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Fiscalité des particuliers
Efficacité du contrôle fiscal et protection des contribuables : la perpétuelle recherche d’un équilibre des armes*
Jean-Pierre Lieb - Guillaume Exerjean
En dix ans, l'accroissement des pouvoirs de l'administration fiscale ne s'est pas accompagné d'un renforcement symétrique des droits des contribuables. Or, les projets de loi ESSOC et de lutte contre la fraude actuellement en discussion accentuent ce déséquilibre sans s'interroger plus fondamentalement sur l'effectivité de ce durcissement.
A l'heure où les élus du pays se penchent sur les projets de loi pour un Etat au service d'une société de confiance (ESSOC) et de lutte contre la fraude, il apparaît opportun de porter un regard analytique sur dix ans de rapports entre l'administration fiscale et les contribuables.
Dix ans parce qu'en juin 2008, la commission présidée par Olivier Fouquet remettait au gouvernement un rapport contenant une série de propositions visant à améliorer la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les contribuables.
Pour autant, plus des trois quarts des mesures de procédure fiscale votées dans la décennie qui a suivi ont conduit à un renforcement des moyens d'enquête et de l'arsenal répressif de l'administration.
L'accroissement des pouvoirs de contrôle de l'administration
De manière légitime, l'Etat s'est doté d'instruments plus nombreux et plus puissants pour préserver ses intérêts et réprimer la fraude.
En ce sens, la décennie passée a acté un accroissement sans précédent des sources d'informations mises à la disposition de l'administration fiscale, que ce soit à travers les échanges automatiques d'informations entre administrations fiscales des différents Etats ou grâce aux obligations de communication de plus en plus nombreuses pesant sur les contribuables et sur leurs partenaires d'affaires.
Le traitement informatique des données permet, à travers notamment le data-mining, l'exploitation de plus en plus fine des données ainsi collectées, ce qui entraine un ciblage toujours plus efficace des contrôles fiscaux à initier.
Par ailleurs, les délais de reprise n'ont eu de cesse au cours de la décennie passée d'être allongés par le législateur lorsqu'ils étaient déjà en faveur de l'administration et d'être réduits lorsqu'ils étaient pourtant en faveur du contribuable.
Au risque fiscal se superpose enfin le risque pénal dont l'effet est accru par un renforcement des sanctions et des moyens d'enquête, comme en témoigne la création du parquet national financier. Depuis 2009, la procédure judiciaire d'enquête fiscale permet même à l'administration fiscale, sous certaines conditions, de saisir la Commission des infractions fiscales sans en informer le contribuable.
Les contribuables et leurs droits, grands oubliés de la décennie
Tantôt au nom d'une politique budgétaire plus stricte, tantôt au nom de la lutte contre la fraude, le renforcement des moyens du contrôle fiscal n'a pas été vu comme l'occasion de moderniser les règles de procédure de façon symétrique, c'est-à-dire avec le souci d'assurer une meilleure protection des droits des contribuables.
On constate en effet un faible allégement des sanctions (non-application des intérêts de retard dans certains cas, diminution des peines pour fraude fiscale sous certaines conditions), l'ouverture de deux voies de recours (l'une contre l'ordonnance du juge autorisant les opérations de visite et de saisie, l'autre contre le refus de rescrit) et enfin de modestes évolutions en matière de sécurité juridique (comme par exemple l'opposabilité de la doctrine administrative en matière de recouvrement).
Certes, le projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance a consacré un droit à l'erreur de portée générale mais dont l'application au domaine fiscal est exclue.
Deux projets de loi qui en réalité accentuent ce déséquilibre
A cette aune, les deux projets de textes en cours d'examen ne risquent guère de renverser la tendance. Si les deux dispositions fiscales phares du projet ESSOC vont assurément dans le bon sens, soulignons que la garantie fiscale était une mesure préconisée par Olivier Fouquet il y a dix ans et la relation de confiance est en test depuis plus de cinq ans. En revanche, le projet de lutte contre la fraude risque d'ajouter de nombreuses nouvelles dispositions. Deux champs semblent être privilégiés : d'une part le volet de la transparence avec notamment l'instauration de sanctions administratives à l'égard des tiers fournissant des prestations permettant directement la fraude fiscale ou sociale, ou la définition des modalités précises de mise en œuvre de la transmission automatique des revenus générés par les utilisateurs des plateformes d'économie collaborative et d'autre part, le champ pénal avec la création d'une police fiscale, l'extension à la fraude fiscale de la procédure de comparution immédiate sur reconnaissance de culpabilité (CRPC), dite de « plaider coupable » et les modifications en profondeur des modalités de dépôt de plainte pour fraude fiscale.
Il est plus que temps de prendre du recul face à ces évolutions et de s'interroger sur l'efficacité de ces instruments.
Les résultats du contrôle fiscal : une image trompeuse ?
Or, force est de constater que l'évaluation de l'efficacité du contrôle est rendue difficile par une information publique parcellaire.
Ainsi, si le montant des droits et pénalités réclamés a augmenté d'environ 18% en euros constants de 2008 à 2015, cette hausse après 2013 s'explique en premier lieu par les résultats du service de traitement des déclarations rectificatives qui représentait environ 12 % des recettes annuelles.
En parallèle, le pourcentage de contrôles réprimant les fraudes les plus caractérisées a stagné et le nombre de perquisitions a diminué, afin de se concentrer sur des entreprises de grande taille.
Enfin, maillon faible de la chaîne de contrôle, le taux de recouvrement est resté stable mais globalement faible oscillant autour de 50 % durant la décennie.
N'est-il pas temps d'arrêter d'empiler les mesures et d'avoir un vrai débat démocratique sur l'effectivité des armes et de la stratégie de l'administration tout en se penchant sur la manière dont l'administration peut davantage incarner les principes de loyauté, de transparence et de proportionnalité au service d'un meilleur civisme fiscal ?
* Article publié dans Option finance