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Fiscalité des entreprises
Déclaration pays-par-pays publique : l'Union européenne à la relance*
Jérôme Ardouin
Alors que les administrations et les entreprises digèrent à peine la déclaration d'informations pays-par-pays (Country-by-Country Report ou CbCR) et la déclaration des dispositifs transfrontières, la proposition de directive européenne visant à imposer aux grandes entreprises la publication d'informations fiscales pays-par-pays, qui semblait définitivement enterrée, renaît de ses cendres.
L'idée d'obliger les entreprises à publier certaines informations fiscales n'est pas nouvelle.
En France, en marge de la transposition de l'obligation pour les établissements de crédit de publier certaines informations pays par pays[2], le législateur a prévu en 2013 une obligation similaire pour les sociétés excédant certains seuils, tout en subordonnant son application à l'entrée en vigueur d'une disposition européenne « poursuivant le même objectif »[3]. Après une nouvelle tentative lors du projet de loi de finances rectificative pour 2015, le Parlement avait adopté en 2016, dans le cadre de la loi Sapin 2, un reporting financier pays par pays public qui a été censuré par le Conseil constitutionnel comme portant atteinte à la liberté d'entreprendre[4].
Cette mesure s'inspirait de la proposition de directive sur la communication d'informations relatives à l'impôt sur les bénéfices, présentée par la Commission européenne en avril 2016 et aujourd'hui relancée.
Etendue de l'obligation de publication
Dans la dernière version de la proposition de directive, seraient concernées par l'obligation de publication les entreprises multinationales, européennes et non européennes, qui exercent leurs activités dans l'Union et dont le chiffre d'affaires global dépasse 750 millions d'euros sur deux exercices consécutifs[5]. L'obligation pèserait sur la société consolidante si celle-ci est dans un Etat membre ou, à défaut et sous certaines conditions, sur les filiales ou succursales situées dans un Etat membre.
Les informations à publier comprendraient notamment une description des activités, le nombre d'employés, les revenus, le résultat avant impôt, le montant de l'impôt sur les bénéfices dû au titre de l'exercice et celui effectivement payé au cours de l'exercice. Ces données seraient agrégées pays par pays pour les implantations dans les Etats membres ou dans les pays tiers non-coopératifs et de manière globale pour le reste du monde.
Les entreprises pourraient réserver, pendant six ans maximum, la divulgation d'informations qui serait économiquement préjudiciable, sauf si elles concernent des pays non-coopératifs.
Ces données seraient mises à disposition du public dans les 12 mois suivant la date de clôture de l'exercice et pendant au moins cinq ans.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La proposition doit prochainement faire l'objet d'une discussion entre des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission afin de parvenir à un compromis. A cette occasion, le texte pourrait être modifié, notamment sous l'impulsion du Parlement européen qui pourrait chercher à étendre la liste des informations à publier, généraliser l'agrégation par pays ou restreindre la clause de sauvegarde. En effet, le texte, considéré comme non fiscal, n'est pas soumis à la règle de l'unanimité mais à celle de la majorité qualifiée : le Parlement a un rôle décisionnaire et pas seulement consultatif.
La base juridique retenue avait d'ailleurs été critiquée dès 2016 par le service juridique du Conseil de l'UE et les modifications apportées depuis au texte n'ont pas nécessairement levé cette insécurité juridique originelle. Mais au-delà, c'est l'opportunité de cette proposition qui interroge au regard d'un contexte qui a changé. En effet, une modification de la directive sur l'information non financière[6] est prévue et pourrait conduire à se rapprocher du standard développé par le Global Reporting Initiative ou des propositions du Forum économique mondial[7] : ne serait-ce pas une plateforme plus adéquate pour s'interroger sur les indicateurs, y compris fiscaux, sur lesquels pourraient communiquer les entreprises ?
[*] Cet article a été publié dans la revue Option Finance, 29 mars 2021, n°1600
[2] Directive 2013/36/UE, art. 89
[3] Loi n° 2013-672 du 26 juil. 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, art. 7, III
[4] Cons. const., 9 déc. 2016, n° 2016-741 DC, loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
[5] Cette obligation ne s'appliquerait pas aux établissements de crédit soumis à l'obligation de communication de la directive 2013/36/UE.
[6] Directive 2014/95/UE modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes
[7] Measuring Stakeholder Capitalism - Towards Common Metrics and Consistent Reporting of Sustainable Value Creation, sept. 2020