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Fiscalité des entreprises
Comment récupérer une TVA collectée à tort ?
Olivier Galerneau
Dans un arrêt du 28 décembre 2016, le Conseil d'Etat est venu préciser la procédure à retenir pour obtenir la restitution d'une TVA acquittée à tort lorsqu'un contribuable est en situation de crédit de TVA intermittent[1].
A cette question, le réflexe de toute entreprise serait de déposer une réclamation contentieuse au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales dont le premier alinéa prévoit que « les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire ».
Depuis l'arrêt General Electric Capital Fleet rendu par le Conseil d'Etat le 27 juillet 2009[2], nous savons toutefois que la voie de la réclamation contentieuse suppose, en matière TVA, de prendre en compte la situation de TVA du contribuable au moment où la taxe a été collectée à tort.
Rappelons que dans cette décision, la Haute juridiction a, pour déterminer la procédure à suivre pour obtenir la restitution d'une TVA acquittée à tort, distingué selon que le contribuable se trouvait en situation créditrice ou débitrice de TVA :
- en situation de paiement de la TVA (par exemple, déclarations de chiffre d'affaires CA3 faisant apparaître une situation débitrice), la contestation de la taxe acquittée à tort s'opère par voie de réclamation contentieuse au sens de l'article L. 190 précité ;
- en situation de crédit de TVA, il appartient au contribuable de reporter, sur ses déclarations de chiffre d'affaires CA3, la taxe qu'il estime avoir acquittée à tort et ainsi d'en obtenir la restitution par imputation puis, le cas échéant, dans le cadre d'une demande de remboursement de crédit de TVA dans les conditions fixées par les article 242-0A et suivants de l'annexe II au code général des impôts.
Si l'on peut s'interroger sur le bien-fondé d'une telle distinction, - dans l'un ou l'autre cas la demande de restitution porte sur une taxe collectée à tort -, l'analyse du Conseil d'Etat semble toutefois avoir été guidée par la question du versement d'intérêts moratoires sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales qui suppose qu'un dégrèvement d'impôts soit prononcé. L'administration fiscale ne s'y est d'ailleurs pas trompée puisqu'elle réserve ses seuls commentaires sur cet arrêt dans le BOFIP relatif au versement des intérêts moratoires[3].
Ainsi, sous le prisme des intérêts moratoires, le Conseil d'Etat estime que la demande de restitution présentée par le contribuable, en situation de crédit de TVA, ne porte pas sur une taxe effectivement « acquittée ». Le Conseil d'Etat souligne ainsi que la surestimation par la société du chiffre d'affaires qu'elle avait déclaré « n'avait donné lieu à aucun paiement de taxe sur la valeur ajoutée, en raison de la situation de crédit permanent de taxe sur la valeur ajoutée dans laquelle la société se trouvait pendant toute la période vérifiée ». En d'autres termes, en situation de crédit de TVA permanent, le Conseil d'Etat considère que l'entreprise n'a pas été sujette à une « imposition » au sens des articles L. 190 et L. 208 ; la seule voie qui lui est alors offerte est de présenter une réclamation dans les formes prévues pour le remboursement d'un crédit de TVA.
L'arrêt du 27 juillet 2009 laissait toutefois en suspens la grille d'analyse à retenir dans l'hypothèse, fréquente en pratique, où un contribuable se trouve tantôt en situation de paiement de la TVA et tantôt en situation de crédit de taxe :
- faut-il tenir compte de la situation créditrice ou débitrice de l'entreprise au cours du mois où elle estimait avoir collecté à tort une TVA ?
- ou bien le contribuable doit-il apprécier sa situation débitrice ou créditrice de taxe sur la totalité de la période pour laquelle il entend obtenir la restitution d'une collecte erronée ?
Dans son arrêt du 28 décembre 2016[4], le Conseil d'Etat a retenu une troisième voie.
Dans cette affaire, la société Icade Promotion Logement estimait avoir assujetti à tort à la TVA sur la marge des ventes de terrains à bâtir réalisées au profit de personnes physiques. Elle avait donc déposé deux réclamations au titre des années 2007 et 2008, périodes sur lesquelles la société se trouvait en situation de crédit de TVA intermittent.
Dans une approche « mécanique » de l'arrêt General Electric Capital Fleet, la Cour administrative d'appel de Versailles avait rejeté la requête de la société au motif que « pour l'ensemble des mois au titre desquels la requérante a réalisé des opérations imposables sur la marge, elle se trouvait en situation créditrice et n'a versé au Trésor aucune taxe sur la valeur ajoutée (…) »[5]. La cour estimait ainsi que la situation créditrice de TVA devait s'apprécier au titre du ou des mois pour lesquels la société estimait avoir acquitté à tort la taxe.
Une telle analyse, qui conduisait à ne pas tenir compte des mois au cours desquels la société avait effectivement acquitté de la TVA, était toutefois difficilement conciliable avec les enjeux liés au versement d'intérêts moratoires qui étaient au cœur de la réflexion du Conseil d'Etat dans son arrêt du 27 juillet 2009.
En situation de crédit de taxe intermittent, le Conseil d'Etat n'a donc pas rejeté la voie de la réclamation contentieuse lorsque la TVA a été collectée à tort au titre d'un mois où l'assujetti était en situation de crédit de TVA. Dans une telle hypothèse, l'assujetti peut déposer une réclamation contentieuse mais uniquement « au titre des mois au cours desquels il est en situation débitrice et ce, dans la limite des sommes qu'il n'aurait pas, alors, reversées s'il avait reporté les excédents de crédit de taxe auxquels il prétend au titre des mois précédents ».
En pratique, pour déterminer la procédure à suivre pour obtenir la restitution d'une taxe collectée à tort, la solution retenue par le Conseil d'Etat impose à l'entreprise de se placer rétroactivement dans la situation dans laquelle elle aurait dû être si la taxe n'avait pas été collectée à tort.
Les conclusions rendues sous l'arrêt Icade Promotion permettent d'expliciter la démarche désormais à retenir en situation de crédit intermittent.
En premier lieu, la période sur laquelle s'apprécie la situation tantôt créditrice et tantôt débitrice de l'entreprise correspond à la période pour laquelle la demande de restitution est présentée. Par exemple, une taxe collectée à tort au cours de l'année 2016 et pour laquelle une réclamation est déposée, la situation de crédit intermittent s'appréciera pour l'année 2016.
En second lieu, à l'intérieur de cette « période de réclamation » il convient d'identifier les « sous-périodes » au cours desquelles l'entreprise était en situation de crédit TVA, ces sous-périodes étant délimitées par les mois au cours desquels l'entreprise se trouvait en situation débitrice.
Dans ce cadre, une taxe collectée à tort dans une sous-période créditrice pourra être restituée dans le cadre d'une réclamation contentieuse au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales mais uniquement à hauteur des montants de TVA effectivement acquittés par l'entreprise au cours des mois « débiteurs de TVA ». Par exemple, une entreprise qui, en 2016, était en situation de crédit de TVA au titre des trois premiers mois, puis en situation de TVA à payer sur les mois d'avril et mai et à nouveau en situation de crédit de taxe sur le reste de l'année, sera en mesure de « récupérer » une TVA collectée à tort en janvier 2016, par voie de réclamation contentieuse mais uniquement à hauteur des montants de TVA effectivement acquittés au titre des mois d'avril et mai. En revanche, les montants de taxe acquittés à tort qui excéderaient la TVA effectivement versée par l'entreprise sur les mois d'avril et mai devront être récupérés directement par imputation sur les déclarations de chiffre d'affaires CA3 déposées par l'entreprise.
Si l'arrêt Icade Promotion, en complément de l'arrêt du 27 juillet 2009, a le mérite de clarifier les modalités dans lesquelles la restitution d'une TVA collectée à tort en situation de crédit de TVA intermittent peut intervenir, la solution retenue se révèle en pratique quelque peu complexe.
Ainsi, dans la situation loin d'être théorique d'une entreprise qui, sur la période de réclamation, se trouverait à plusieurs reprises en situation de créditrice et débitrice de TVA, la restitution d'une taxe collectée à tort pourrait conduire l'entreprise à :
- déposer une réclamation contentieuse à hauteur des montants de TVA acquittés sur la période débitrice ;
- imputer, sur ses déclarations de chiffre d'affaires CA3, le montant excédant la TVA acquittée sur la période débitrice et, le cas échéant, formuler une demande de remboursement de ce solde.
Deux procédures distinctes devraient donc être engagées sur la même période de réclamation, pour obtenir la restitution d'une taxe collectée à tort.
On mesure dès lors que l'enjeu ne se limite pas simplement au point de savoir si l'entreprise peut ou non prétendre au versement d'intérêts moratoires mais porte également et avant tout sur la recevabilité des réclamations déposées.
1 CE, 28 décembre 2016, n°385232, Sté Icade Promotion Logement
2 CE, 27 juillet 2009, n°297474 et 307911, General Electric Capital Fleet Services
4 CE, 28 décembre 2016, n°385232, Sté Icade Promotion Logement