du CGI relatifs à l'amendement Charasse ne sont pas au sens strict concernés par cette décision (notamment l'extension aux hypothèses de l'absorption par une société intégré ou les cas où le dispositif ne s'applique pas).
Plus généralement, la décision vient préciser que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les présomptions irréfragables est cantonnée aux seules dispositions dont l'objet est de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale : dès lors que le dispositif poursuit un autre objectif, ce courant jurisprudentiel ne sera pas transposable quand bien même la mesure serait d'application automatique#27. En cela, elle s'inscrit dans un courant de délimitation de la portée de certaines solutions du Conseil, qui avaient pu faire naître trop d'espoir#28.
Si les débats portant sur la constitutionnalité de l'amendement Charasse est désormais clos, il reste tout de même à espérer que le retour de l'affaire devant le Conseil d'Etat sera l'occasion pour celui-ci de préciser les critères devant être pris en compte pour apprécier l'existence d'une situation de contrôle conjoint, ce qui permettrait d'améliorer tant la visibilité des praticiens que la sécurité juridique des entreprises.
[1]Cons. const., 20 avril 2018, n° 2018-701 QPC, Sté Mi Développement 2
[2]On indiquera que Michel Charasse a choisi de se déporter dans le cadre de l'examen de cette QPC.
[3]CAA Nantes, 4 mai 2017, n° 15NT01908, Sté Mi Développement 2 : RJF 8-9/17 n° 784, concl. T. Jouno : RJF 8-9/17 n° C 784
[4]C. com., art. L. 233-3, I
[5]C. com., art. L. 233-3, III
[6]CE, 1er février 2018, n° 412155, SAS Mi Développement 2, cons. 3
[7]V. notamment Cons. const., 20 janvier 2015, n° 2014-437 QPC, AFEP et a., cons. 8
[8]Cons. const., 1er mars 2017, n° 2016-614 QPC, Lacquemant
[9]Cons. const., 6 octobre 2017, n° 2017-659 QPC, Nabitz : « les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d'être exempté de l'application de l'article 123 bis, que la participation qu'il détient dans l'entité établie ou constituée hors de France n'a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d'évasion fiscales, la localisation de revenus à l'étranger » ; Cons. const., 25 novembre 2016, n° 2016-598 QPC, Sté Eurofrance ; Cons. const., 20 janvier 2015, n° 2014-437 QPC, AFEP et a. ; à rapprocher également s'agissant d'une disposition anti-abus mal calibrée Cons. const., 29 décembre 2012, n° 2012-661 DC, Loi de finances pour 2012 (III), cons. 20 et s.
[10]Loi n° 88-1193 du 29 décembre 1988 de finances rectificative pour 1988, article 13
[11]JO AN Débats, p. 3373
[12]Rapport n° 175 déposé le 13 décembre 1988 par M. Maurice Blin, au nom de la commission des finances du Sénat, p. 100
[13]Ibidem, p. 104
[14]Rapport n° 492 déposé le 20 décembre 1988 par de M. Alain Richard, au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, p. 13
[15]Ibidem, p. 16
[16]Rapport n° 175 déposé le 21 décembre 1988 par M. André Fosset au nom de la commission des finances du Sénat, p. 4 et s.
[17]Concl. C. Legras sous CE, 19 février 2014, n° 346638, Sté Laboratoires Virbac : Dr. fisc. 2017, n° 21, comm. 339
[18]Concl. T. Jouno sous CAA Nantes, 4 mai 2017, n° 15NT01908, SAS Mi Développement 2 : RJF 8-9/17 n° C 784
[19]Loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, art. 40
[20]CE, 1er février 2018, n° 412155, SAS Mi Développement 2
[21]Sur ce point, la décision peut éventuellement être rapprochée de la décision Technicolor rendue une semaine auparavant par le Conseil constitutionnel, dans lequel, celui-ci a retenu une interprétation dissonante des travaux parlementaires ayant conduit à l'insertion du 4e alinéa du I de l'article 209 du CGI (v. Cons. const., 13 avril 2018, n° 2018-700 QPC, Sté Technicolor)
[22]Cons. const., 20 janvier 2015, n° 2014-437 QPC, AFEP et a.
[23]Cons. const., 20 avril 2018, n° 2018-701 QPC, Sté Mi Développement 2, cons. 7
[24]CGI, art. 223 B, al. 2 dans sa version antérieure à la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015
[25]CGI, art. 216, I, al. 2 dans sa version résultant de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015
[26]CE, 13 juillet 2011, n° 312285, Sté FTR : RJF 11/11 n° 1137. On peut toutefois objecter que, quand bien même la loi de finances rectificative pour 2005 ne serait pas venue étendre la portée du dispositif par rapport au texte adopté en 1988, une telle évolution résultait de la loi NRE qui est venue ajouter un alinéa à l'article L. 233-3 du code de commerce afin d'étendre la notion de contrôle aux cas de contrôle conjoint (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, art. 120).
[27]On peut à ce titre mentionner la décision CE, 7 février 2018, n° 416295, M. A dans laquelle le Conseil d'Etat a refusé de transmettre une QPC portant sur le conditionnement du régime de sursis/report prévu en matière de plus-values mobilières en cas d'apport de titres au versement d'une soulte d'un montant inférieur ou égal à 10 % de la valeur nominale des titres en considérant que cette mesure ne constituait pas un mécanisme anti-abus mais une simple limitation du champ d'application de ce régime de faveur aux opérations ne s'accompagnant d'un versement de liquidités que dans une faible proportion.
[28]A rapprocher notamment de la décision Sté Life Sciences Holdings (Cons. const., 13 avril 2018, n° 2018-699 QPC) sur la portée de la jurisprudence Métro Holding (Cons. const., 3 février 2016, n° 2015-520 QPC) et de la jurisprudence Sté Edenred (Cons. const., 9 juin 2017, n° 2017-636 QPC) sur la portée de la jurisprudence Gilbert B. (Cons. const., 22 juillet 2016, n° 2016-554 QPC) s'agissant des amendes proportionnelles sanctionnant les manquements à des obligations déclaratives.