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Fiscalité des entreprises
Calcul de la valeur locative des immobilisations industrielles acquises suite à la levée d'option d'un crédit-bail
Benjamin Bardet
Une décision du Conseil d'Etat du 24 février 2017[1] fixe la valeur locative des biens immobiliers à retenir suite à la levée d'option d'un contrat de crédit-bail immobilier intervenue antérieurement au 31 décembre 2006.
Si pour les levées d'option réalisées après le 31 décembre 2006, le législateur a prévu le maintien de la valeur locative retenue par le crédit-bailleur, des positions divergentes, et donc des contentieux, étaient apparus concernant la détermination de cette valeur pour les opérations antérieures.
Levée d'option de crédit-bail depuis le 1er janvier 2007 : pas de valeur locative plancher mais une valeur locative figée
Selon l'article 1499 du code général des impôts (CGI), la valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée à partir du prix de revient, lequel correspond à la valeur d'origine qui, pour les immobilisations acquises à titre onéreux et inscrites au bilan, s'entend du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat.
L'article 324 AE de l'annexe III au CGI précise en effet que « le prix de revient visé à l'article 1499 du CGI s'entend de la valeur d'origine pour laquelle les immobilisations doivent être inscrites au bilan en conformité de l'article 38 quinquies » de l'annexe III, qui indique que les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine, celle-ci s'entendant, pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, et pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale.
Enfin, il résulte de l'article 1518 B du CGI que la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés, de cessions d'établissements ou de transmissions universelles du patrimoine ne peut être inférieure, selon la situation, à un montant compris entre 50 % et 100 % de son montant avant l'opération.
Sur le fondement de ces différentes dispositions, le Conseil d'Etat a considéré dans sa décision Valéo Equipements électriques moteurs du 28 décembre 2005[2] que l'acquisition de locaux nus à l'issue d'un contrat de crédit-bail ne pouvait pas être regardée comme réalisée à l'occasion d'une cession d'établissement, et donc que la valeur locative des locaux en cause n'était pas soumise à la règle de plancher issue de l'article 1518 B. Le Conseil d'Etat a ensuite précisé que cette valeur locative devait être calculée d'après «°le prix d'acquisition des locaux en cause ».
Face au risque de perte de matière imposable résultant de cette solution, le prix de revient à retenir pour les besoins des bases foncières des établissements industriels correspondant à 8% du prix de la levée d'option, le législateur est intervenu.
L'article 100 de la loi de finances rectificative pour 2008[3] a institué un mécanisme, codifié à l'article 1499-0 du CGI, figeant la valeur locative des immobilisations industrielles prises en crédit-bail et acquises par le crédit-preneur. Ainsi, cet article prévoit que, dans cette hypothèse, la valeur locative ne peut pour les années suivantes être inférieure à celle retenue pour l'imposition du crédit bailleur au titre de l'année d'acquisition.
Mais ces dispositions instituant une valeur locative figée ne sont applicables qu'aux levées d'option réalisées après le 31 décembre 2006. La question de la détermination de la valeur locative des immobilisations industrielles acquises suite à la levée d'option d'un crédit-bail immobilier antérieurement à cette date restait donc entière, jusqu'à la décision ici commentée.
Levée d'option de crédit-bail antérieures au 1er janvier 2007 : une méthode de calcul énoncée par le Conseil d'Etat
Dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat, la société Laboratoire Lerquin Mediolanum, qui avait levé l'option d'achat de son site immobilier industriel le 30 juin 2015 objet d'un crédit-bail pour un prix d'achat de 0,30 euros, soutenait que le prix de revient au sens de l'article 1499 du CGI devait correspondre à ce prix de levée d'option.
Le tribunal administratif avait lui considéré que la valeur locative était égale au coût d'acquisition de l'ensemble en cause, celui-ci étant lui-même égal au prix de cession de 0,30 euros mentionné dans l'acte de vente, « augmenté des loyers à réintégrer fiscalement à l'occasion de la levée d'option ». Sans y faire directement référence, le tribunal a fait application des dispositions de l'article 239 sexies du CGI qui prévoient que le preneur d'un contrat de crédit-bail doit, au moment de la levée d'option, réintégrer dans ses bénéfices une fraction des loyers, qui diffère selon que le contrat a été conclu avant ou après le 1er janvier 1996. L'article 239 sexies C du même code précise, tant pour les contrats conclus avant cette date que ceux conclus après, que « le prix de revient des biens acquis à l'échéance d'un contrat de crédit-bail est majoré » des sommes réintégrées en application notamment des dispositions de l'article 239 sexies et fixe les modalités d'amortissement de ces biens.
Si, dans la décision commentée, le Conseil d'Etat rappelle ces règles, c'est pour souligner immédiatement qu' « en l'absence de renvoi explicite à ces dispositions dans les articles du code général des impôts relatifs à la détermination des valeurs locatives pour l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, elles ne sauraient être regardées comme applicables à la détermination de la valeur locative d'immobilisations passibles de cette taxe ».
L'analyse de la haute assemblée ne saurait être ici contestée tant elle est évidente. Comme le souligne le rapporteur public Emmanuelle Cortot-Boucher dans ses conclusions rendues sous cet arrêt, la lecture de l'article 1499 retenue par le tribunal administratif « est difficile à tenir ». En effet, comme l'avait déjà jugé le Conseil d'Etat[4], les articles 239 sexies et 239 sexies C ne régissent que le calcul des bases d'impôt sur les sociétés ou d'impôt sur le revenu et ne peuvent, en l'absence de renvoi explicite, s'appliquer à la détermination de la valeur locative servant au calcul de la taxe foncière. Voilà sans doute pourquoi le tribunal avait retenu une méthode de calcul équivalente à l'application de ces textes, sans y faire référence explicitement.
Ayant confirmé que les articles 239 sexies et 239 sexies C ne sont pas applicables pour la détermination de la valeur locative foncière des biens industriels, il restait au Conseil d'Etat à définir le prix de revient à retenir.
L'on pouvait alors, comme l'administration et anticipant la loi de finances rectificative pour 2008, considérer que, dès lors que les dispositions de l'article 1518 B du CGI ne s'appliquaient pas, la valeur locative n'était pas modifiée après la levée de l'option. L'on pouvait aussi, comme le contribuable dans l'affaire commentée, exciper de l'inapplicabilité de la règle de la valeur locative plancher pour revendiquer que la valeur locative soit calculée d'après le prix de revient résultant du prix de levée d'option et figurant au bilan.
Cette dernière solution, si elle impliquait forcément une perte de matière imposable pour les collectivités subséquente à la réduction de charge de taxe foncière et de cotisation foncière des entreprises, avait le mérite de respecter une application rigoureuse et littérale des textes en vigueur. Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, le prix de revient au sens des dispositions combinées des articles 1499 du CGI, 324 AE et 38 quinquies de l'annexe III au CGI est le prix de levée d'option.
Mais le Conseil d'Etat, certainement soucieux de palier une faille législative permettant de minorer l'assiette imposable sans que l'activité du contribuable n'en soit à l'origine, a été amené à poser de manière prétorienne, justifiant sa mention au recueil Lebon, une méthode de calcul du prix de revient.
La Haute assemblée rappelle, en premier lieu, l'analyse juridique qu'elle fait du contrat de crédit-bail par opposition à une location dans les termes suivants : « le loyer versé par le preneur d'un contrat de crédit-bail a pour contrepartie non seulement la disposition du bien mais aussi le droit d'opter pour son acquisition au terme du crédit, constituant ainsi une modalité de financement du bien ». En effet, le Conseil d'Etat avait dans le passé retenu qu'un crédit-preneur et un locataire de longue durée ne pouvaient pas être regardés comme étant dans une situation juridiquement et économiquement analogue, et qu'ainsi, les dispositions de l'article 1647 B sexies du CGI, qui interdisent au crédit-preneur de déduire les loyers versés pour les biens pris en crédit-bail et donnés en location (contrairement au propriétaire donnant son bien en location), n'étaient pas à l'origine d'une discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme[5].
Compte tenu de cette particularité propre au contrat du crédit-bail, le Conseil d'Etat considère que : « Le prix de revient d'un tel bien, au sens et pour l'application de l'article 1499 du code général des impôts, lorsqu'il est acquis par l'exercice de l'option d'achat prévue par le contrat ne résulte donc pas uniquement de la valeur d'origine à laquelle il a alors été inscrit au bilan, laquelle correspond au seul montant acquitté au moment de la levée d'option, mais il comprend, en outre, la fraction hors intérêt des loyers prévus par le contrat et versés antérieurement à la levée d'option, qui excède le coût de la mise à disposition du bien ». Puis il précise qu' « à défaut d'autres éléments, ce prix de revient peut, ainsi, être regardé, lorsque l'acquisition intervient au terme du contrat de crédit-bail, comme correspondant à la différence entre, d'une part, la valeur du bien au moment de la signature de ce contrat, et d'autre part, le total des dotations aux amortissements qui auraient été enregistrées si le bien avait été acquis dès ce moment, au regard notamment des engagements hors bilan ». Il est intéressant de noter que cette solution aboutit à retenir un prix de revient proche, dans son inspiration et son résultat, de celui prévu aux articles 239 sexies et 239 sexies C du CGI.
En pratique, les modalités de calcul de l'assiette foncière d'un bien acquis en crédit-bail sont susceptibles d'avoir des incidences sur les bases d'imposition actuelles telles que définies par le Conseil d'Etat, dans la mesure où cette solution a vocation à s'appliquer à la valeur locative toujours imposée dès lors que la levée d'option est intervenue avant le 1er janvier 2007, ce qui n'est pas inhabituel pour des sites industriels.
En outre, elle aura nécessairement deux incidences symétriquement opposées selon la situation du contribuable.
En effet, si ce dernier avait accepté la position jusque-là soutenue par les services fiscaux consistant à considérer que la valeur locative n'était pas modifiée suite à la levée d'option du crédit-bail immobilier, il conviendra de déposer une réclamation contentieuse dès lors que la méthode de calcul du Conseil d'Etat aboutit à retenir un prix de revient inférieur à celui retenu dans l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises.
En revanche, si le contribuable avait retenu un calcul de la valeur locative sur la base du prix de revient résultant de la seule levée d'option du contrat de crédit-bail, il s'expose à des rehaussements de l'administration fondés sur l'interprétation de la notion de prix de revient au sens de l'article 1499 in fine retenue par le Conseil d'Etat.
Sur un plan plus général, le fait pour le Conseil d'Etat de dégager une solution de manière prétorienne peut paraitre discutable. Si la préservation des ressources des collectivités locales est un objectif louable, appartient-il au juge de l'impôt de se substituer au législateur, qui a renforcé son arsenal législatif à compter des seules cessions intervenues après le 31 décembre 2006 ?
Mais finissons sur une note positive et retenons que, pour les contribuables qui s'étaient vu opposer par l'administration le maintien de la valeur locative, ou pour ceux dont la valeur locative n'avait pas été modifiée et qui ne s'étaient pas saisi du sujet, la solution du Conseil d'Etat leur permet de déposer des réclamations en vue d'obtenir une réduction de leurs cotisations de taxe foncière et de cotisation foncière des entreprises.
1 CE, 24 février 2017, n°395410, Sté des Laboratoires Leurquin Mediolanum
2 CE, 28 décembre 2005, n°272722, Sté Valéo Equipements électriques moteurs
3 Loi n°2008-1443 du 30 décembre 2008