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Fiscalité des entreprises
Dégrèvements d’impôts et intérêts moratoires : accessorium sequitur principale
Charles Ménard, Victor Grule
Dans cette affaire que nous avions déjà eu l'occasion de commenter lors de la publication de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles#1, la société Macif a fait l'objet de rappels de taxe sur les conventions d'assurance assortis d'intérêts de retard au titre des exercices 1997 à 1999. Suite à leur mise en recouvrement en 2002, ces rappels d'imposition et intérêts de retard ont été déduits du bénéfice imposable de cet exercice. En 2006, la société a obtenu du juge judiciaire le dégrèvement de l'ensemble des sommes mises à sa charge ainsi que le versement d'intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.
Aucune disposition législative ne faisant obstacle à la déduction de la taxe sur les conventions d'assurance du résultat imposable, la société a symétriquement inclus les sommes correspondant au dégrèvement de cette taxe dans ses bases imposables à l'impôt sur les sociétés de l'exercice 2006, à l'exception des intérêts de retard et des intérêts moratoires.
Suite à une nouvelle vérification de comptabilité portant sur l'exercice 2006, l'administration a réintégré ces intérêts moratoires et intérêts de retard dans le résultat imposable de la société.
La société a tout d'abord contesté sans succès ces rectifications devant le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 29 juin 2015, n° 1311929, Sté Macif) avant d'en obtenir la décharge complète devant la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 15 novembre 2016, n° 15VE02777, Sté Macif).
Nous ne reviendrons pas sur les motifs ayant conduit la cour administrative d'appel de Versailles à prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelle et sociale auxquelles la société a été assujettie au titre de l'exercice 2006, résultant de la réintégration dans son résultat imposable des intérêts de retard mentionnés ci-dessus puisque le raisonnement de la cour sur ce point n'a pas été contesté par le ministre devant le Conseil d'Etat.
Ainsi, l'unique question sur laquelle le Conseil d'Etat a été appelé à se prononcer est de savoir quel traitement fiscal doit s'appliquer aux intérêts moratoires versés à raison du dégrèvement d'une imposition.
Aux termes de la doctrine administrative#2 en vigueur au moment des faits, faisant référence à une décision du Conseil d'Etat#3 :
« Le Conseil d'Etat établit pour principe que les intérêts moratoires constituent un élément accessoire et indissociable de l'obligation principale dont ils permettent l'actualisation permanente.
Lorsque l'obligation principale consiste en un paiement de revenu imposable, les intérêts moratoires sont eux-mêmes imposables dans la même catégorie de revenus que le principal.
Inversement, quand le principal n'a pas la nature d'un revenu imposable, les intérêts moratoires sont affranchis d'impôt sur le revenu. Tel est le cas : - des intérêts moratoires, liquidés au taux du droit civil, versés conformément à l'article L 208 du LPF en sus du remboursement des droits primitivement acquittés par le contribuable, lorsque l'administration opère un dégrèvement d'impôts. Toutefois, les intérêts moratoires dont sont assortis les dégrèvements d'impôts demeurent imposables si les droits dégrevés le sont, ce qui est le cas lorsqu'il s'agit d'impositions antérieurement admises dans les charges déductibles (…) ».
Bien qu'apportées dans la division consacrée aux revenus de capitaux mobiliers, gains et profits assimilés, l'administration considérait que ces précisions valaient prise de position à l'égard de l'ensemble des dégrèvements d'impôt susceptibles d'ouvrir droit à versement d'intérêts moratoires au profit du contribuable.
Le Service en a donc tiré la conséquence que les intérêts moratoires versés à raison du dégrèvement de rappels de taxe sur les conventions d'assurance devaient être imposés dès lors que la restitution de ces rappels, admis antérieurement en déduction du résultat imposable de la société, constituait elle-même un produit imposable.
Devant la cour administrative d'appel, l'appelante ne contestait pas le raisonnement suivi par l'administration (sa contestation était fondée sur le fait que la taxe n'était pas à sa charge mais à celle des assurés, constatation sans incidence sur sa qualité de redevable légal de cette taxe) et c'est donc par la voie d'un moyen soulevé d'office que la cour administrative d'appel a finalement conclu au bien-fondé de principe de la non-imposition des intérêts moratoires :
« (…) en tout état de cause, la circonstance que les taxes sur les conventions d'assurance constitueraient, en vertu des dispositions du 4° du 1 de l'article 39 du [CGI], une charge déductible – effectivement déduite en l'espèce – des bénéfices imposables de l'entreprise l'année de leur acquittement et, symétriquement, un produit à imposer l'année de leur restitution, demeure sans incidence sur le caractère non imposable d'intérêts moratoires versés au titre d'un impôt indument acquitté »#4.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour avait suivi son rapporteur public qui avait tout d'abord constaté que le 4° du 1 de l'article 39, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, rendait imposables les dégrèvements d'impôt admis antérieurement en déduction et ne concernait donc pas les intérêts moratoires qui ne sont pas des « dégrèvements ».
Il s'était ensuite interrogé sur la pertinence de la transposition par la doctrine administrative aux intérêts moratoires consécutifs à un dégrèvement de la solution retenue par le Conseil d'Etat dans sa décision précitée à l'égard des intérêts moratoires afférents à des indemnités.
Plus précisément, le rapporteur public avait relevé que « l'imposition des dégrèvements accordés au contribuable n'est en effet justifiée que par le fait que ce même contribuable a pu déduire en charges les cotisations supplémentaires qui lui ont été assignées ». Or, les intérêts moratoires visés à l'article L 208 du LPF « ne sont pas le pendant d'une somme qui aurait été déduite par le contribuable, mais la seule réparation du préjudice subi par ce dernier du fait d'une décision d'imposition indue ».
Le Conseil d'Etat était donc appelé à se prononcer sur le raisonnement suivi par la cour administrative d'appel de Versailles visant à soustraire les intérêts moratoires du résultat imposable d'une société même dans l'hypothèse où ces intérêts accompagneraient des dégrèvements d'impôts devant eux-mêmes être compris dans ce résultat.
La décision
Le Conseil d'Etat a infirmé l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel, jugeant qu'en vertu des articles 39, 1, 4° et 2 du Code général des impôts et L. 208 du livre des procédures fiscales, « les intérêts moratoires assis sur des impositions dégrevées, qui ont pour seul objet de tenir compte de la durée pendant laquelle le contribuable a été privé des sommes correspondantes et dont ils ne sont ainsi que l'accessoire, doivent être soumis au même régime fiscal que ces dégrèvements ».
En conséquence, contrairement à la solution retenue par la cour administrative d'appel de Versailles, le Conseil d'Etat juge que « lorsque des impositions restituées à une entreprise sont incluses dans son résultat imposable, les intérêts moratoires qui lui sont versés en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales doivent également être soumis à l'impôt ».
Par cette décision, le Conseil d'Etat fait application de l'adage « accessorium sequitur principale » en jugeant que les intérêts moratoires doivent être considérés comme l'accessoire des sommes dégrevées et suivre le même régime fiscal que celles-ci.
Cette décision transpose aux intérêts moratoires versés à la suite d'un dégrèvement le raisonnement tenu par le Conseil d'Etat dans la décision de 1992 précitée à l'égard des intérêts moratoires attachés à la perception d'indemnités : les intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du LPF suivent le régime fiscal applicable aux dégrèvements d'impôts qui les causent.
Dès lors, le caractère imposable d'intérêts moratoires dépendra de l'impôt dégrevé :
- Si l'imposition en cause n'est pas déductible du résultat imposable en application du 4° du 1 de l'article 39 du CGI ou d'une autre disposition du CGI, et que le dégrèvement n'est donc, corrélativement, pas imposable, les intérêts moratoires y afférents ne seront pas imposables;
- En revanche, si l'imposition en question est, comme dans l'affaire en cause, déductible du résultat imposable, et que le dégrèvement est, corrélativement, imposable, les intérêts moratoires y afférents seront imposables.
Cette conception avalise ainsi l'interprétation retenue par l'administration dans sa doctrine qui procédait déjà à cette dichotomie en se fondant sur la décision de section de 1992 (BOI-CTX-DG-20-50-30, 12 août 2013, n° 310 et s.). Elle fournit au surplus une nouvelle illustration du principe de « symétrie fiscale » dégagé par le Conseil d'Etat dans sa décision du 12 juin 2013, n°351702, BNP Paribas.
On peut relever que si la décision ne fait référence expressément qu'aux intérêts moratoires « assis sur des impositions dégrevées », le raisonnement devrait être transposable pour apprécier le traitement fiscal d'intérêts moratoires correspondant au dégrèvement d'intérêts de retard ou de pénalités. Ainsi, dès lors que ces intérêts de retard et pénalités ne sont pas déductibles du résultat fiscal en vertu des dispositions du 2 de l'article 39 du CGI, la fraction des intérêts moratoires correspondant au remboursement de celles-ci ne devrait pas être imposable, quand bien même le dégrèvement de l'impôt en tant que tel le serait.
[1] Commentaires publiés à la LJF de juillet-août 2017 sur CAA Versailles, 15 novembre 2016, n°15VE02777, Sté MACIF
[2] Doc. adm. 5 I-1142 n°7, 1er décembre 1997
[3] CE sect., 4 décembre 1992, n°83205, Brossard
[4] CAA Versailles, 15 novembre 2016, n°15VE02777, Sté MACIF (6ème considérant)