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Fiscalité des entreprises

Etablissements stables et commentaires OCDE : la lune de miel s’étendra-t-telle à l’allocation des bénéfices ?

06/05/2021

Benoit Gabelle, Sandrine Bernu, Alexandre Chaussat

Dans une décision de plénière fiscale rendue le 11 décembre 2020[1], le Conseil d’Etat s’est inspiré des commentaires OCDE pour reconnaitre l’existence d’un établissement stable en France. Cette décision ne règle toutefois pas l’affaire, laissant en suspens la question de l’allocation des bénéfices à l’établissement stable ainsi découvert.

Une décision épousant les contours évolutifs des commentaires de la convention modèle de l’OCDE

Le Conseil d’Etat a décidé que, pour l’application de la convention franco-irlandaise du 21 mars 1968, doit être considérée comme l’agent non indépendant d’une société irlandaise la société française qui, de manière habituelle, décide de transactions que la société irlandaise se borne à valider et qui l’engagent, même si la société française ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société irlandaise. Le débat ayant porté jusque-là sur la caractérisation de l’établissement stable, qui n’a pas été retenue par les juges du fond, la question de la détermination du résultat fiscal devant être alloué à l’établissement stable n’a pas été soulevée.

Au cas d’espèce, l’administration fiscale française avait considéré que l’ensemble des éléments factuels (i.e., prospection et négociation commerciale, établissement des contrats, conseil et conception des campagnes publicitaires, réalisation technique des prestations facturées, suivi des campagnes et de leurs résultats, l’établissement des factures et gestion des litiges et des encaissements) permettait de conclure que l’activité de la société Valueclick International sur le territoire français était de fait effectuée par la société Valueclick France, au-delà des clauses du contrat de prestations de services conclu entre les deux sociétés. Selon l’administration, le siège social de la société Valueclick International en Irlande ne serait en réalité en charge de la facturation et de la signature des contrats, la négociation des contrats, leur conclusion et la réalisation effective des prestations facturées étant portées par la société française.

Contrairement aux juges du fond, le Conseil d’Etat a reconnu l’existence d’un établissement stable agent dépendant de la société irlandaise. Pour ce faire, se démarquant de sa jurisprudence établie depuis la décision Andritz[2], le Conseil d’Etat a pris en considération, de façon explicite, les paragraphes 32.1 et 33 des commentaires au Modèle de convention établi par l’OCDE publiés respectivement le 28 janvier 2003 et le 15 juillet 2005, soit postérieurement à la convention fiscale franco-irlandaise signée le 21 mars 1968. Il s’est ainsi appuyé sur les commentaires de la convention modèle de l’OCDE postérieurs à la conclusion de la convention applicable afin d’interpréter les dispositions de celle-ci et d’étendre la notion d’agent dépendant, facilitant ainsi la caractérisation d’un établissement stable[3].

Ce contexte conventionnel interroge sur la solution que le Conseil d’Etat pourrait rendre, dans des situations analogues, à l’égard des « pays de siège » de groupes de l’industrie numérique ayant opté pour l’exclusion de l’article 12 de l’instrument multilatéral (les Etats-Unis, les Pays Bas, et le Royaume-Uni réunissent à titre d’exemples ces deux caractéristiques).

Cette prise en considération de commentaires OCDE postérieurs à la convention fiscale applicable était pourtant jusque-là rejetée par le Conseil d’Etat, en particulier quant à la question spécifique de l’allocation de profits à un établissement stable. En effet, le juge refusait de valider des redressements fondés sur une application rétroactive de l’Approche Autorisée de l’OCDE (« AAO ») consacrée par la révision du Modèle de convention de l’OCDE en 2010, en présence de situations régies par des conventions bilatérales antérieures[4].

La question de l’allocation des bénéfices à l’établissement stable

Les pratiques des pays de l’OCDE et des pays non-membres concernant l’attribution de bénéfices aux établissements stables et leur interprétation de l’article 7 faisaient historiquement apparaître des différences importantes. Afin d’y remédier, les travaux du Comité des affaires fiscales de l’OCDE ont abouti en 2008, à la publication du « Rapport sur l’attribution de bénéfices aux établissements stables ». L’OCDE a par la suite publié entre 2008 et 2018 de nombreux commentaires consacrant la prise en compte du principe de pleine concurrence pour les besoins de l’allocation de bénéfices à un établissement stable[5].

La première étape préconisée par l’AAO est de considérer un établissement stable comme une entreprise fonctionnellement distincte et indépendante en identifiant de manière précise les fonctions exercées, actifs mis en œuvre et risques assumés à son niveau.

Dans le cadre de cette approche, les bénéfices à imputer à un établissement stable sont ainsi ceux que cet établissement aurait perçus, dans des conditions de pleine concurrence, s'il avait été une entité fonctionnellement distincte de son siège, en tenant compte des fonctions humaines significatives exercées, des actifs détenus et des risques contrôlés à son niveau, mais aussi des transactions internes pouvant être caractérisées entre l’établissement et son siège[6].

Le recours par le juge à l’AAO[7] afin de déterminer le résultat fiscal devant être alloué à un établissement stable dépend-il de la date à laquelle a été conclue la convention fiscale avec la France, ou de la date à laquelle a été modifié l’article relatif aux bénéfices des entreprises ? Ou les évolutions des commentaires de l’OCDE, mêmes postérieures au texte conventionnel applicable, seront-elles prises en compte par le juge de l’impôt, par souci de cohérence avec la prise en compte de commentaires postérieurs pour les besoins de la caractérisation d’un établissement stable ? Cette dernière solution viendrait le cas échéant remettre en cause la position retenue dans les décisions Banque AIG, Banca di Roma et Bayerische Hypo und Vereinsbank[8].

Dans l’affaire Conversant, l’administration fiscale française a, dans le cadre de la procédure de taxation d’office, reconstitué les recettes de l’établissement stable en prenant en compte l’ensemble des sommes encaissées sur les comptes bancaires français de la société irlandaise. A ces produits reconstitués, l’administration fiscale a déduit un montant forfaitaire de 80 %. Une reconstitution du résultat fiscal égale à 20 % du chiffre d’affaires de l’établissement stable semble anormalement élevé au regard de l’activité de l’établissement stable caractérisé en l’espèce : une allocation de bénéfice appréciée au moyen d’un benchmark aurait probablement conduit à un montant moindre que celui retenu.

Le règlement de l’affaire au fond sera peut-être l’occasion pour le juge d’apporter des précisions sur l’approche à retenir.

Quelles recommandations ?

Quoi qu’il en soit, dans la perspective d’une allocation de profits, la décision Conversant met en lumière la nécessité de sécuriser les politiques de prix de transfert en s’assurant de respecter les deux étapes préconisées par l’AAO.

En premier lieu, il convient de réaliser une analyse fonctionnelle et factuelle afin de valider la localisation des fonctions humaines significatives entre le siège et son établissement, c’est-à-dire celles ayant le contrôle et la gestion des risques et actifs clés. De plus, et en particulier dans le cadre de services fournis de manière dématérialisée, il convient de se demander si un client pourrait légitimement penser que le service reçu est fourni par une entité française. Le juge de l’impôt a d’ores et déjà intégré ces éléments dans l’appréciation des situations fiscales des contribuables. Sur cette base, par analogie avec une situation comparable entre tiers, une délimitation de l’ensemble des transactions internes existant entre un siège et ses succursales s’impose.

Dans un second temps, suivant les indications fournies dans les Principes Directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert, il convient de réaliser une analyse de comparabilité avec les pratiques d’opérateurs indépendants pour déterminer le prix de pleine concurrence de ces transactions.

La décision Conversant, qui peut être lue à la lumière des propositions de refonte des règles de la fiscalité internationale prévue par les Piliers 1 et 2 de l’OCDE, ainsi que des projets en suspens au niveau européenne de reconnaissance d’établissements stables virtuels, révèle les enjeux fiscaux des entreprises numériques et notamment ceux lié à l’importance de la relation avec le consommateur, ou « consumer-facing businesses », notion au cœur du projet BEPS 2.0. Que ce soit en matière de caractérisation d’un établissement stable, ou de détermination des bénéfices de celui-ci.


[1] CE plén., 11 décembre 2020, n° 420174, min. c/ Société Conversant International Limited

[2] CE, 23 décembre 2003, n° 233894, SA Andritz

[3] La société Valueclick, devenue Conversant, avait son siège en Irlande, juridiction ayant opté pour la non-ratification de l’article 12 de l’instrument multilatéral de l’OCDE. L’objectif de cet article était d’élargir la notion d’agent dépendant prévue par les anciens modèles de conventions fiscales bilatérales de l’OCDE.

[4] CE, 17 juin 2015, n° 369722, min. c/ Banque AIG SA ; CE, 11 avril 2014, n° 346687, Banca di Roma ; CE, 11 avril 2014, n° 344990, Bayerische Hypo und Vereinsbank AG ; CE, 11 avril 2014, n° 359640, Caixa Geral de Depositos

[5] Voir not., l’AAO et l’article 7(2) du modèle OCDE

[6] Commentaires de l’article 7(2) de la convention modèle OCDE de 2010, para. 15 et s.

[7] Telle que réaffirmée dans les « Instructions supplémentaires sur l’attribution de bénéfices à un établissement stable dans le cadre de l’Action 7 du Plan d’action BEPS »

[8] CE, 17 juin 2015, n° 369722, min. c/ Banque AIG SA ; CE, 11 avril 2014, n° 346687, Banca di Roma ; CE, 11 avril 2014, n° 344990, Bayerische Hypo und Vereinsbank AG

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