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Fiscalité des entreprises
La CJUE censure l’ancienne clause anti-abus du régime mère-fille
Jérôme Ardouin
Dans un arrêt du 7 septembre 2017, la Cour de justice de l'Union européenne juge que l'ancienne clause anti-abus prévue au 3 de l'article 119 ter est contraire à la Directive mère-fille et aux libertés fondamentales, sans que sa décision n'éclaire véritablement le débat quant à la compatibilité du nouveau dispositif issu des modifications apportées à la directive en 2015 et transposées par la loi de finances rectificative pour 2015.
L'article 119 ter du CGI a été introduit en droit français par l'article 24 de la loi n°91-1323 du 30 décembre 1991 de finances rectificative pour 1991 afin de transposer la Directive mère-fille n°90/435 du 23 juillet 1990.
Le paragraphe 3 de l'article 119 ter du code général des impôts (CGI), dans sa version antérieure à la loi de finances rectificative pour 2015, permettait à l'administration de refuser le bénéfice de l'exonération de retenue à la source sur les dividendes sortants lorsque ceux-ci étaient distribués à une société mère européenne contrôlée par une personne résidente en dehors de l'Union européenne, sauf à ce que la société mère justifie que la chaine de participations n'ait pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de bénéficier de l'exonération.
Saisi de trois affaires[1] dans lesquelles les contribuables avaient soulevé la question de la compatibilité de ce dispositif à la Directive mère-fille, dans sa version alors applicable, et aux libertés fondamentales, le Conseil d'Etat a sollicité en décembre 2015 l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Suivant les conclusions de l'Avocat général Kokott présentées le 19 janvier 2017, la CJUE retient que l'ancien dispositif anti-abus français était contraire à la fois à la directive mère-fille et à la liberté d'établissement.
Contrariété à la Directive mère-fille
La Directive interdisant, à l'article 5, les retenues à la source sur les bénéfices distribués par une filiale établie dans un Etat membre à sa société mère établie dans un autre Etat membre, la CJUE en déduit que « les Etats membres ne sauraient (…) instaurer unilatéralement des mesures restrictives et subordonner le droit de bénéficier de l'exonération de retenue à la source (…) à différentes conditions » [2].
Certes, l'article 1er, paragraphe 2, dont le paragraphe 3 de l'article 119 ter est l'émanation selon les travaux parlementaires de la loi de finances rectificative pour 1991[3], prévoit que la directive « ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus ». Toutefois, comme le relève la Cour :
- cet article « reflète le principe général du droit de l'Union selon lequel nul ne saurait bénéficier abusivement ou frauduleusement des droits prévus par le système juridique de l'Union » ;
- il doit être interprété restrictivement dès lors qu'il constitue une dérogation aux règles fiscales établies par la directive ;
- par suite, il ne permet que l'application de dispositions nationales ou conventionnelles « nécessaires » afin d'éviter les fraudes et les abus[4].
Or, selon la Cour qui applique les principes qu'elle a dégagés par le passé, notamment dans sa décision Cadbury Schweppes[5], « pour qu'une législation nationale soit considérée comme visant à éviter les fraudes et les abus, son but spécifique doit être de faire obstacle à des comportements consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dont le but est de bénéficier indûment d'un avantage fiscal » [6]. Et, pour identifier un tel comportement, les autorités nationales « ne sauraient se contenter d'appliquer des critères généraux prédéterminés, mais doivent procéder à un examen individuel de l'ensemble de l'opération concernée » [7].
Il s'ensuit que « l'institution d'une mesure fiscale revêtant une portée générale excluant automatiquement certaines catégories de contribuables de l'avantage fiscal, sans que l'administration fiscale soit tenue de fournir ne serait-ce qu'un commencement de preuve ou d'indice de fraude et d'abus, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter les fraudes et les abus » [8], et irait donc au-delà ce qui est permis par l'article 1er, paragraphe 2, de la Directive.
Or, tel est bien le cas de l'ancien dispositif de l'article 119 ter qui excluait de l'exonération de retenue à la source les sociétés mères contrôlées, directement ou indirectement, par une personne résidente en dehors de l'Union européenne, sauf à ce que la société mère démontre que cette chaine de participations n'avait pas pour objectif de bénéficier de l'exonération.
Le dispositif était donc bien contraire à la Directive mère-fille, contrariété qui pouvait être invoquée par une société mère contrôlée dès lors que, comme le relève la Cour, « il ne ressort d'aucune disposition de la directive (…) que l'origine des actionnaires des sociétés résidant dans l'Union ait une incidence sur le droit de ces sociétés de se prévaloir des avantages fiscaux prévus par cette directive ».
Contrariété à la liberté d'établissement
La directive ne fait pas écran…- Comme dans l'affaire Euro Park Service[9], relative à la Directive fusions, le Conseil d'Etat avait demandé à la CJUE s'il était possible d'apprécier la compatibilité du dispositif litigieux aux libertés fondamentales alors que ce dispositif s'inscrit dans la faculté offerte aux Etats membres par l'article 1er, paragraphe 2, de la Directive mère-fille.
Et, comme dans l'affaire Euro Park Service, la Cour applique le critère de l'« harmonisation exhaustive », dégagé à l'origine dans des affaires non fiscales[10] :
- soit la directive procède à une « harmonisation exhaustive » et la comptabilité de la règle nationale transposant cette directive ne peut être appréciée qu'au regard de la directive et non au regard des libertés de circulation ;
- soit la directive ne procède pas à une telle harmonisation et la compatibilité de la règle nationale peut être appréciée au regard de la directive mais aussi au regard des libertés de circulation.
Cette harmonisation s'appréciant article par article, tel n'est pas le cas de l'article 1er, paragraphe 2 de la Directive mère-fille, dans sa rédaction antérieure à 2015, qui, pour reprendre les termes de l'Avocat général dans ses conclusions, « n'oblige pas les Etats membres à adopter des mesures de lutte contre les abus, pas plus qu'elle ne définit exhaustivement des objectifs à atteindre ».
Le dispositif du 3 de l'article 119 ter pouvait dès lors être aussi confronté aux libertés fondamentales. Restait à déterminer quelle liberté.
Liberté d'établissement ou liberté de circulation des capitaux ?- Le Conseil d'Etat avait interrogé explicitement la CJUE sur le point de savoir si la conformité du paragraphe 3 de l'article 119 ter devait être appréciée au regard de la liberté d'établissement ou de la liberté de circulation des capitaux, dont une des particularités est de s'appliquer aussi aux situations impliquant des pays tiers. Notamment, le Conseil d'Etat se demandait si une société bénéficiaire de la distribution litigieuse pouvait se prévaloir de la liberté d'établissement lorsqu'elle était contrôlée par des résidents de pays tiers et que la chaîne de participations avait principalement pour objet de bénéficier de l'exonération de retenue à la source.
Appliquant sa grille d'analyse classique[11], la Cour estime, au regard de la participation détenue par la société mère dans sa filiale française distributrice, que la liberté d'établissement est invocable au cas d'espèce et pouvait être invoquée par la société requérante dès lors que « contrairement à ce que fait valoir le gouvernement français, la circonstance qu'une société mère résidente dans un Etat membre autre que la France est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats tiers ne prive pas cette société du droit de se prévaloir de cette liberté ».
La Cour réitère la position exprimée en 2014 dans sa décision Felixstowe[12] où, en réponse à l'argument selon lequel la liberté d'établissement ne pouvait pas être invoquée par des sociétés dont la mère ultime était une société résidente de Hong-Kong, elle avait considéré que cette circonstance était sans incidence sur l'applicabilité de la liberté d'établissement[13].
La Cour ne répond toutefois que partiellement au Conseil d'Etat qui invoquait, en sus du contrôle par des actionnaires résidents de pays tiers, la circonstance que la chaine de participations avait pour objectif principal de bénéficier de l'avantage fiscal tiré de l'exonération de retenue à la source. Autrement dit, l'abus de la liberté d'établissement, par l'interposition de la société mère à des fins principalement fiscales, fait-il obstacle à la possibilité d'invoquer cette liberté ? Comme dans l'affaire Cadbury-Schweppes[14], la Cour élude la difficulté et se contente de relever qu'au cas présent, la société mère étant établie dans l'Union européenne, elle peut se prévaloir de la liberté d'établissement, reléguant ainsi la question de l'abus à l'examen des justifications de l'atteinte éventuelle à la liberté d'établissement[15].
Existence d'une atteinte injustifiée à la liberté d'établissement.- Remarquant que, dans le cas de dividendes distribués à une société mère française contrôlée par des actionnaires résidents de pays tiers, l'exonération d'imposition de ces dividendes n'était pas subordonnée à la preuve que la chaîne de participations n'ait pas comme objet principal ou comme l'un de ses objets principaux de bénéficier de cette exonération, la Cour en déduit l'existence d'une différence de traitement au détriment d'une société mère résidente d'un autre Etat membre et donc d'une entrave à la liberté d'établissement, qui ne peut être justifiée selon la jurisprudence européenne que par une différence de situations ou par une raison impérieuse d'intérêt général.
Or, selon la Cour et conformément à une jurisprudence bien établie[16], une société mère résidente d'un autre Etat membre et une société mère résidente de France sont, au regard de la distribution de dividendes de leur filiale française, dans une situation comparable dès lors que la France exerce sa compétence fiscale à l'encontre de l'une et de l'autre.
Concernant une éventuelle justification sur le terrain des raisons impérieuses d'intérêt général, renvoyant à son analyse concernant la portée de l'article 1er, paragraphe 2, de la Directive mère-fille, la Cour rejette la justification avancée par le gouvernement français tirée de l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales[17] : une mesure comme le dispositif français litigieux, qui instaure une présomption générale de fraude lorsque la société bénéficiaire des dividendes est contrôlée par des actionnaires résidant en dehors de l'Union européenne, va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales…
Une portée historique, mais des interrogations pour l'avenir
La décision commentée met un terme aux interrogations quant à la compatibilité de l'article 119 ter, paragraphe 3, qui avaient été soulevées peu de temps après son adoption[18].
Au-delà de cet intérêt historique, sa portée est limitée aux contentieux en cours dans lesquels l'administration ne peut plus invoquer ce dispositif anti-abus pour justifier son refus d'admettre l'exonération de retenue à la source des dividendes distribués avant le 1er janvier 2016.
Pour les distributions effectuées depuis cette date, ce sont les dispositions du nouveau paragraphe 3 de l'article 119 ter, issues de la loi de finances rectificative pour 2015[19], qui s'appliquent :
« [l'exonération de retenue à la source] ne s'applique pas aux dividendes distribués dans le cadre d'un montage ou d'une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité [du dispositif d'exonération], n'est pas authentique compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents. Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties. Pour l'application du présent 3, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n'est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. »
Cette nouvelle version n'est que la transposition mot pour mot de la nouvelle clause anti-abus de la Directive mère-fille, issue d'une modification de 2015[20], qui ne prévoit plus une faculté pour les Etats membres mais, comme cela ressort des considérants introductifs, constitue une règle anti-abus commune minimale[21]. Et cette nouvelle règle pourrait bien être regardée, contrairement à la précédente, comme procédant à une « harmonisation exhaustive » empêchant le contrôle des mesures nationales de transposition au regard du droit primaire (libertés de circulation) [22]. A cet égard, dans la mesure où le nouveau paragraphe 3 de l'article 119 ter reprend le texte de la directive, il ne fait aucun doute qu'il est conforme au droit dérivé. Afin de confronter le dispositif au droit de l'Union européenne, il resterait alors au contribuable à invoquer devant le juge national l'illégalité de la directive au regard du droit primaire afin d'interroger la Cour par le biais d'une question préjudicielle en appréciation de validité.
Quelle sera alors la position du juge européen ? Interprètera-t-il la nouvelle clause anti-abus de la Directive mère–fille comme ne visant que les montages purement artificiels, alors que le législateur européen a voulu, en retenant le critère de « l'objectif principal ou d'un des objectifs principaux », aller au-delà de la jurisprudence de la Cour[23] ? Fera-t-il prévaloir au contraire le critère de « l'objectif principal ou d'un des objectifs principaux », y compris en dehors de l'interprétation des directives ? Ou appliquera-t-il, au détriment de l'homogénéité de la jurisprudence, l'un ou l'autre de ces critères selon que la question porte sur l'interprétation de la directive ou sur l'application des libertés fondamentales ? [24]
L'arrêt commenté, s'il répond à la question de la conformité de l'ancien article 119 ter, paragraphe 3, soulève ainsi de nombreuses interrogations compte tenu des évolutions récentes du droit dérivé, que ce soit la modification de la Directive mère-fille ou l'adoption de la Directive anti-évasion, couramment appelée « ATAD ».
Il y a fort à parier qu'il ne faudra pas attendre 25 années pour que le juge soit saisi de ces questions.
1 Dans deux affaires, la société française avait distribué des dividendes à sa société mère luxembourgeoise, détenue par une société suisse par l'intermédiaire d'une société chypriote (CE, 30 décembre 2015, n°374836, Holcim France SAS, venant aux droits de Euro Stockage, et Enka SA ; CE, 30 décembre 2015, n°374841, Holcim France SAS, venant aux droits de Atlantique négoce, et Enka SA). Dans la troisième affaire, la société française avait distribué des dividendes à sa société mère anglaise, détenue à travers une chaîne de participations passant par le Luxembourg et Gibraltar par une société située aux Iles Caïmans (CE, 30 décembre 2015, n°366268, Cameron France).
2 CJUE, 7 septembre 2017, C-6/16, Eqiom SAS et Enka SA, point 24
3 Rapport n°175 de la Commission des finances du Sénat relatif à la loi de finances rectificative pour 1991, article 18, p. 98 « Le paragraphe 2 de l'article premier de la Directive rappelle que ce texte communautaire ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et les abus. Sur cette base, le paragraphe 3 du nouvel article 119 ter du CGI introduit donc une véritable clause de sauvegarde. Il exclut du champ d'application de l'exemption de retenue à la source les distributions de dividendes effectuées au profit de personnes morales qui, tout en respectant l'ensemble des conditions précédentes, se trouvent en fait contrôlées directement ou indirectement par des personnes installées dans des Etats autres que ceux de la Communauté. Toutefois, dans une telle situation, la personne morale étrangère peut échapper à cette exclusion, si elle démontre que la chaîne de participations n'a pas pour objet principal de bénéficier de l'exonération de retenue à la source. »
4 CJUE, 7 septembre 2017, C-6/16, Eqiom SAS et Enka SA, points 22 à 28.
5 CJCE, 12 septembre 2006, C-196/04, Cadbury Schweppes. Dans cette affaire relative au dispositif anglais des « Controlled Foreign Companies », la Cour a considéré qu' « une mesure nationale restreignant la liberté d'établissement peut être justifiée lorsqu'elle vise spécifiquement les montages purement artificiels dont le but est d'échapper à l'emprise de la législation de l'Etat membre concerné ». Elle avait ainsi précisé que la nature purement artificielle du montage doit s'apprécier en prenant en compte l'objectif poursuivi par la liberté d'établissement, c'est-à-dire : - permettre à un ressortissant d'un Etat membre de créer un établissement secondaire dans un autre Etat membre pour y exercer ses activités et de favoriser ainsi l'interpénétration économique et sociale à l'intérieur [de l'UE] dans le domaine des activités non salariées ; - permettre à un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un Etat membre autre que son Etat membre d'origine et d'en tirer profit.
6 CJUE, 7 septembre 2017, C-6/16, Eqiom SAS et Enka SA, point 30.
8 Ibid. La formulation est proche de celle retenue dans l'arrêt Euro Park Service (CJUE, 8 mars 2017, C-14/16, point 56) : « (…) dans la mesure où la législation en cause au principal, afin d'accorder le bénéfice du report de l'imposition des plus-values en vertu de la directive 90/434 d'une manière systématique et inconditionnelle, exige que le contribuable démontre que l'opération concernée est justifiée par un motif économique et qu'elle n'a pas comme objectif principal ou l'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales, sans que l'administration fiscales soit tenue de fournir ne serait-ce qu'un commencement de preuve de l'absence de motifs économiques valables ou d'indices de fraude ou d'évasion fiscales, cette législation instaure une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales. »
9 CJUE, 8 mars 2017, C-14/16, Euro Park Service ; voir, Flora Sicard et Jérôme Ardouin, « Quel avenir pour l'agrément préalable en cas de fusion transfrontalière ? », LJF avril 2017
10 V. en ce sens CJCE, 12 octobre 1993, C-37/92, Vanacker et Lesage ; CJCE, 11 décembre 2003, C-322/01, Deutsche Apothekerverband ; et pour un exemple plus récent CJUE, 30 avril 2014, C-475/12, UPC DTH.
11 Selon la jurisprudence de la CJUE, la liberté à l'aune de laquelle une mesure nationale litigieuse doit être examinée dépend, en premier lieu, de l'objet de cette mesure. Si celle-ci s'applique aux seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions d'une société et d'en déterminer les activités, c'est la liberté d'établissement (CJCE, 13 mars 2007, C-524/04, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (Lafarge, Volvo, PepsiCo, Caterpillar)). Si la mesure s'applique à des participations prises dans la seule intention de réaliser un placement financier, c'est la libre circulation des capitaux (CJUE, 18 juin 2012, C-38/11, Amorim Energia). Lorsque l'objet de la mesure est indifférencié, la liberté pertinente sera déterminée en fonction de la situation d'espèce dans les relations entre Etats membres et, dans les relations avec les Etats tiers, à défaut pour la liberté d'établissement de pouvoir être invoquée, c'est la libre circulation des capitaux qui sera retenue indépendamment de la situation d'espèce (CJUE 13 novembre 2012, C-35/11, Test Claimants in the FII Group Litigation ; CJUE 10 avril 2014, C‑190/12, Emerging Markets).
12 CJUE, 1er avril 2014, C-80/12, Felixstowe Dock and Railway Company Ltd et autres, relatif au régime de groupe britannique qui subordonnait le transfert des pertes entre une société d'un consortium (cédante) et une société du groupe (réclamante) à la condition, supprimée à compter de 2010, que la société de liaison soit résidente du Royaume-Uni.
13 CJUE, 1er avril 2014, C-80/12, Felixstowe Dock and Railway Company Ltd et autres arrêt, point 40 : « (…) il ne résulte d'aucune disposition de droit de l'Union que l'origine des actionnaires (…) des sociétés résidant dans l'Union ait une incidence sur le droit de ces sociétés de se prévaloir de la liberté d'établissement ».
14 CJCE, 12 septembre 2006, C-196/04, Cadbury Schweppes, points 34 à 38. Dans cette affaire, la juridiction nationale avait demandé « si le fait pour une société établie dans un Etat membre de créer et de doter de capitaux des sociétés dans un autre Etat membre dans l'unique but de bénéficier du régime fiscal plus favorable en vigueur dans ce dernier Etat constitue un usage abusif de la liberté d'établissement ». Après avoir énoncé que « les ressortissants d'un Etat membre ne sauraient (…) se prévaloir abusivement ou frauduleusement des normes communautaires », la Cour retient : « toutefois, le fait qu'un ressortissant communautaire, personne physique ou morale, a entendu profiter de la fiscalité avantageuse en vigueur dans un Etat membre autre que celui dans lequel il réside n'autorise pas, à lui seul, à le priver de la possibilité d'invoquer les dispositions du traité. En ce qui concerne la liberté d'établissement, la Cour a déjà jugé que la circonstance que la société a été créée dans un Etat membre dans le but de bénéficier d'une législation plus avantageuse n'est pas, à elle seule, suffisante pour conclure à l'existence d'un usage abusif de cette liberté ».
15 V. aussi, concernant la création d'une société dans un Etat membre afin de créer une succursale dans un autre, CJCE, 9 mars 1999, C-212/97, Centros, cons. 17 et 18 : « il convient d'observer qu'une situation dans laquelle une société constituée selon le droit d'un Etat membre dans lequel elle a son siège statutaire désire créer une succursale dans un autre Etat membre relève du droit communautaire. Il est sans importance à cet égard que la société n'ait été constituée dans le premier Etat membre qu'en vue de s'établir dans le second où serait exercé l'essentiel, voire l'ensemble, de ses activités économiques. La circonstance que les époux Bryde ont constitué la société Centros au Royaume-Uni dans le but d'échapper à la législation danoise qui impose la libération d'un capital social minimal, qui n'a été contestée ni dans les observations écrites ni lors de l'audience, n'exclut pas non plus que la création par cette société britannique d'une succursale au Danemark relève de la liberté d'établissement au sens des articles 52 et 58 du traité. La question de l'application des articles 52 et 58 du traité est, en effet, distincte de celle de savoir si un Etat membre peut prendre des mesures pour empêcher que, en recourant aux possibilités offertes par le traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale. »
16 V. notamment, CJCE, 14 décembre 2006, C-170/05, Denkavit International et Denkavit France
17 Il convient de relever que le gouvernement français invoquait aussi, selon l'arrêt, comme justification l'objectif de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres. Toutefois, la Cour se contente d'énoncer que « l'objectif visant à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et celui visant à sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres sont liés » (point 63), avant de ne traiter que de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
18 Selon Bruno Gouthière, la Directive a été « interprétée par la France de manière particulièrement large, mais probablement en partie incorrecte » car, selon lui, « si la Directive avait entendu procéder à une telle exclusion, elle l'aurait expressément indiqué » de sorte que l'exclusion prévue par le paragraphe 3 de l'article 119 ter est critiquable dans la mesure où elle établit une discrimination en fonction de l'origine des capitaux qui composent les sociétés européennes, discrimination « probablement contraire au Traité de Rome » (Gouthière (B.), L'introduction de la Directive mère-fille en droit interne : France, Pays-Bas, Belgique, Bulletin Fiscal Lefebvre 3/92). De même, le Professeur Dibout soulignait que la formulation « particulièrement vague de l'article 119 ter 3 quant à l'appréciation des motifs de la constitution d'une chaîne de participation risqu[ait] de rendre extrêmement délicate l'administration d'une preuve pesant, ce qui est plutôt paradoxal, sur une personne morale non établie en France » (Dibout (P.), « Fiscalité communautaire (suite et fin) », La Semaine juridique Entreprise et Affaires, 18 février 1993, n°7). Plus récemment, le Professeur Berlin se demandait « si une disposition aussi générale, ou du moins posant une présomption aussi générale que l'article 119 ter paragraphe 3, ne serait pas contraire à l'interprétation restrictive que doit recevoir toute disposition de la Directive » (Berlin (D.), JCl. Europe Traité. Fasc. 1620 : Fiscalité directe – Régime société mère-filiale, dividendes et intérêts – régime fusion, scission, apport – ACCIS, régime fiscalité de l'épargne – Régime de la société européenne – Convention d'arbitrage).
19 Loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015, art. 29
20 Directive mère-fille 2011/96/UE, modifiée par la Directive (UE) 2015/121/UE du Conseil du 27 janvier 2015, art. 1 : « 1. (…). 2. Les Etats membres n'accordent pas les avantages de la présente directive à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité de la présente directive, n'est pas authentique compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents. Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties. 3. Aux fins du paragraphe 2, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n'est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. 4. La présente directive ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires pour prévenir la fraude fiscale ou les abus. »
21 Directive (UE) 2015/121/UE, considérants introductifs : « (3) Certains Etats membres appliquent des dispositions nationales ou conventionnelles visant à lutter, de manière générale ou spécifique, contre la fraude fiscale ou les pratiques abusives. (4) Néanmoins, ces dispositions peuvent présenter des degrés de sévérité différents et, en tout état de cause, elles sont conçues pour refléter les spécificités du régime fiscal de chaque Etat membre. En outre, certains Etats membres n'ont aucune disposition nationale ou conventionnelle visant à prévenir les abus. (5) En conséquence, l'insertion d'une règle anti-abus commune minimale dans la directive 2011/96/UE serait très utile pour éviter tout usage abusif de cette directive et faire en sorte qu'elle soit appliquée de façon plus cohérente dans les différents Etats membres. »
22 Il faut sans doute réserver les situations impliquant des sociétés mères résidentes d'un pays non-UE de l'Espace économique européen visées par l'article 119 ter mais qui ne relèvent pas de la Directive mère-fille : la contrariété aux libertés de circulation devrait pouvoir être invoquée.
23 Il ressort des travaux préparatoires à l'adoption de la directive modifiant la clause anti-abus de la Directive mère-fille que la question de la conformité à la jurisprudence de la CJUE du critère de l'objectif principal ou de l'un des objectifs principaux a été soulevée par certains Etats ainsi que par le service juridique de la Commission européenne mais, malgré ces objections, la formulation n'a pas été modifiée, les autres Etats souhaitant remettre en cause les restrictions posées par la CJUE.
24 Sur ces interrogations, v. Maitrot de la Motte (A.), « Les clauses anti-abus et de le droit de l'Union européenne », Droit fiscal n°13, 31 mars 2016, comm. 257
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