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Juridique

Incendie et bail commercial : un régime spécial de responsabilité

12/04/2018

Magali Serror Fienberg - Quentin Rousseau

L'incendie de la chose louée est un sujet d'une importance particulière qui n'attire pourtant l'attention qu'une fois l'incendie survenu...
Bien qu'aujourd'hui délaissé des négociations et discussions contractuelles au profit d'autres éléments essentiels du bail, le régime posé par les articles 1722, 1733 et 1741 du Code civil figure pourtant parmi les vestiges du « Code civil des Français »#1.

L'article 1733 pose le principe d'une présomption de responsabilité du locataire tandis que les articles 1722 et 1741 tirent les conséquences de la destruction ou de la perte de la chose louée.

En l'absence de dispositions spécifiques dans les différents régimes des baux, ces articles ont vocation à s'appliquer aux différentes situations locatives (quelque que soit la nature du bail - civil, commercial, etc.).

Le rédacteur d'acte doit nécessairement anticiper/s'approprier la mécanique posée par le Code civil en matière d'incendie s'il souhaite donner toute son expression aux clauses qu'il rédige pour son client.

L'étude du régime des responsabilités en matière d'incendie s'articule ainsi, d'une part, autour de la présomption de responsabilité qui pèse sur le locataire et, d'autre part, autour des conséquences de l'incendie sur la poursuite des relations contractuelles entre les parties.

Nous consacrerons les lignes qui suivent à la présomption légale de responsabilité en cas d'incendie de la chose louée avant d'aborder dans un prochain article les effets de l'incendie sur la poursuite du bail.

Le principe : présomption de responsabilité du locataire
Les quatre premiers mots de l'article 1733 du Code civil: « il répond de l'incendie », sont lourds de sens et déterminent les éléments essentiels de cette présomption.

Un peu de sémantique à titre liminaire :
- « il » : pour identifier la partie visée, il faut remonter à l'article 1731 du Code civil, dernier article à aborder nommément l'une des parties au bail. La lecture combinée de ces textes permet de comprendre que c'est le locataire#2, qui est présumé responsable en cas d'incendie.
Le jeu de cette présomption est lié à l'existence d'un lien contractuel#3. Aussi, dans l'hypothèse d'une sous-location, la présomption pèsera sur le sous-locataire au bénéfice du locataire principal#4, et sur le locataire principal au bénéfice du bailleur sans que le sous-locataire ne soit présumé responsable vis-à-vis du bailleur#5.

- « incendie » : la notion renvoie, selon le Professeur Cornu, à l'« embrasement d'une chose […] entraînant sa destruction partielle ou totale sous l'action directe d'un feu susceptible de se propager »#6. Toutefois, la Cour de cassation applique les dispositions de l'article 1733 y compris lorsque l'incendie n'est pas le fait générateur de la destruction. Elle a ainsi admis que l'incendie, qui n'était que la conséquence d'une explosion, permettait au bailleur de bénéficier de la présomption de responsabilité même si l'incendie n'était pas à l'origine du sinistre#7.

Pour que le bailleur bénéficie de cette présomption encore faut-il que l'incendie trouve sa source dans la chose louée ou ses accessoires#8.

Une présomption mixte de responsabilité
L'article 1733 du Code civil précise que le locataire répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve que l'incendie est arrivé :
- par cas fortuit ou force majeure. Ce serait notamment le cas :

- de l'incendie causé par un cambrioleur introduit dans les lieux#9.
- d'un faisceau d'indices permettant de déduire que l'incendie est dû au fait d'un tiers#10.

Toutefois, il a été retenu que le cas fortuit n'était pas caractérisé lorsque l'incendie trouvait sa cause dans un défaut électrique d'une machine à glaçon appartenant au locataire et située dans les locaux loués#11.

- par vice de construction. La jurisprudence a adopté une conception extensive de la notion de vice de construction, au sens de l'article 1733 du Code civil, en retenant notamment :

- l'extrême vétusté de l'installation électrique aggravée par des fuites en toiture lesquels vices étaient antérieurs à la signature du bail#12.
- le défaut d'entretien imputable à un bailleur#13.

Ces hypothèses semblent se rapprocher de l'obligation de délivrance du bailleur et permettent d'éviter que ce dernier ne profite de sa propre turpitude pour obtenir une indemnisation.

- ou que le feu a été communiqué par une maison voisine. La jurisprudence a eu l'occasion de retenir cette hypothèse lorsque l'incendie a pris naissance :

- dans un local à poubelles condamné#14.
- dans une poubelle située dans le local à poubelles de la copropriété#15.


A défaut de démontrer un de ces cas, le locataire sera tenu pour responsable et supportera l'ensemble des conséquences juridiques et financières (sous réserve de l'étendue des garanties assurantielles qu'il aura souscrites#16).

En pratique, le recours à une expertise est fréquent pour déterminer si l'une de ces causes d'exonération peut être accueillie dans la mesure où les conséquences, principalement financières, peuvent s'avérer importantes.

Il peut s'agir d'une expertise judiciaire sollicitée en référé ou devant le juge de la mise en état dans le cadre d'une procédure au fond, ou a minima d'une expertise diligentée par des experts privés mandatés par les assureurs respectifs des parties.

Afin d'évacuer un tel débat technique, les parties peuvent prévoir opportunément dès la conclusion du bail, de recourir aux services d'un expert amiable désigné d'un commun accord ou à défaut par le Président de la juridiction désignée. Cet expert aura pour mission de rechercher les causes du sinistre et d'en tirer toutes conséquences utiles et ce, dans un calendrier contractuel établi dès l'origine. Toutefois, le processus judiciaire restera nécessaire si l'expertise doit être rendue opposable à un tiers au bail.

Une présomption susceptible d'aménagements

Des aménagements légaux et jurisprudentiels pour tenir compte de la variété des situations locatives

L'article 1734 traite du cas où plusieurs locataires occupent le même immeuble et des rapports de responsabilité qui peuvent en découler. Ainsi, il dispose que « s'il y a plusieurs locataires, tous sont responsables de l'incendie, proportionnellement à la valeur locative de la partie de l'immeuble qu'ils occupent. ».
A l'origine, il était prévu un régime de responsabilité solidaire entre les locataires d'un même immeuble. Ce n'est que par la loi du 5 janvier 1883#17 que le législateur y a substitué une obligation proportionnelle et divise#18.

Le Code civil prévoit deux causes d'exonération :
- soit il est démontré que l'incendie a commencé dans les locaux de l'un d'eux, auquel cas seul ce locataire sera tenu responsable,
- soit certains locataires parviennent à prouver que l'incendie n'a pu commencer chez eux.

Par ailleurs, la situation dans laquelle le bailleur partage le local loué avec son locataire est un exemple atypique auquel la jurisprudence a également apporté une réponse puisque non seulement la présomption de l'article 1733 du Code civil perd de son sens mais il ne s'agit pas non plus d'une location multiple au sens de l'article 1734 du Code civil. Dans une pareille hypothèse, la jurisprudence écarte la présomption de responsabilité du (ou des) locataire(s) non bailleur#19 sous réserve que la jouissance ou l'occupation du propriétaire bailleur soit bien caractérisée#20.

Des aménagements conventionnels à la présomption de responsabilité du locataire
Les dispositions des articles 1733 et 1734 du Code civil n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent y déroger contractuellement afin d'organiser, réduire ou même supprimer cette présomption de responsabilité du locataire.

Il serait donc possible d'écarter la présomption de responsabilité du locataire ou au contraire de l'étendre en supprimant les causes légales d'exonération, par exemple. Ces aménagements conventionnels auront néanmoins pour limite la faute dolosive ou la faute lourde de la partie exonérée.

Dans la pratique, ces clauses aménageant les responsabilités sont peu fréquentes dans la mesure où bailleur et locataire ont tendance à se focaliser sur les conséquences des destructions mentionnées à l'article 1722 du Code civil sans pour autant véritablement s'attarder sur le mécanisme de présomption posé par l'article 1733.

C'est pourtant bien au regard de cette présomption que les conséquences de l'incendie sur le bail vont être déterminées, la simple dérogation contractuelle aux dispositions de l'article 1722 du Code civil est donc loin d'être suffisante pour maîtriser les conséquences d'un incendie sur le bail !

Artcile à paraître dans le numéro de septembre 2018 de l'AJDI (Actualité Juridique - Droit immbilier)

1 Titre VIII du Code civil des Français Décrété le 16 Ventôse an XII.

2 L'occupant en vertu d'un autre titre qu'un contrat de bail est également débiteur de la présomption de responsabilité. C'est ainsi que la Cour de cassation retient que « l'occupation contractuelle des lieux moyennant une contrepartie, fut-ce à titre temporaire, soumet l'occupant a la présomption de responsabilité prévue a l'article 1733 du code civil ; » - Cass, 3ème civile, 2 juin 1977, n° 75-15.440 – et, dans une seconde espèce, que « l'occupation contractuelle des lieux moyennant une contrepartie, fut-ce a titre précaire, soumet l'occupant a la présomption de responsabilité en cas d'incendie prévue a l'article 1733 du code civil; » - Cass, 3ème civile, 28 octobre 1975, n° 74-11.752.

3 Cass, 2ème civile, 2 mars 2017, n° 16-11.715.

4 Cass, 3ème civile, 23 mai 2012, n° 11-17.183.

5 Cass, 3ème civile, 7 juillet 2016, n° 15-12.370 et 15-16.263 ; Cass, 3ème civile, 24 janvier 2007, n° 06-13.028 et 06-14.253.

6 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Puf, 2016.

7 Cass, 3ème civile, 10 mars 2010, n° 09-10.736 ; Cass, 3ème civile, 30 mai 1990.

8 Cass, 1ère civile, 10 juillet 2001, n° 98-16.687.

9 Cass, 3ème civile, 5 novembre 2014, n° 13-20.186 ; Cass, 3ème civile, 4 juin 2013, n° 12-20.654 ; Cass, 3ème civile, 13 novembre 2012, n° 11-16.123 et 11-24.777 ; Cass, 3ème civile, 2 octobre 2012, n° 11-21.589 ;

10 Cass, 3ème civile, 8 octobre 2015, n° 14-19.477.

11 Cour d'appel de Pau, 12 Novembre 2012 – n° 11/00274.

12 Cass, 3ème civile, 25 mars 2014, n° 12-35.268 ; a contrario pour le cas d'un transformateur mal localisé ayant favorisé la propagation rapide du feu sans constituer un vice de construction : Cass, 3ème civile, 27 novembre 2002, n° 01-12.403 ; voir aussi pour une défectuosité du conduit de cheminée : Cass, 3ème civile, 1er juillet 2003, n° 01-12.046.

13 Cass, 3ème civile, 15 juin 2005, n° 04-12.243.

14 Cour d'appel de Lyon, 7 Mars 2017, n° 15/06841.

15 Cour d'Appel de Paris, 27 octobre 1998, n° 97/12143 ; Cour d'appel de Lyon, 7 Mars 2017, n° 15/06841.

16 Cass, 2éme civile, 18 mai 2017, n° 16-12.467 ; Cass, 3ème civile, 1er décembre 2016, n° 13-20.524 ; Cass, 3ème civile 9 novembre 2010, n° 09-69.910.

17 Loi tendant à modifier l'article 1734 du Code civil, relatif aux risques locatifs – JORF du 7 janvier 1883 page 105.

18 Cass, 3ème civile, 4 juin 1889 Bulletin civil civile n° 219 p. 366.

19 Cass, 3ème civile, 23 juin 2015, n° 14-18.072 ; Cass, 3ème civile, 22 novembre 2011, n° 10-27.924 ; Cass, 9 décembre 2009, n° 08-21.592 ; Cass, 3ème civile, 2 avril 2003, n° 01-11.269 ; Cass, 3ème civile, 15 février 1995, n° 92-19.913.

20 Cass, 3ème civile, 1er octobre 2003, n° 02-11.557.