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Articles & Actualités

Fiscalité des entreprises

Chronique de fiscalité directe européenne : janvier-mars 2018

18/05/2018

Jérôme Ardouin - Flora Sicard

L'année 2018 semble avoir commencé sur les chapeaux de roues pour l'Europe. Coté Brexit, les frimas hivernaux n'auront pas empêché les parties prenantes de donner un tour plus chaleureux à leurs travaux : en effet, les négociations ont suffisamment progressé pour leur permettre d'arrêter une date de fin de période de transition (le 31 décembre 2020), de publier conjointement un premier projet d'accord sur les modalités du retrait#1, et de commencer à discuter des orientations à retenir pour les relations post-Brexit. En matière fiscale, les institutions n'ont pas été en reste puisque ce premier trimestre a permis de nombreuses avancées législatives et jurisprudentielles.

Du côté législatif

Accord politique sur la directive relative à la déclaration des schémas d'optimisation. -
Conformément aux souhaits émis par la présidence bulgare en début d'année, le Conseil ECOFIN semble être parvenu, mi-mars, à un accord politique sur la proposition de directive sur la déclaration des schémas d'optimisation #2 qui a vocation à transposer en droit de l'Union européenne les recommandations émises par l'OCDE dans le cadre de l'Action 12 du BEPS, s'inspirant largement de la pratique de certains pays, comme le Royaume-Uni.

Prenant la forme d'un amendement de la directive « coopération administrative »#3 pour élargir le champ de l'échange automatique d'informations, le texte prévoit une obligation pour les « intermédiaires » – ou le cas échant les bénéficiaires eux-mêmes – de déclarer aux autorités fiscales les schémas transfrontaliers (intra-UE ou hors-UE) présentant certains « marqueurs » susceptibles de révéler une planification fiscale agressive en matière d'impôts directs#4.

Le projet de directive distingue entre marqueurs spécifiques, qui déclenchent par eux-mêmes l'obligation de déclaration#5, et marqueurs génériques, qui ne déclenchent une obligation de déclaration que lorsqu'ils sont associés au « critère de l'avantage principal », c'est-à-dire lorsque l'avantage principal ou l'un des avantages principaux pouvant raisonnablement être attendu du schéma en question est l'obtention d'un avantage fiscal#6.

Le statut d'intermédiaire est défini très largement puisqu'il recouvre « toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gère la mise en œuvre », c'est-à-dire, concrètement, les avocats, les comptables, les conseillers fiscaux et financiers, les banques et, plus généralement, les consultants. Si l'intermédiaire est établi dans un pays tiers ou s'il est lié par des règles relatives au secret professionnel, l'obligation de déclarer incombe alors au contribuable.

Il est prévu que la déclaration doive être effectuée dans un délai de 30 jours à compter du jour où le schéma est mis à la disposition du client, du jour où il est prêt à être mis en place, ou encore du moment où la première étape du schéma est réalisée, en retenant celui de ces trois évènements qui advient en premier.

En l'état actuel, le texte, qui devrait être formellement adopté fin mai, prévoit une date limite de transposition au 31 décembre 2019 pour une application effective au 1er juillet 2020. Cependant, l'obligation de déclaration devrait également porter, de manière rétroactive, sur les dispositifs mis en place à compter du 20ème jour suivant la publication de la directive au Journal officiel de l'Union européenne, qui pourrait intervenir dès juin.

Propositions législatives sur la fiscalité du numérique. - Parmi les temps forts législatifs de ce premier trimestre 2018 figure également la présentation par la Commission européenne de ses propositions visant à taxer les entreprises du secteur de l'économie numérique. A partir d'une communication « chapeau »#7 qui présente les enjeux du numérique en général, la Commission européenne a avancé deux propositions, l'une s'inscrivant dans une perspective à long terme et l'autre se présentant comme solution à court terme.

La première proposition#8 préconise une réforme profonde des règles relatives à l'imposition des sociétés afin que les bénéfices soient enregistrés et taxés dans l'Etat membre où l'entreprise a une interaction importante avec les utilisateurs, même si elle n'y est pas présente physiquement. Le système repose sur l'identification d'une « présence numérique significative » (ou établissement stable virtuel)#9 à laquelle on attribue les bénéfices tirés de certaines activités économiques substantielles effectuées par l'intermédiaire d'une interface numérique, comme le développement, l'amélioration, la maintenance, la protection et l'exploitation d'actifs incorporels, qui peut comprendre, entre autres, la collecte, le stockage, l'analyse des données de l'utilisateur, la vente d'espaces publicitaires en ligne ou la mise à disposition de contenu créé par des tiers.

La directive s'appliquerait aux entreprises constituées ou établies dans l'Union. Elle s'appliquerait aussi aux entreprises constituées ou établies dans un pays non membre de l'Union, sous réserve que la convention fiscale conclue entre ce pays et l'Etat membre dans lequel l'entreprise a une présence numérique significative ne fasse pas obstacle à la caractérisation et l'imposition de cette « présence numérique significative ». A l'heure actuelle, seules les entreprises résidentes de pays n'ayant pas de convention fiscale avec l'Etat membre en question seraient concernées#10.

En attendant que les Etats s'accordent sur cette proposition, la seconde proposition#11, présentée comme une solution « d'urgence » destinée à éviter que ne fleurissent à travers toutes l'Union des mesures étatiques unilatérales#12, prévoit la mise en place d'une taxe provisoire portant sur les principales activités numériques.

Cette taxe indirecte, dont le taux serait de 3 %#13, s'appliquerait aux produits générés par certaines activités numériques où les utilisateurs jouent un rôle majeur dans la création de valeur : produits tirés de la vente d'espaces publicitaires en ligne, produits générés par la mise en relation d'utilisateurs en vue de faciliter la vente de biens et de services entre eux, ou encore produits tirés de la vente de données générées à partir des informations fournies par les utilisateurs. Elle ne s'appliquerait qu'aux entreprises dont le chiffre d'affaires annuel atteint au moins 750 millions d'euros au niveau mondial et 50 millions d'euros dans l'UE, dans l'objectif affiché de ne pas peser sur les jeunes pousses et les entreprises de taille intermédiaire, et serait exigible dans le(s) Etat(s) membre(s) où se trouvent les utilisateurs (que les utilisateurs aient ou non contribué financièrement à la génération du produit de l'entreprise), sur la part des produits imposables générés dans cet Etat pendant la période d'imposition#14.

Pour le moment, il est prévu que les mesures soient transposées par les Etats membres d'ici le 31 décembre 2019 ; les discussions menées dans le cadre des prochaines réunions de l'ECOFIN permettront d'anticiper si cette date butoir pourra être tenue.

Liste européenne des Etats non-coopératifs. - En ce qui concerne la liste européenne de juridictions non-coopératives à des fins fiscales – que nous avons présentée extensivement dans le précédent numéro de cette chronique –, on indiquera tout d'abord que des modifications sont intervenues au cours de ce trimestre. Après avoir déplacé, le 23 janvier 2018, huit juridictions de la liste « noire » originelle vers la liste « grise »#15, le Conseil ECOFIN a procédé, le 13 mars 2018, à une nouvelle révision de ce document pour marquer la fin du processus d'évaluation des juridictions de la zone caraïbe, qui avait été suspendu quelques temps en raison des intempéries de l'été 2017. A ce titre, trois nouveaux pays (les Bahamas, les Iles vierges américaines et Saint-Kitts-et-Nevis) intègrent la liste « noire » tandis que quatre autres juridictions (Anguilla, Antigua-et-Barbuda, la Dominique et les Iles vierges britanniques) sont directement classées dans la liste « grise ». Seul le sort des îles Turks et Caïcos reste incertain. A cette occasion, le Conseil ECOFIN a également fait passer le Bahreïn, les Îles Marshall et Sainte-Lucie de la liste « noire » à la liste « grise ». A l'issue de ce jeu de bonneteau, la blacklist contient les neufs Etats suivants : les Samoa américaines, les Bahamas, l'île de Guam, les îles Vierges américaines, la Namibie, les îles Palaos, Saint-Kitts-et-Nevis, les îles Samoa et Trinité-et-Tobago.

Ensuite, alors que des interrogations avaient été émises quant aux conséquences attachées à cette liste, la Commission a publié, le 21 mars dernier, une communication#16 dans laquelle elle préconise que les fonds européens ne transitent pas par des entités localisées dans des juridictions blacklistées lorsqu'ils sont gérés par des institutions financières internationales comme la Banque européenne d'investissement, par des institutions financières de développement, y compris le Fonds européen pour le développement durable, ou encore par d'autres partenaires. Par ailleurs, concernant les « contre-mesures » que les Etats membres sont invités à adopter à l'encontre des juridictions identifiées#17, on signalera l'initiative française puisque le projet de loi de lutte contre la fraude présenté fin mars prévoit d'ajouter les juridictions de la blacklist européenne à la liste des Etats et territoires non coopératifs de l'article 238-0 A du code général des impôts.

Travaux à suivre. - Parmi les travaux à suivre, outre les projets déjà mentionnés, rappelons que les discussions autour du projet AC(C)IS sont toujours en cours, notamment au Parlement européen qui s'est récemment montré très actif. Dans deux rapports produits en mars#18, les députés européens ont suggéré d'adapter les règles envisagées aux enjeux du numérique en modifiant la clé de répartition initialement fondée sur trois critères (le chiffre d'affaire, la main d'œuvre et les immobilisations) pour lui adjoindre un quatrième paramètre tenant à la « présence numérique ».

Du côté de la jurisprudence

Report d'imposition. - Au cours de la période sous chronique, l'actualité jurisprudentielle a souvent concerné – directement ou indirectement – la France, notamment au sujet des mécanismes de report d'imposition. A cet égard, alors que l'affaire Picart#19, qui questionnait la compatibilité de l'exit tax des particuliers avec le droit d'établissement contenu dans l'accord UE-Suisse, n'aura finalement pas permis de censurer l'article 167 bis du CGI, les affaires jointes Jacob et Lassus#20, relatives à l'ancien régime du report applicable aux opérations d'échange de titres (ancien article 92 B du CGI)#21, ont connu une issue partiellement plus heureuse.

Dans un arrêt qui suit en tous points les conclusions de l'Avocat général Wathelet, précédemment commentées#22, la Cour de justice a en effet jugé le mécanisme du report compatible, en son principe, avec les exigences de la directive Fusions#23, de sorte que la France était libre d'imposer la plus-value d'échange au moment de la cession ultérieure des titres reçus en échange, et ce même lorsqu'en raison des conventions fiscales elle ne disposait pas de compétence sur la cession elle-même. En revanche, elle a estimé que l'impossibilité de prendre en compte l'éventuelle moins-value de cession constituait un traitement désavantageux contraire à la liberté d'établissement. Bien que portant sur l'ancien régime du report, la décision pourrait conduire à un ajustement du dispositif actuel.

Intégration fiscale. - La CJUE a par ailleurs eu l'occasion de compléter sa jurisprudence en matière de régime de groupe à travers les affaires jointes X BV et X NV#24, relatives au dispositif néerlandais de l'entité unique dont la philosophie est assez proche de l'intégration fiscale française. Au cas d'espèce, étaient réservés aux sociétés membres d'un groupe (et donc, par hypothèse, aux seules sociétés résidentes) certains avantages comme, d'une part, la déductibilité des intérêts liés à un financement intragroupe et, d'autre part, la prise en compte des pertes de change sur les participations intragroupe.

Devant les juges, les parties s'affrontaient sur la question de savoir si, pour l'examen d'euro-compatibilité de ces dispositifs, il convient de privilégier une approche du « tout ou rien » que certains déduisaient de l'arrêt X Holding#25 ou, au contraire, une approche « par éléments » telle que consacrée par l'arrêt Stéria#26.

Par un arrêt du 22 février 2018, la CJUE opte pour la seconde voie et examine donc séparément chaque avantage fiscal dont le bénéfice est réservé aux membres de groupe pour apprécier leur validité. Si ceci la conduit à considérer que le refus de déductibilité des intérêts en dehors du régime de groupe est une restriction que ni la cohérence fiscale ni la lutte contre l'évasion fiscale ne permettent de justifier, elle estime en revanche que le refus de prise en compte des pertes de change « sur la filiale » ne constitue pas une restriction dès lors qu'elle procède d'une législation parfaitement symétrique, ne prenant en compte ni les pertes ni les gains#27.

Voilà de quoi alimenter les discussions à l'occasion de la refonte du régime français de l'intégration fiscale, annoncée pour la fin d'année et qui fait d'ailleurs l'objet d'une consultation publique lancée au printemps par le ministère de l'économie et des finances#28.

Transferts de pertes. - Toujours sur le thème des groupes de sociétés mais, plus spécifiquement, à propos des transferts de pertes d'établissements stables, ce premier trimestre 2018 aura fourni à l'Avocat général Sanchez-Bordona deux occasions de proposer des analyses novatrices, dont on attend encore de savoir si elles seront suivies par les juges.

Dans l'affaire Bevola#29, d'abord, la Cour était interrogée sur la conformité du régime d'intégration fiscale danois aux exigences résultant de la jurisprudence Marks & Spencer#30 dans la mesure où, dans cet Etat, la prise en compte des pertes des filiales et succursales étrangères était conditionnée à une option pour le régime spécial d'« intégration fiscale internationale » tandis que, sous le régime de droit commun, le transfert de pertes, même finales, était impossible#31.

Après avoir confirmé l'actualité et la pertinence de l'exception Marks & Spencer en son principe, malgré les controverses doctrinales, l'Avocat général s'attache à en clarifier les modalités d'application lorsque les pertes sont subies par des établissements stables étrangers. Dans cette démarche, il se heurte nécessairement à la question de la comparabilité des succursales nationales et étrangères à laquelle la jurisprudence antérieure a apporté des solutions souvent contradictoires#32 et, au terme d'un argumentaire peu limpide, conclut à la comparabilité des situations dans la mesure où « la situation d'un établissement stable résident et celle d'un établissement stable non-résident ayant tous deux subi des pertes définitives sont, précisément pour cette raison, comparables au regard du respect du principe de la capacité contributive de la société mère »#33. Dès lors, l'impossibilité de transfert dans le cadre du régime de droit commun constitue une restriction à la liberté d'établissement. A cet égard, la possibilité d'opter pour l'intégration fiscale « internationale » ne serait, selon l'Avocat général, d'aucun secours car, dans la mesure où la durée de l'option est fixée à dix ans, ce régime serait « exagérément contraignant »#34 et trop peu réaliste.

Dans l'affaire NN#35, les juges danois s'interrogeaient une nouvelle fois sur l'euro-compatibilité de leur législation dans la mesure où elle n'autorise l'imputation des pertes subies par un établissement stable danois d'une société étrangère sur les résultats d'autres sociétés danoises du groupe qu'à condition que la société étrangère ne puisse pas imputer ces pertes sur ses propres revenus, alors que, en présence d'un groupe entièrement danois, la société mère du groupe peut déduire les pertes de tous les éléments du groupe (en l'occurrence les filiales, puisque, en situation domestique, la problématique de l'établissement stable ne se pose pas).

Tout en reconnaissant la comparabilité des situations#36 et, par suite, l'existence d'une restriction à la liberté d'établissement, l'Avocat général estime néanmoins que cette mesure est justifiée par la prévention du risque de double déduction des pertes, argument dont il suggère de reconnaitre l'autonomie.

Consacrée pour la première fois dans l'arrêt Marks & Spencer, mais associée à deux autres défenses que sont la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition et la prévention de l'évasion fiscale, la justification tirée de la prévention du risque de double déduction des pertes n'a jamais été accueillie seule, la Cour s'y étant même explicitement opposée dans l'arrêt Philips Electronics#37. Pour autant, se référant aux tendances actuelles de la fiscalité internationale et européenne, notamment au projet BEPS aux directives ATAD qui ciblent notamment les problématiques de double déduction résultant des dispositifs hybrides, l'Avocat général suggère à la Cour de s'inspirer de ces évolutions pour remodeler le spectre des justifications admissibles#38. Reste à savoir si la CJUE acceptera d'infléchir sa jurisprudence pour accorder ainsi aux Etats de nouvelles opportunités pour encadrer les comportements des contribuables, alors même que le contexte législatif est lui-même de plus en plus contraignant.

Dispositifs anti-abus. - Sur le thème des dispositifs anti-abus, on indiquera la publication de six jeux de conclusions proposés par l'Avocat général Kokott dans des affaires, encore une fois danoises, très similaires portant sur l'application des mécanismes anti-abus des directives intérêts-redevances#39 et mère-fille#40 (version antérieure à la modification de 2015) en cas d'interposition d'une société européenne intermédiaire entre la société débitrice du flux (UE) et la société qui en serait le bénéficiaire effectif (hors-UE).

Outre le fait que la rareté des questions préjudicielles relatives à la directive intérêt-redevances#41 rend ces procédures tout à fait remarquables, les questions soulevées par les juges de renvoi présentent un intérêt particulier au regard des évolutions récentes de la fiscalité européenne. Tout d'abord, certaines de ces affaires seront l'occasion pour la CJUE d'interpréter la notion de « bénéficiaire effectif » contenue dans la directive intérêt-redevances. Mais surtout, elles l'invitent à prendre position sur les contours des « abus » que ces directives permettent de combattre.

En s'inspirant d'autres textes de droit dérivé qui contiennent davantage d'indications (en particulier la directive fusions et la directive ATAD) et de la jurisprudence de la CJUE, notamment celle rendue en matière de libertés de circulation, l'Avocat général semble retenir que la notion d'abus recoupe désormais deux hypothèses : d'une part, les montages « purement artificiels » (stigmatisés par la jurisprudence Cadbury Schweppes#42) et, d'autre part, les montages « abusifs », c'est-à-dire réels mais élaborés principalement pour des motifs fiscaux et dans le but de contourner la loi fiscale, qui sont ciblés par les évolutions règlementaires récentes issues du BEPS.

Une telle analyse permettrait, si elle était suivie par la Cour, d'assurer la coexistence du critère du but exclusivement fiscal et celui du but principalement fiscal et de ménager ainsi la chèvre (la jurisprudence de la Cour) et le chou (les dernières directives). Wait and see.

Aides d'Etat. - En matière d'aides d'Etat, alors que la Commission européenne vient tout juste de valider l'abattement fiscal accordé par la France à La Poste en compensation de sa mission de présence territoriale#43, une autre entreprise publique française vient en revanche d'essuyer une nouvelle défaite dans sa bataille contre une décision de récupération.

Dans un arrêt du 16 janvier 2018#44, le Tribunal de l'Union européenne a en effet confirmé l'obligation pesant sur EDF de rembourser environ 1,37 milliards d'euros à l'Etat au titre de l'aide que celui-ci aurait accordé en renonçant en 1997 à l'imposition d'une reprise de provisions. Pour rappel, une première décision d'incompatibilité avait été annulée par les juges européens au motif que la Commission n'avait pas examiné si, ce faisant, l'Etat ne s'était pas comporté comme un « investisseur privé en économie de marché ». La Commission avait alors adopté en 2015 une nouvelle décision par laquelle, après avoir effectivement examiné le critère de l'investisseur privé, elle avait conclu qu'il n'était pas applicable en l'espèce, confirmant ainsi l'incompatibilité de la mesure d'aide et l'obligation de récupération. Soutenue par la France, l'entreprise avait formé un nouveau recours en annulation, mais le Tribunal s'est rangé, cette fois, du côté de la Commission. Après avoir rappelé que l'applicabilité du critère de l'investisseur privé dépend en définitive de ce que l'Etat accorde un avantage en sa qualité d'actionnaire d'une entreprise et non en sa qualité de puissance publique, le Tribunal juge que, dans la mesure où l'Etat français n'a pas su établir sans équivoque que la mesure fiscale mise en œuvre ressortait à sa qualité d'actionnaire, c'est à bon droit que la Commission a conclu à l'inapplicabilité du critère et réitéré l'obligation de récupération.

On signalera par ailleurs la publication officielle (purgée de toutes les informations confidentielles) de la décision de la Commission européenne retenant l'existence d'une aide d'Etat accordée par le Luxembourg à Amazon#45, et de la décision d'ouverture de l'enquête visant Ikea#46, toutes deux relatives à des rulings fiscaux.


[1]Projet publié le 28 février 2018 par la Commission européenne, revu et corrigé par le Royaume Uni le 19 mars 2018, consultable au lien suivant : https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/draft_agreement_coloured.pdf.

[2]COM(2017) 335 final.

[3]Directive 2011/16/UE.

[4]Compte tenu du champ d'application de la directive coopération administrative, tous les impôts directs sont concernés.

[5]Il s'agit par exemple des schémas qui comportent un paiement transfrontière déductible fait en faveur d'un bénéficiaire ne résidant dans aucune juridiction ou résidant dans un pays à fiscalité nulle ou presque ou comportant un paiement totalement exempté dans la juridiction du bénéficiaire ; des schémas qui consistent à faire valoir plusieurs fois la dépréciation d'un actif ; de ceux visant à obtenir l'élimination de la double imposition dans plusieurs juridictions ; de ceux créés pour contourner les règles de déclaration et de transparence établies dans l'Union européenne ; ou encore des schémas qui ne respectent pas les principes internationaux et de l'Union en matière de prix de transfert… Pour une liste exhaustive, se reporter à l'annexe IV du projet de directive.

[6]Il s'agit par exemple des honoraires fixés par référence au montant de l'avantage fiscal obtenu ou conditionnés à la réalisation effective d'un avantage fiscal, de l'existence d'une clause de confidentialité, de la structure ou documentation standardisée du dispositif ou encore de l'utilisation de pertes pour réduire la charge fiscale voire des transactions circulaires de type carrousel.

[7]COM(2018) 146 final.

[8]COM(2018) 147 final.

[9]Cette présence correspond à l'un des critères suivants :

- l'entreprise génère plus de 7 millions d'euros de produits annuels dans un Etat membre ;
- l'entreprise compte plus de 100 000 utilisateurs dans un Etat membre au cours d'un exercice fiscal ;
- l'entreprise a généré plus de 3 000 contrats commerciaux pour des services numériques avec les utilisateurs actifs au cours d'un exercice fiscal.

[10]Consciente de cette limite, la Commission préconise, dans une recommandation distincte (C(2018) 1650), d'étendre l'approche européenne aux relations avec les Etats tiers et invite les Etats membres à adapter leurs conventions fiscales pour les aligner sur la proposition de directive.

[11]COM(2018) 148 final.

[12]Actuellement, 10 Etats planifieraient ou auraient déjà mis en place de telles taxes.

[13]Selon les estimations, ce taux de 3 % permettrait d'engendrer 5 milliards d'euros de recettes par an.

[14]A des fins de simplification, il est prévu un mécanisme de guichet unique pour que les assujettis puissent accomplir toutes les formalités auprès d'un seul Etat (l'Etat d'identification), à charge pour celui-ci de partager les informations pertinentes avec ses homologues et de leur transférer la part de taxe qu'il perçoit pour leur compte.

[15]La liste noire initiale contenait 17 juridictions : les Samoa américaines, le Bahreïn, la Barbade, la Grenade, l'île de Guam, la Corée du Sud, Macao, les îles Marshall, la Mongolie, la Namibie, les îles Palaos, le Panama, Sainte-Lucie, les îles Samoa, Trinidad et Tobago, la Tunisie et les Emirats Arabes Unis. En janvier, la Barbade, la Grenade, la Corée, Macao, la Mongolie, le Panama, la Tunisie, et les Emirats arabes unis, ont basculé sur la « liste grise » en raison des engagements qu'ils ont pris.

[16]COM(2018) 1756.

[17]Le considérant n° 16 du préambule et l'Annexe III du texte suggèrent des contre-mesures comme le renforcement des contrôles de certaines transactions et l'augmentation des risques encourus par les contribuables impliqués, par exemple par le biais de mesures techniques comme la non-déductibilité des coûts, des règles CFC, des retenues à la source, des refus de participation-exemption, des clauses de switch-over, un renversement de la charge de la preuve, des exigences documentaires spéciales ou la communication obligatoire des intermédiaires.

[18]Rapports numérotés P8_TA(2018)0088 (ACIS) et P8_TA(2018)0087 (ACCIS).

[19]CJUE, 15 mars 2018, C-355/16, Picart. Un contribuable qui avait déplacé son domicile en Suisse tout en conservant son activité économique en France et qui espérait toutefois se soustraire à l'application de l'exit tax des particuliers avait tenté de remettre en cause la compatibilité de l'article 167 bis du CGI avec le droit d'établissement contenu dans l'accord UE-Suisse de 1999 (Accord de libre circulation des personnes ou ALCP). La CJUE a néanmoins conclu à l'inapplicabilité de l'accord à la situation d'espèce, dans la mesure où le droit d'établissement garanti par l'accord UE-Suisse protège les ressortissants d'une partie contractante qui s'établissent sur le territoire de l'autre partie contractante pour y exercer leur activité (art. 12) en visant les cas où la personne concernée exerce son activité sur le territoire de l'Etat autre que celui dont elle a la nationalité. Or, dans la mesure où le requérant entendait conserver son activité dans son Etat d'origine (la France), il ne remplissait pas cette condition. Ensuite, et bien que cela soit superflu, la Cour prend soin de préciser que l'ALCP et le TFUE n'ont pas la même portée ni le même libellé, de sorte que la jurisprudence développée sous l'égide du TFUE en matière d'exit tax des particuliers ne peut être intégralement reprise dans le cadre de l'ALCP.

[20]CJUE, 22 mars 2018, C-327/16, Jacob et C-421/16, Lassus.

[21]Ce régime, en vigueur avant l'an 2000, a été réintroduit en droit français sous une forme légèrement ajustée depuis 2013.

[22]J. Ardouin et F. Sicard, « Imposition des opérations d'échange de titres : le régime du report est-il en sursis ? », Lettre juridique et fiscale, Novembre-Décembre 2017.

[23]Directive 90/434/CEE aujourd'hui 2009/133/CE. Voir notamment son article 8 § 1 qui prévoit que l'opération d'échange de titres n'entraine pas, « par elle-même », d'imposition.

[24]CJUE, 22 février 2018, C-398/16, X BV et C-399/16, X NV.

[25]CJCE, 25 février 2010, C-337/08, X Holding.

[26]CJUE, 2 septembre 2015, C-386/14, Groupe Stéria.

[27]Ce positionnement est basé sur la solution retenue dans l'arrêt CJUE, 10 juin 2015, C-686/13, X AB. En sens contraire voir CJCE, 28 février 2008, C-293/06, Deutsche Shell.

[28]Consultation publiée sur : https://www.economie.gouv.fr/consultation-reforme-impot-sur-societes?utm_campaign=Revue%20newsletter&utm_medium=Newsletter&utm_source=Veille%20documentaire.

[29]Conclusions de l'Avocat général sous l'affaire C-650/16, Bevola, présentées le 17 janvier 2018.

[30]CJCE, 13 décembre 2005, C-446/03, Marks & Spencer.

[31]Cette affaire n'a d'ailleurs pas manqué de retenir l'intérêt des Etats membres puisque les gouvernements autrichien, italien et allemand, sont intervenus à l'instance.

[32]Comme le remarque l'Avocat général, si la Cour a transposé la solution Marks & Spencer aux établissements stables dans l'arrêt Lidl Belgium (CJCE, 15 mai 2008, C-414/06), c'était en faisant l'impasse sur l'examen de la comparabilité (questions qu'elle résolvait implicitement par la positive). L'arrêt X Holding (CJUE, 25 février 2010, C-337/08) suscitait aussi des interrogations mais ce sont surtout, plus récemment, les arrêts Nordea Bank (CJUE, 17 juillet 2014, C-48/13) et Timac Agro (CJUE, 17 décembre 2015, C-38/14) qui appellent des commentaires puisque, dans ces deux affaires, la CJUE a clairement indiqué que les établissements domestiques et les établissements stables étrangers ne sont en principe pas comparables.

[33]Point 59 des conclusions.

[34]Point 77 des conclusions.

[35]Conclusions de l'Avocat général sous l'affaire C-28/17, NN, présentées le 21 février 2018.

[36]Sur ce point, l'Avocat général se réfère à l'arrêt Philips Electronics dans lequel la Cour avait affirmé la comparabilité : CJUE, 6 septembre 2012, C-18/11, Philips Electronics

[37]Cette solution a d'ailleurs été rappelée dans les conclusions rendues par l'Avocat général Kokott dans l'affaire SCA Group Holding (CJUE, 12 juin 2014, C-39/13).

[38]Point 64 des conclusions : « Peut-être est-il toutefois venu le moment de tempérer ces affirmations de l'arrêt Philips Electronics, dès lors que la lutte contre la double déduction a particulièrement retenu l'attention du législateur de l'Union après que cet arrêt a été rendu »

[39]Directive 2003/49/CE.

[40]Directive 2011/96/UE.

[41]On ne compte à ce jour qu'une seule affaire relative à la directive intérêts-redevances : CJUE, 21 juillet 2011, C-397/09, Scheuten Solar Technology.

[42]CJUE, 12 septembre 2006, C-196/04, Cadbury Schweppes.

[43]http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-2843_fr.htm.

[44]Trib. UE, 16 janvier 2018, T-747/15, EDF c. Commission.

[45]C(2017) 6740 final. Le Luxembourg a formé un recours en annulation contre la décision de la Commission. Le numéro d'enregistrement de l'affaire est T-816/17.

[46]COM(2017) 8753 final.