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Juridique
Covid-19 - Paiement des loyers professionnels et commerciaux dans le contexte de l'épidémie
Magali Serror Fienberg, Jean-Michel Briquet, Blandine Gagnaire
Dans son allocution télévisée du 16 mars 2020, le Président de la République a envisagé une suspension des loyers pour les PME. L'épidémie de Covid-19 a un impact considérable pour certaines entreprises, notamment celles ayant dû suspendre leurs activités du fait des arrêtés successifs fermant les lieux accueillant du public non indispensables à la vie de la Nation. C'est pourquoi, avant même l'élaboration des textes d'application, divers bailleurs ont annoncé qu'ils suspendaient volontairement les loyers de leurs preneurs.
Une initiative législative à portée limitée
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a été publiée au Journal officiel le 24 mars 2020. La portée de l'allocution du Président y a été clairement circonscrite à l'article 11.1 g) :
- Seules les microentreprises seront concernées par la mesure (et non les PME), la microentreprise étant définie comme occupant moins de 10 personnes et ayant un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan n'excédant pas deux millions d'euros.
- La « suspension » des loyers annoncée se traduit en réalité par un « report intégral » ou un « étalement » du paiement et une renonciation aux pénalités financières susceptibles d'être appliquées en cas de non-paiement des factures.
- Enfin, seules les entreprises dont l'activité aura été « affectée » par la propagation de l'épidémie pourront bénéficier de la mesure.
Reste à savoir comment cette habilitation sera traduite dans les ordonnances du Gouvernement qui doivent être prochainement publiées.
Le maintien des dispositions contractuelles et légales
Le champ d'application de l'initiative législative étant limité, bon nombre de preneurs vont tenter de recourir aux stipulations contractuelles ou dispositions légales applicables. Dans ce contexte, quelques pistes à étudier…
La force majeure (article 1218 du code civil)
Même si le Gouvernement considère, depuis le 28 février, que l'épidémie de Covid-19 est « un cas de force majeure pour les entreprises », son appréciation relèvera in fine des tribunaux. Ceux-ci s'attacheront à vérifier qu'elle répond aux critères d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité et qu'elle a empêché totalement le preneur dans l'exécution de ses obligations. La jurisprudence l'a déjà écartée pour diverses épidémies.
En pratique, c'est bien une appréciation au cas par cas qui sera menée avec deux critères déterminants dans l'appréciation :
- le caractère « irrésistible », qui sera plus facilement retenu pour les établissements qui auront fait l'objet d'un arrêté de fermeture ;
- l'« impossibilité » pour le preneur de satisfaire au paiement des loyers, qui sera nécessairement appréciée au regard du chiffre d'affaires et de la trésorerie du preneur d'un point de vue plus global.
L'exception d'inexécution (article 1220 du code civil)
Un locataire pourrait tenter de justifier le non-paiement de ses loyers par un défaut du bailleur à son obligation de délivrance s'il n'est plus en mesure d'exploiter les locaux. Encore faut-il qu'un manquement du bailleur soit avéré.
L'imprévision (article 1195 du code civil)
Un locataire pourrait également tenter de renégocier sa convention locative en invoquant un changement de circonstances imprévisible. La portée d'un tel argumentaire en matière de baux commerciaux devra être tranchée car un arrêt récent[1] écarte l'application de l'article 1195 du code civil au profit des règles spéciales prévues par le statut des baux commerciaux.
Statut des baux commerciaux (Code de commerce)
En matière de baux commerciaux, bon nombre de dispositions du Code de commerce envisagent une modification du loyer dans le cadre d'une révision ou d'un renouvellement. Si l'épidémie a un impact sur le marché de l'immobilier ou ses loyers, les locataires pourraient également saisir cette opportunité pour obtenir une baisse de leurs loyers.
Quelles recommandations ?
Dans ce contexte, quelles sont nos recommandations ? Tout d'abord, anticiper la problématique en analysant dès à présent les stipulations contractuelles qui ont pu encadrer les droits des parties et en suivant l'application des ordonnances ou les premières décisions jurisprudentielles. Par ailleurs, entamer une négociation amiable puisque toutes les parties prenantes seront impactées par la situation.
[1] CA Versailles, 12 décembre 2019, n°18/07183)