Articles & Actualités
Fiscalité des entreprises
Programme de travail de la Commission européenne pour 2020 : à quoi s’attendre en matière fiscale ?
Flora Sicard
Fin janvier, quelques mois après sa prise de fonction effective, la nouvelle Commission européenne présidée par Ursula van der Leyen a dévoilé son programme de travail pour l'année 2020[1]. Si des nouveautés pourraient émerger, le programme témoigne surtout de la volonté de mener à terme des travaux déjà engagés.
Prenant la forme d'une communication, ce document énonce 43 objectifs politiques destinés à revitaliser l'Europe après les difficultés liées à la crise financière de 2008 et regroupés dans les six catégories suivantes :
- un pacte vert pour l'Europe (« Green Deal »),
- une Europe adaptée à l'ère du numérique,
- une économie au service des personnes,
- une Europe plus forte sur la scène internationale,
- la promotion de notre mode de vie européen,
- un nouvel élan pour la démocratie européenne.
Les nouvelles initiatives fiscales à prévoir
Parmi les nombreux objectifs évoqués, la Commission européenne indique celui d'une « taxation effective » qui irrigue les réflexions européennes depuis déjà plusieurs années. À ce titre, pour l'année 2020, la Commission prévoit de publier avant l'été deux documents majeurs : « une communication sur la fiscalité des entreprises au XXIème s. », d'une part, et « un plan d'action visant à lutter contre la fraude fiscale, à simplifier et faciliter la fiscalité », d'autre part. On observera que le programme de travail ne fait, en revanche, aucune référence à des mesures fiscales qui seraient destinées à soutenir le « Green Deal » européen mais ceci s'explique sans doute par le fait que ce dossier est envisagé à plus long terme (i.e. 2021 et non 2020).
Les dossiers pendants à relancer
Selon le programme de travail, plusieurs initiatives législatives déjà lancées feront l'objet d'une attention prioritaire cette année[2]. À cet égard, pour la fiscalité directe, la Commission évoque les projets d'assiette commune – consolidée ou non – en matière d'impôt sur les sociétés (« ACIS »[3] et « ACCIS »[4]). Avancée en première fois en 2011 avant de s'enliser, l'idée d'un régime de groupe harmonisé au niveau européen avait été relancée en 2016 sous la forme d'un projet dédoublé impliquant la mise en place de règles d'assiette communes (ACIS) avant d'envisager un système de consolidation (ACCIS). Malgré des discussions récurrentes au Conseil ECOFIN, aucune avancée concrète n'était à signaler[5] depuis la modélisation des impacts budgétaires d'une assiette commune (sans consolidation) lancée en 2018[6] et dont on ne connait pas encore les résultats. La nouvelle Commission devrait donc replacer ce dossier au cœur de ses prochains travaux.
Parmi les dossiers fiscaux prioritaires figure également la proposition de « CbCR public »[7] lancée en 2016, qui vise à contraindre les grandes entreprises à mettre certaines dispositions fiscales et financières à la disposition du grand public. Ce projet, qui prend la forme d'une modification de la directive « comptable »[8] s'est toutefois heurté, jusqu'à présent, à de fortes réticences de la part des États membres. Sur le plan procédural, le recours à la procédure législative ordinaire (i.e. à la majorité qualifiée)[9] – qui s'explique certes par le fait que la directive amendée n'est pas une directive fiscale mais qui pose problème dès lors que l'ajout envisagé porte sur une question fiscale – a fait l'objet de critiques. Sur les aspects techniques, les discussions sont enlisées depuis 2017. Malgré les exhortations du Parlement européen à reprendre les débats et quelques efforts de compromis de la part de la présidence du Conseil[10], la procédure législative est arrivée dans une impasse en novembre 2019[11]. Plusieurs États ont alors suggéré de réexaminer le dossier en exigeant le basculement sur une procédure à l'unanimité, habituelle en matière fiscale. Il reste à voir l'orientation que donnera la nouvelle Commission à ce dossier.
Sur le volet de la fiscalité indirecte, le projet de coopération renforcée en matière de taxe sur les transactions financières[12] (TTF) est mentionné dans la liste des sujets en cours prioritaires pour 2020. Cette coopération renforcée entre dix États membres, qui prend le relais de la proposition générale originelle sur laquelle les vingt-huit États membres ne parvenaient pas à s'accorder, s'est toutefois enlisée. Pour le moment, les États semblent également étudier une option de TTF calquée sur le modèle français mais peinent, quoi qu'il en soit, à déterminer les modalités techniques de la taxe envisagée[13]. La Commission prévoit donc de s'employer, en 2020, à orchestrer des discussions techniques plus fructueuses.
Une attention particulière sera également portée à deux propositions législatives en matière TVA : celle concernant la mise en place des mesures techniques du système de TVA définitif[14], qui prône notamment l'imposition dans l'État membre de destination, même si l'adoption des quick fixes permet à certains États membres de soutenir un report sine die de cette réforme, et celle sur la réforme des taux de TVA[15], qui explore la question des modalités de fixation des taux réduits. Parce que ces deux projets sont étroitement liés, il semble que les États membres souhaitent les voir aboutir ensemble mais la Commission devra œuvrer pour intensifier les négociations à cet égard dans les mois à venir.
Plus anecdotiques, quelques initiatives en matière de droit d'accises[16] et de coopération administrative[17] devraient également être portées par les institutions cette année. En outre, la définition des « PME communautaires » devrait faire l'objet d'une évaluation et d'un bilan de qualité aux fins d'une éventuelle révision (processus « REFIT ») mais le programme de travail ne fournit pas d'information supplémentaire.
Quelques dossiers mis en suspens ?
Pour finir, on remarquera que les deux propositions de directive destinées à appréhender le problème de l'économie numérique ne sont pas évoquées dans le programme de travail de la Commission (sans, pour autant, être officiellement retirées). La stratégie actuelle semble plutôt consister à attendre l'avancée, sinon l'aboutissement, des travaux menés dans l'enceinte de l'OCDE afin de s'orienter vers des solutions cohérentes. Si les négociations internationales devaient tarder à aboutir, il n'est toutefois pas exclu que l'Union européenne intensifie son action de façon autonome.
La Commission ne revient pas non plus sur le débat relatif à la réforme du processus décisionnel en matière fiscale qu'elle avait lancé en janvier 2019[18] et qui vise à soumettre progressivement les questions fiscales à la majorité qualifiée en lieu et place de l'unanimité actuellement requise au Conseil. Pour rappel, cette suggestion qui a pour objectif de gagner en efficacité et en démocratie, reposait sur un calendrier en quatre étapes, en commençant par les règles de coopération administrative et les mécanismes anti-abus, puis les mesures fiscales conçues pour soutenir d'autres objectifs liés (par exemple à la santé publique, l'environnement ou les transports) avant de s'appliquer aux domaines déjà largement harmonisés comme la TVA et, enfin, aux questions de fiscalité directe. L'an dernier, le Conseil avait procédé à un échange de vues sur la question mais la majorité des ministres avait demandé le maintien de l'équilibre actuel des règles de vote[19]. Le sujet ne réapparait pas dans le programme de travail.
Avec ce programme de travail ambitieux, la nouvelle Commission européenne entend poursuivre la dynamique constructive amorcée à partir des années BEPS en engageant une réflexion générale sur la fiscalité du XXIème s. mais aussi en débloquant le processus décisionnel de plusieurs dossiers actuellement enlisés mais centraux pour la construction d'une Europe fiscale juste et efficace. Aussi, en parallèle des réflexions globales menées à l'OCDE, les contribuables devront rester en alerte sur les négociations européennes et anticiper un éventuel pic de production législative au niveau de l'Union.
[1] COM(2020) 37 final.
[2] Les propositions pendantes prioritaires sont listées en Annexe 3 du programme.
[3] COM(2016) 683 final.
[4] COM(2016) 685 final.
[5] Voir le rapport du Conseil ECOFIN sur les questions fiscales du 9 décembre 2019, doc. 14863/19, FISC 485, ECOFIN 1118.
[6] Voir le document du 20 avril 2018, doc. 8155/18, FISC 175, ECOFIN 345.
[7] COM(2016) 198 final.
[8] Directive 2013/34/UE.
[9] Voir l'avis du Service juridique du Conseil de l'UE du 11 novembre 2016, qui estime que le choix de l'article 50 TFUE comme base légale (déclenchant la procédure législative ordinaire, i.e. vote à la majorité qualifiée au Conseil et participation du Parlement européen) est erroné : il aurait fallu choisir l'article 115 TFUE (déclenchant une procédure législative spéciale, i.e. unanimité au Conseil et consultation du Parlement européen).
[10] La présidence du Conseil a proposé un nouveau compromis fin 2019, très proche de celui avancé en 2017.
[11] C'est ce qu'il ressort du compte-rendu du conseil COMPET du 28 novembre 2019, les ministres ne sont pas parvenus à un accord sur ce projet. 14 États membres ont voté en faveur du texte (Belgique, Bulgarie, Danemark, Finlande, France, Grèce, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Romanie, Slovaquie et Espagne). 12 États membres ont voté contre (Autriche, Croatie, Chypre, Estonie, Hongrie, Irlande, Lettonie, Luxembourg, Malte, Slovénie et Suède). L'Allemagne s'est abstenue. Le Royaume-Uni n'a pas voté. En amont du Conseil, certains États (contre) ont émis une position d'opposition selon laquelle le conseil COMPET n'est pas l'enceinte appropriée pour discuter de ce texte (ils estiment qu'il devrait être discuté dans le cadre du conseil ECOFIN).
[12] COM(2013) 71 final.
[13] Voir le rapport du Conseil ECOFIN sur les questions fiscales du 9 décembre 2019, doc. 14863/19, FISC 485, ECOFIN 1118, qui parle de négociations « compliquées ».
[14] COM(2018) 329 final
[15] COM(2018) 20 final
[16] COM(2018) 334 final, sur la structure des droits d'accises sur les alcools.
[17] COM(2018) 443 final, sur le programme Fiscalis.
[18] Commission européenne, Communication du 15 janvier 2019, COM(2019) 8 final, « Vers un processus décisionnel plus efficace et plus démocratique en matière de politique fiscale dans l'Union européenne ».
[19] Conseil ECOFIN du 12 février 2019.
LES eSERVICES QUI POURRAIENT VOUS INTÉRESSER
Prélèvement à la source : Des sessions d’informations
Aider vos salariés à comprendre les règles et impacts de la mise en place du PALS
5000€ HT
Prélèvement à la source : un guide pratique et des outils
Un support complet et un accompagnement ponctuel pour être autonome
15000€ HT
Prélèvement à la source : Un accompagnement sur mesure
Un accompagnement adapté à vos besoins, tout au long du projet
À partir de 45000€ HT
Prélèvement à la source : Diagnostiquer les impacts de la réforme
Proposer les leviers de conduite du changement et de communication appropriés
À partir de 15000€ HT