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Fiscalité des entreprises
La conservation et les modalités d'archivage de la comptabilité informatisée*
Annie Morel
Comptabilité informatisée, pour tout un chacun, rime avec contrôle fiscal et archivage; bien que cette association soit posée dans les textes depuis la loi de finances pour 1990, les sociétés s'interrogent toujours sur les mesures à prendre en interne et sur ce qu'elles doivent archiver et de quelle manière#1.
L'obligation de conservation
L'obligation de conservation (et non d'archivage), est défini dans le II de l'article L 102 B du livre de procédures fiscales (LPF) :
« Lorsqu'ils ne sont pas déjà mentionnés aux I ou I bis, les informations, données ou traitements soumis au contrôle prévu au IV de l'article 13 doivent être conservés sur support informatique jusqu'à l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article L. 169. La documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements doit être conservée jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle à laquelle elle se rapporte ».
Pourquoi une obligation de conservation propre aux comptabilités informatisées ? Parce qu'un contrôle informatisé suppose :
- d'être capable d'expliquer le mode de fonctionnement de son système d'information sur la période vérifiée, ce qui implique une obligation de conservation de la documentation informatique ;
- d'être capable de réaliser les demandes de traitement nécessaires aux opérations de contrôles, ce qui entraîne une obligation de conservation des informations, données et traitements.
Depuis l'adoption de la règlementation sur les caisses enregistreuses, cette obligation de conservation s'est même alourdie. Ainsi, en ce qui concerne les caisses enregistreuses#2:
« I. - Les livres, registres, documents ou pièces sur lesquels peuvent s'exercer les droits de communication, d'enquête et de contrôle de l'Administration doivent être conservés pendant un délai de six ans à compter de la date de la dernière opération mentionnée sur les livres ou registres ou de la date à laquelle les documents ou pièces ont été établis […]. Les pièces justificatives d'origine relatives à des opérations ouvrant droit à une déduction en matière de taxes sur le chiffre d'affaires sont conservées pendant le délai prévu au premier alinéa ».
Combien de temps archiver ? : la durée de conservation
Le premier critère de la conservation concerne la durée de rétention à mettre en place au sein des entreprises et des systèmes. Il existe deux durées de rétention selon la règle de droit applicable :
- l'obligation de conservation liée au droit de communication de l'administration, soit une durée de rétention de 6 ans pour les données se rattachant aux caisses enregistreuses ;
- l'obligation de conservation liée au droit de contrôle et de reprise de l'administration, soit une durée de rétention de 3 ans :
- années révolues après que l'application et/ou le programme cessent d'être utilisés par la société pour la documentation IT
- « jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due »[3] pour les informations, données ou traitement.
Il existe deux exceptions à cette durée de 3 ans :
- présence de déficits à l'ouverture du premier exercice vérifié - la durée de conservation doit alors être estimée par rapport aux exercices de naissance des déficits ;
- existence de provisions déterminées sur une durée supérieure aux 3 années ouvertes à contrôle – la durée de conservation est alors à définir par rapport à la période retenue pour déterminer les règles de provisionnement.
A noter : une fois ces règles précisées, il faut remarquer que la durée de rétention de 3 ans n'est pas totalement en ligne avec le périmètre ouvert à contrôle posé par l'article L. 13 du LPF. Cet article précise que les vérificateurs peuvent vérifier et donc réaliser des demandes de traitement sur toutes informations, données ou traitements qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables et fiscaux, mais également des déclarations fiscales. Or pour valider certaines déclarations fiscales, par exemple celles relatives aux taxes locales, il peut être nécessaire de disposer de 5 années de données alors même que les sociétés n'ont une obligation de conservation que de 3 ans. Les sociétés doivent donc savoir que la durée de conservation posée par la loi peut dans certains cas limiter l'étendue du droit de contrôle de l'administration. Par conséquent, celles-ci n'ont aucune obligation de réaliser les demandes de traitement sur des exercices prescrits non déficitaires et que l'administration fiscale ne peut les sanctionner à ce titre. |
Comment archiver ? : modalités d'archivage et de conservation
Une fois la durée de conservation bien comprise se pose la question de comment assurer techniquement la conservation des différents éléments retenus par la loi.
La documentation IT
S'agissant de la documentation IT, le premier réflexe serait surtout de ne pas jeter toutes les documentations (électroniques ou papiers) relatives aux applications qui cessent d'être utilisées. Le second reflexe serait de réfléchir à la mise en place de solutions logicielles documentaires permettant de dématérialiser la documentation IT et de gérer le versionning. En pratique, pour les progiciels du marché avec leur documentation en ligne, il faut penser à gérer les changements de progiciel et imprimer la documentation avant l'arrêt du software ou se constituer une documentation interne en s'appuyant sur les documentations créées pour les nouveaux entrants, par exemple.
Modalités techniques de conservation
S'agissant des informations, données et traitements, les sociétés doivent savoir qu'elles ont une obligation de résultat et que, quelles que soit la ou les solutions techniques mises en place pour respecter leur obligation de conservation, elles doivent être capables de répondre aux demandes de la DGFiP en termes de demandes de traitement.
Techniquement, voici les solutions qui s'offrent à elles.
Conservation des informations et données en ligne
Premier point d'attention : il faut être certain que l'extraction des données et/ou des tables à partir de l'environnement d'exploitation se fera facilement et rapidement sans empêcher les utilisateurs de travailler. Si la demande de traitement suppose qu'il faille extraire 10 tables de la base de données en ligne – chaque table contenant des millions de transactions - et que l'extraction ne peut s'effectuer que le week-end, la société aura certainement les plus grandes difficultés à respecter les délais généralement accordés par les vérificateurs (3 à 4 semaines) pour la réalisation des demandes de traitement.
Deuxième point d'attention : il est nécessaire de disposer des informations se rapportant aux exercices vérifiés. Obtenir les transactions/ mouvements des exercices audités quand tout est en ligne n'est pas un problème. Par contre, retrouver l'adresse de facturation, le taux de TVA ou le prix de vente de l'époque peut être plus difficile s'il n'y a pas eu un suivi historique des informations. De même retrouver une image à une date donnée (soldes des tiers à la clôture, stocks…) peut également être une gageure car cette image est mise à jour régulièrement.
Pour conclure, nous estimons que la conservation en ligne pour les applications « live » permet de répondre à 90 % / 95 % à ses obligations de conservation. Pour être certaines d'arriver aux 100 %, les entreprises doivent mener une réflexion sur comment gérer référentiels, paramètres et images à date (historisation, extraction et archivage des référentiels, de certains paramètres comme la TVA et des images à la clôture comme le stock doivent être étudiés...).
Utilisation d'un ou des Data Warehouses (entrepôts de données)
Les entrepôts de données sont des solutions techniques possibles pour assurer la rétention de l'information et ces dernières sont acceptées par l'administration.
Premier point d'attention : il est nécessaire de s'assurer que l'entrepôt de données est correctement alimenté et qu'il est en ligne avec les applications qui l'alimentent. En effet, ces entrepôts de données sont généralement utilisés pour permettre aux utilisateurs internes de réaliser diverses analyses comme l'évolution du comportement du client par exemple. Dans ce contexte, la perte de quelques journées de transactions n'est pas un enjeu mais cela n'est pas le cas dans le cadre des demandes de traitement où les résultats doivent cadrer avec la comptabilité ou les déclarations fiscales.
Deuxième point d'attention : il ne faut pas négliger la qualité et la richesse de l'information. L'administration souhaite disposer des données détaillées saisies initialement, or souvent les entrepôts sont alimentés par des données agrégées ou partielles. De plus, elles peuvent parfois être modifiées ou enrichies par les utilisateurs.
S'appuyer sur les entrepôts de données peut donc demander soit de revoir le mode de fonctionnement des entrepôts existants, voire de mettre en place un entrepôt spécifique pour le contrôle fiscal. Dans ce contexte, les entreprises peuvent aussi mettre à plat la gestion des données en interne car force est de constater que très souvent les mêmes informations sont conservées plusieurs fois en fonction des besoins des uns et des autres. Mettre en place une data retention policy a l'avantage de rationaliser les coûts et l'utilisation d'entrepôts permet de disposer de données facilement et rapidement utilisables pour le contrôle fiscal.
S'appuyer sur les back-up des systèmes ou sur les solutions d'archivages proposés par les progiciels
Ces approches techniques nécessitent de disposer de machines ou d'espace pour recharger les back-up et archives mais souvent également des progiciels de l'époque pour lire des données archivées en mode propriétaires. De plus, doit être pris en compte le temps nécessaire pour les recharger (souvent une archive / back-up par exercice) et le temps d'extraction des données ou tables préalables à la réalisation des demandes de traitement.
Remarque : certaines archives techniques proposées par les progiciels, si elles autorisent les utilisateurs à consulter les données, ne permettent pas toujours de les requêter. |
La question dans cette approche est donc de s'assurer de la capacité technique à recharger ces back-up et archives, de la disponibilité des outils d'extraction ainsi que de la connaissance interne sur les tables et informations à extraire.
Constitution des archives fiscales sous forme de fichiers à plat
Les sociétés peuvent également définir un plan d'archivage fiscal conformément aux recommandations émises par la DGFiP dès 1996. Cette solution technique demande d'identifier les informations ou tables à archiver, de les extraire et de les archiver. Ce plan d'archivage ne doit pas oublier d'intégrer les relations entre les différentes tables et données afin de disposer d'un ensemble cohérent.
Techniquement, il semble logique d'archiver sous forme de fichiers à plat (un des formats proposés pour le fichier des écritures comptables) car ce format est celui imposé par l'administration pour les fichiers à lui transmettre. Pour rappel, ce format présente l'avantage d'être un format non propriétaire et offre l'assurance dans le temps de toujours disposer de fichiers requêtables par les outils de data mining.
Cette approche pose en revanche très souvent la question pour les sociétés d'être exhaustives dans les données à archiver. Le Standard Audit File pour Tax (SAF-T) proposé par l'OCDE dès 2006 peut servir de guide afin de lister les informations à archiver a minima.
Spécificité de l'archivage des données de caisse
Pour la grande majorité des informations et données à conserver, l'administration n'impose pas de procédés technologiques, ni de format d'archivage. Elle impose par contre un format de restitution (fichier à plat dans le cadre des demandes de traitement, fichiers à plat ou xml pour le fichier des écritures comptables). Elle recommande, mais sans obligation, de figer les données via une procédure d'extraction des données du logiciel et d'archivage avec possibilité d'utilisation d'un support d'archive pérenne (disque optique à écriture unique avec protection contre l'écrasement par exemple). Elle n'impose pas de signer les données archivées.
Il existe une exception à ces règles en ce qui concerne les archives des caisses enregistreuses : la procédure d'archivage, qui permet de figer les données et de leur donner une date certaine, doit prévoir un dispositif technique garantissant l'intégrité dans le temps des archives produites et leur conformité aux données initiales de règlement à partir desquelles elles sont créées. Dans ce contexte la signature des archives devient incontournable. L'administration a également précisé qu'en cas de purge, les données archivées doivent être conservées sur un support physique externe sécurisé. La sécurisation de ce support peut être assurée techniquement (support à écriture unique) ou via le recours à un tiers-archiveur.
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Les sociétés, qui souhaitent voir sereinement venir un contrôle fiscal informatisé, ont tout intérêt à réfléchir aux process à mettre en place afin de :
- maintenir leur connaissance en interne sur leur système d'information (la documentation IT) ;
- disposer des données relatives à la période ouverte à vérification.
La disponibilité des données peut reposer sans difficulté sur une combinaison de solutions techniques, mais les entreprises ont tout intérêt à traiter ce sujet dans un objectif de rationalisation des coûts.
A ce titre, les migrations d'applications sont des instants privilégiés pour réfléchir à ses obligations de conservation car c'est le moment idéal pour paramétrer les règles d'historisation et d'archivage dans la future application et c'est la dernière possibilité pour sauver les données de l'ancien système. En dehors des différentes solutions techniques listées précédemment intégrant une conservation en ligne du logiciel migré, la conservation des données peut également être assurée par la reprise des données dans le nouveau système.
Cette approche peut être lourde car idéalement il faut reprendre a minima 3 ans de données mais elle présente l'avantage de garder en ligne la période ouverte à contrôle.
* Cet article a été publié à la Revue Française de Comptabilité, septembre 2018, n° 523
[1] Nous informons le lecteur sur le fait que seuls la conservation et l'archivage du système d'information sont traités dans cet article. La conservation et l'archivage des documents, pièces justificatives, états comptables, déclarations fiscales n'ont pas été évoqués car ce sujet mérite à lui seul un chapitre.
[3] LPF, art. L. 169