Prestation ajoutée au panier Aucune prestation n'a été sélectionnée. Continuer mes achats Valider mon panier Ajouter au panier Mon panier (0) (1)
prestations
Mon compte Connexion / Création compte Information < Retour aux offres Annuler Fermer Valider

Articles & Actualités

Fiscalité des entreprises

Changement significatif de l'activité d'une société absorbée : une nouvelle décision favorable empreinte de pragmatisme

06/05/2021

Jérôme Ardouin, Mathieu Ferré

Dans une décision du 2 avril 2021[1], le Conseil d'Etat considère qu'une baisse substantielle de l'effectif et des moyens d'exploitation ne suffit pas à caractériser un changement significatif d'activité, susceptible de faire obstacle au transfert des déficits de la société absorbée, lorsque cette baisse est destinée à assurer le maintien du volume de l'activité à l'origine des déficits.

Afin de prévenir les transferts abusifs de déficits, la loi de finances rectificative pour 2012 a durci les conditions de délivrance de l'agrément auxquelles est subordonné le transfert des déficits en cas de fusions ou d'opérations assimilées. Désormais, outre l'exigence selon laquelle l'opération doit être justifiée du point de vue économique et obéir à des motivations principales autres que fiscales, la loi impose une condition de stabilité de l'activité, tant en amont de la réalisation de l'opération de restructuration que dans les trois ans suivant celle-ci, en prévoyant que l'activité à l'origine des déficits ne doit pas faire l'objet « de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d'activité »[2].

Si l'on sait depuis une décision SARL Serena Caoutchouc que le respect de cette condition doit être apprécié uniquement à l'aune des éléments se rapportant à l'activité transférée sans procéder à une éventuelle mise en perspective avec le développement d'autres activités[3], les décisions sur cette question sont encore rares, ce qui rend d'autant plus intéressante la décision Alliance Négoce.

Dans cette affaire, une société exerçant une activité de négoce de produits agricoles avait été rachetée par une société coopérative en 2008. En raison de la constatation d'un important déficit au cours de l'exercice 2010, la société a, tout en continuant son activité de négoce, modifié les modalités de son exercice en supprimant l'intégralité de son effectif de 10 salariés, remplacé par une mise à disposition de salariés d'autres sociétés du groupe, et en externalisant son activité de transport auprès d'une autre société du groupe à qui elle a cédé sa flotte de camions. En 2015, envisageant d'absorber sa filiale, la coopérative a déposé, en application du II de l'article 209 du CGI, une demande d'agrément afin d'obtenir le transfert des déficits de celle-ci. Cette demande a été refusée par l'administration au motif que l'activité avait fait l'objet d'un changement significatif puisque la filiale avait perdu l'intégralité de ses effectifs et avait vu son actif brut corporel réduit de 65 % du fait des cessions d'actifs. Ce refus a été confirmé par les juges du fond malgré le fait que le chiffre d'affaires lié à l'activité de négoce avait été maintenu[4].

Cette application mécanique des dispositions du II de l'article 209 du CGI est censurée par le Conseil d'Etat qui considère, à l'aune de l'objet de ces dispositions, « qu'une diminution par la société absorbée […] de son emploi et des moyens d'exploitation qu'elle met en œuvre ne saurait à elle seule, lorsqu'elle est destinée à assurer le maintien du volume de l'activité à l'origine des déficits, être regardée comme un changement significatif d'activité justifiant le refus de l'agrément sollicité ». En d'autres termes, la seule variation, même substantielle, de certains des facteurs figurant dans l'énumération légale (emploi, moyens d'exploitation, etc.) ne suffit pas à caractériser un changement significatif d'activité et il convient plutôt de retenir une appréciation d'ensemble des différents facteurs afin d'apprécier si l'exigence de continuité et de stabilité de l'activité est satisfaite. On peut relever que la Haute juridiction vient retenir cette solution dans cette affaire alors même que la société s'était séparée de l'ensemble de son personnel ; circonstance qui pouvait faire douter du respect de la condition prévue par le texte de l'article 209 du CGI.

Il ressort des conclusions du rapporteur public que le Conseil d'Etat a interprété le texte au regard de l'objectif poursuivi par le législateur lors de la modification des règles relatives au transfert de déficit, à savoir limiter les transferts de déficits répondant à des fins d'optimisation fiscale en s'assurant notamment que de tels déficits ne soient pas artificiellement créés par une modification des conditions d'activité de la société ayant vocation à être absorbée.

Une telle interprétation, empreinte de pragmatisme économique ne peut qu'être saluée dès lors qu'elle admet qu'une réorganisation des modalités d'exercice d'une activité puisse être nécessaire pour assurer la pérennité de celle-ci ; elle permet ainsi aux entreprises dont l'activité est déficitaire de faire évoluer les modalités d'exercice de celle-ci tout en conservant la possibilité de transférer leurs déficits.

Ce pragmatisme du Conseil d'Etat s'inscrit dans le prolongement d'une précédente décision Sté ID Espace dans laquelle la Haute juridiction avait retenu, à la lumière des travaux parlementaires, une interprétation constructive de ces mêmes dispositions en considérant qu'il ne fallait pas tenir compte, pour apprécier l'existence d'un changement significatif de l'activité, des transferts réalisés au profit de la future société absorbante avant la réalisation de l'opération[5]. Le parallèle peut également être effectué avec le courant jurisprudentiel qui retenait une interprétation étroite, et favorable dans l'ensemble aux contribuables, de la notion de changement d'activité au sens de l'article 221 du CGI, dans sa version antérieure à la loi de finances rectificative pour 2012[6].

La position bienveillante du Conseil d'Etat en la matière est d'autant plus intéressante qu'elle détonne avec la sévérité des décisions rendues au cours des derniers mois par les juges du fond. Espérons que cette position se diffuse progressivement et incite les services à retenir une position plus adaptée aux impératifs de la vie économique.

Il reste aussi à espérer que le Conseil d'Etat fasse preuve d'autant de pragmatisme dans l'interprétation des nouvelles dispositions relatives à la cessation d'entreprise figurant à l'article 221 du CGI. Si la transposition en tant que telle de cette jurisprudence relative à l'article 209 du CGI n'est pas assurée en raison de l'inscription par le législateur de seuils précis directement dans le texte de l'article 221 du CGI, les notions d'adjonction ou d'abandon d'activité pourraient offrir au juge une marge d'interprétation permettant de concilier cette disposition avec les contraintes de la vie des affaires.

[1] CE, 2 avril 2021, n° 429319, SAS Alliance Négoce

[2] CGI, art. 209, II, 1

[3] CE, 24 octobre 2017, n° 401403, SARL Serena Caoutchouc

[4] CAA Nantes, 31 janvier 2019, n° 18NT00189, SAS Alliance Négoce

[5] CE, 9 juin 2020, n° 436187, Sté ID Espace

[6] V. par exemple CE, 18 mai 2005, n° 259275, SARL Sophie B

Les expertises qui pourraient vous intéresser

LES eSERVICES QUI POURRAIENT VOUS INTÉRESSER